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Les limites de l’expérience « zéro déchet » de San Francisco

Imane Nya

La gestion des déchets représente un réel casse-tête pour les gestionnaires municipaux. La ville de San Francisco communique beaucoup sur son objectif de « zéro déchet ». Mais cette pratique pose de nombreuses questions.

Aux États-Unis, la ville de San Francisco s’est lancée dans l’aventure du « zéro déchet » en 2003. Cette pratique se base sur de multiples mesures dont la réduction des déchets à la source et le traitement des déchets en aval via le recyclage. Les mesures s’inscrivant dans ce sens sont nombreuses : l’interdiction de certains produits et matériaux (notamment, les sacs en plastique), l’obligation de recyclage des déchets par les entreprises (notamment celles opérant dans le secteur de la construction, sous peine d’amendes), la transformation de déchets organiques et alimentaires en compost (ce dernier est destiné aux fermiers et aux agriculteurs locaux).
L’objectif pour la ville est le détournement des déchets pour qu’ils ne finissent pas dans des sites d’enfouissement ou dans des incinérateurs. Afin de garantir un tel objectif, un tri s’impose. Les déchets sont séparés en trois bacs : le bac vert destiné à accueillir les déchets alimentaires et les déchets de jardin nécessaires à la fabrication du compost, le bac bleu à la réception des matières recyclables, et finalement le noir aux restes des déchets qui sont par la suite acheminés à la décharge.

Le « zéro déchet » : source de profits

L’analyse de l’expérience menée à San Francisco ne peut se faire sans s’intéresser au rôle joué par Recology (le collecteur exclusif des matériaux). Cette entreprise détenue à 100% par ses employés (à travers un plan d’actionnariat) travaille en étroite collaboration avec la ville. La rentabilité est assurée à la fois par la tarification des services de collecte et d’élimination des déchets, et par un système de revente des produits recyclés.
En plus des actions de collecte et de recyclage de déchets issus de la construction, de la transformation des déchets alimentaires et organiques transformés en compost, ce fournisseur de services a mené des actions d’incitation des citoyen·nes de sorte à les inclure dans le processus. Il est question de les amener à produire le moins de déchets possible. Afin d’y parvenir, Recology a mis en place une plateforme interactive, nommée Better At the Bin.
La particularité de l’expérience menée à San Francisco réside dans une pluralité d’éléments : la combinaison de mesures incitatives et coercitives, le partenariat entre l’acteur public et l’acteur privé, l’implication des citoyen·nes et également des professionnels (notamment, les restaurateurs et les hôteliers …).
Il faut souligner le rôle joué par la mise en place d’un arsenal juridique interdisant l’utilisation de certains composants (la loi de 2017 interdit la vente d’emballages et contenants composés de mousse de polystyrène expansé) et l’interdiction de certains produits (les gobelets et les plats à emporter en plastique par exemple).

Une logique à base de hautes technologies

En analysant l’expérience menée à San Francisco, il apparaît que la démarche n’est pas si vertueuse. Tout d’abord, elle nécessite des investissements lourds et des équipements sophistiqués et ce, pour se doter de solutions high-tech : par exemple des puces intégrées afin de contrôler le pesage embarqué et les systèmes de tri optique.
La place occupée par les technologies est très importante et loin d’être sans conséquences. Ne serait-il pas possible de trouver des solutions alternatives à celles ancrées dans la logique technico-économique, moins gourmandes en budgets colossaux et avec des effets moindres sur l’environnement ?
En effet, de tels mécanismes hautement technologiques ne sont pas applicables dans d’autres contextes. Par conséquent, la généralisation de telles pratiques à échelle mondiale relève de l’impossible.
L’exemple de San Francisco est intéressant à analyser. Si les taux avancés avoisinant les 80% (1) démontrent des résultats se voulant encourageants, il faut tout de même souligner qu’une partie des déchets ne peut être recyclée. (2) Par conséquent, l’élimination complète est un défi difficilement atteignable. Il faut également souligner que la valorisation des déchets peut cacher une forme d’alibi pour le maintien du consumérisme sans frein.
Au-delà de la mise en place d’un système basé sur des technologies de pointe et des équipements ultrasophistiqués, la résolution du problème exige de s’attaquer à la racine du mal et penser la réduction de la production de déchets. En effet, le recours à des solutions purement technologiques n’est pas sans conséquences et loin d’être une solution neutre énergétiquement. Cette réduction de la quantité de déchets produits renvoie à la remise en question de tout un mode de vie consumériste. Le mode de vie des habitant·es de San Francisco est-il négociable ?

Imane Nya
Doctorante à la faculté des sciences économiques, juridiques et sociales Souissi-Rabat.

À San Francisco, tout le monde met la main à la pâte Pour atteindre le pallier de 80% des déchets recyclés, « Il a fallu négocier avec les entreprises de construction pour les convaincre de recycler 75 % de leurs matériaux, persuader les habitants d’accepter la disparition des sacs plastiques et des petites bouteilles d’eau dans les lieux publics. Et même d’arroser leurs pelouses avec l’eau de rinçage des machines à laver. Les hôteliers et restaurateurs ont compris l’intérêt, non seulement écologique mais aussi économique, de composter les restes des repas. » (Consoglobe,15 février 2016)
À Besançon, le défi de réduire les déchets à la source
À Besançon, « Pour des raisons notamment de santé publique, la ville décide de ne pas rénover le plus vieux des deux fours de son incinérateur. C’est le début d’une approche de réduction des déchets à la source : développement du compostage de proximité et tarification incitative, utilisation de gobelets consignés dans l’événementiel, prêt gratuit de kits de couches lavables aux parents qui veulent les tester,… Résultat, les ordures ménagères résiduelles sont passées de 217 kg par habitant en 2009 à moins de 150 kg en 2016. Les déchets recyclables passent de 38 à 58 %. ». (wedemain.fr, 29 octobre 2018)

Pour aller plus loin :

  • • Recology, www.recology.com
  • • Zero Waste France, 1 passage Emma Calvé, 75012 Paris, www.zerowastefrance.org.
  • • « Au Maroc, les récupérateurs informels de déchets s’organisent », Silence n°493.
  • • « Nos poubelles pleines de Kafka ? », sur les « poubelles intelligentes » et la police de l’environnement dans la métropole grenobloise, Silence n°464.

(1) Selon SF environnement, https://sfenvironment.org.
(2) Note de la rédaction : À titre de comparaison, la capitale slovène Ljubljana, bonne élève européenne, recycle 60% de ses déchets municipaux et vise 78% en 2025. (Source : wedemain.fr, 29/10.2018).

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