Dossier Féminismes

Pourquoi une écologie LGBT+ ?

Guillaume Gamblin

« Les mêmes forces qui attaquent nos communautés sont aussi celles qui épuisent la planète », explique le collectif Queers4Climate Nederland. La convergence entre luttes queer et luttes écologistes mais aussi féministes, antiracistes, etc., est d’abord le fruit d’une nécessité : résister à une oppression commune.

« Les oppressions de genre, sexistes, racistes, LGBTQIphobes, climato-sceptiques, se trouvent tellement bien incarnées par Trump et sa troupe qu’elles rendent urgents et nécessaires la convergence et le travail collectif », note Cy Lecerf Maulpoix (1). Là où les oppressions s’additionnent et font système, il est nécessaire de conjuguer et tisser les résistances.
Concrètement, les personnes LGBT+ font généralement partie des populations les plus fragilisées socialement dans la majeure partie du monde. Aux États-Unis, les jeunes qui s’identifient comme LGBT+ représentent 7 % de la population mais 40 % des jeunes sans-abris (majoritairement de couleur) (2). Ces inégalités les rendent beaucoup plus vulnérables aux catastrophes naturelles et au changement climatique. Aux États-Unis encore, lors de l’ouragan Katrina, les personnes trans étaient refoulées des refuges fréquemment gérés par des institutions chrétiennes. Sharli’e, 20 ans, transsexuelle, a été emprisonnée parce qu’elle utilisait la douche des femmes dans un refuge (3). En Jamaïque, « de nombreux jeunes homosexuels et trans sont jetés dans la rue par leur famille et contraints de vivre dans les ravines et les égouts qui traversent Kingston. Quand la Jamaïque est frappée par une grosse tempête, (...) les camps sont inondés et aplatis par des vents puissants, avec de nombreux jeunes homosexuels noirs directement en danger » (4). La discrimination dans l’accès aux soins rend aussi plus vulnérable face à la pollution et aux agressions environnementales et climatiques. Les personnes âgées LGBT+, affectées par les vagues de chaleur, « ne bénéficient pas du même soutien social et familial que les citoyens cisgenres et hétérosexuels », souligne par ailleurs Peterson Toscano, célèbre activiste écolo gay aux États-Unis (5). Tou·tes soulignent que le fait de ne pas être blanc·he est un facteur aggravant de leur vulnérabilité sociale donc climatique.

« L’égalité sera plus difficile à défendre sur une planète cassée »

Au-delà de cette vulnérabilité physique immédiate, les changements climatiques génèrent des effets à plus long terme sur les sociétés en fragilisant la justice sociale, la paix, l’égalité et les droits des minorités dans les zones touchées. « Les droits, la liberté et l’égalité LGBT+ seront encore plus difficiles à défendre sur une planète cassée, préviennent par exemple les Queers4Climate Nederland. La dégradation du climat est la plus grande menace pour les droits humains. Elle représente un risque énorme pour tout le monde mais elle a un effet disproportionné sur les communautés déjà marginalisées. » « Afin d’assurer la sécurité et la justice pour notre communauté, la justice climatique doit être réalisée », concluent trois activistes climatiques queer américains (voir note 4).

Les LGBT+ ont des ressources précieuses pour affronter les crises écologiques

Cette même vulnérabilité sociale qui les expose en première ligne aux conséquences des dégradations écologiques est une expérience qui permet aux personnes LGBT+ de construire de précieuses ressources pour aider la société à y faire face. « Pour survivre, nous avons développé des communautés résilientes et interdépendantes qui défient les normes sociétales », poursuivent ces trois activistes. Face aux migrations climatiques, par exemple : « Les communautés LGBTQ+ ont été forcées de déménager et de créer de nouveaux foyers et communautés pour survivre. Nous connaissons les défis de la migration, que ce soit vers une autre ville ou un autre pays, et savons comment reconstruire et recommencer. Nous savons créer un soutien et une interdépendance », explique Sarah Goodspeed, activiste écologiste et queer du Minnesota (6).
Katie Eder, lesbienne de 19 ans originaire de Milwaukee, a fondé en 2018 une communauté de jeunes activistes climatiques à travers les États-Unis, Future Coalition, pour aider les jeunes militant·es qui peuvent se sentir isolés et impuissants dans le climat politique actuel en créant un espace où ils et elles peuvent se connecter et partager des ressources. Elle explique qu’elle s’est appuyée pour cela sur ses expériences difficiles d’adolescente lesbienne isolée dans un milieu hostile, pour parvenir à « être en contact avec d’autres jeunes aux vues similaires à travers le pays et à développer vraiment un sentiment de communauté avec d’autres personnes qui vivent les mêmes choses que vous et qui traversent les mêmes défis que vous » (7).
« Être queer n’est pas qu’une histoire individuelle. Notre expérience est foncièrement collective et modelée par le monde cis-hétéro qui nous a enfanté malgré lui. (…) Être queer, c’est avoir un rapport intime avec l’anxiété, l’isolement, la dépression, la mort », estime Julien Didier, artiste et activiste belge (8). « Ma communauté queer est dépositaire d’informations sur la survie pour toutes sortes de crises, de l’itinérance à la dépression mentale », complète Sara Moore, militante écologiste et LGBT+ (voir note 3). Des informations qui peuvent s’avérer précieuses à partager pour résister, ensemble, au chaos climatique.

GG

L’écoféminisme queer : lutter contre les racines communes de la domination

Pour explorer les racines systémiques du lien entre écologie et approches LGBT+, il est utile de se plonger dans les analyses écoféministes.

Le mouvement écoféministe s’est développé d’abord aux États-Unis à partir des années 1970 puis a fleuri sur tous les continents dans les décennies suivantes sous des formes et selon des approches très variées.
« Aux racines de l’écoféminisme se trouve la compréhension de l’imbrication des nombreux systèmes d’oppression, qui se renforcent mutuellement. (…) Le point de départ du mouvement écoféministe fut la prise de conscience que la libération des femmes — but de tous les courants féministes — ne peut être pleinement atteinte sans libération de la nature ; et, réciproquement, que la libération de la nature si ardemment désirée par les écologistes ne peut être pleinement atteinte sans libération des femmes », écrit l’étasunienne Greta Gaard dans son texte Vers un écoféminisme queer (9).
Il s’agit donc d’analyser l’imbrication du sexisme dans la destruction écologique, mais aussi au-delà, avec toutes les formes d’oppression (racistes, etc.). L’écoféminisme est avant tout une pensée de l’interdépendance, de la transversalité. Il vise au dépassement des dualismes traditionnels entre l’humain et la nature, le masculin et le féminin, le matériel et le spirituel… Dans la culture occidentale dominante, l’association du féminin aux animaux, au corps, à l’érotique, à la nature, sert en effet à souligner l’infériorité de ces catégories.
C’est dans ce cadre que vient se positionner une approche queer ou LGBT+ de l’écologie. Pas simplement comme la juxtaposition artificielle de deux thèmes qui n’auraient rien à voir (« les philatélistes et l’écologie »), mais comme l’analyse d’oppressions qui se sont intriquées tout au long de l’histoire. Greta Gaard estime que « les dualismes raison/érotique et hétérosexuels/queer font désormais partie de l’identité du maître, et [que] le démantèlement de ces dualismes fait partie intégrante du projet écoféministe ».
Selon elle, la persécution des sorcières était régulièrement associée à leur prétendue homosexualité, et l’on retrouvait parfois avec elles, sur les bûchers, des hommes accusés d’être homosexuels. Lors de l’invasion de l’Amérique, la présence de pratiques homosexuelles manifestes et de changements de genre jugés scandaleux a servi de prétexte à l’animalisation et à la persécution des peuples autochtones, les auteurs d’actes de sodomie étant parfois brûlés vifs.
En remontant aux sources communes de la domination de femmes, des queers, des peuples autochtones et du monde vivant non humain, entre autres, Greta Gaard rappelle l’importance d’analyser ces dominations et de les combattre solidairement, et non de manière fragmentée, pour s’en émanciper ensemble.

(1) « Sensibilité climatique entre mouvance écoféministe et queer », Multitudes, no 67, 2017
(2) Selon un rapport publié en 2015 par True Colors United, organisme sans but lucratif axé sur l’itinérance chez les jeunes LGBT+. https://truecolorsunited.org
(3) « Ten Things I’ve Learned as a Queer Woman in the Climate and Energy Fields », Sara Moore, 5 août 2019, https://impakter.com
(4) « What the Queer Cmmunity Brings to the Fight for Climate Justice », Aletta Brady, Anthony Torres et Phillip Brown, 9 avril 2019, https://grist.org
(5) « A Queer Response to Climate Change ? », 8 février 2017, https://climatestew.com
(6) « Climate Change is a Drag », Sarah Goodspeed, www.climategen.org, 23 août 2019
(7) « Queer Teens Like Katie Eder Will Save us from the Climate Catastrophe », Christine Linnell, 19 septembre 2019, www.advocate.com
(8) « Nous sommes tellement de choses », 17 mai 2020, https://commonspolis.org
(9) Greta Gaard, « Toward a Queer Ecofeminism », www.lespantheresroses.org

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