Dossier Féminismes

LGBT+ et écologie, une facette de notre histoire

Guillaume Gamblin

Mouvements écologistes et LGBT+ cheminent ensemble depuis des décennies déjà. Retour sur un compagnonnage trop méconnu.

« Dans les années 70, des groupes de gays ou de lesbiennes ont investi des terres dans la campagne américaine pour y construire des projets de vies communautaires », explique le journaliste et militant queer et écologiste Cy Lecerf Maulpoix (1). Ces expériences se veulent « une véritable alternative au mode de vie urbain et à l’intégration dans la société hétéro de l’époque ». Il s’agit d’« un exemple unique, où des personnes avec des sexualités différentes ont un projet en commun de retour vers la nature », complète Françoise Flamant (2).

Un mouvement transpédégouines rural et anticapitaliste

« Véritables alternatives aux mouvements LGBT qui prônent l’intégration à la société hétérosexuelle de l’époque, les communautés lesbiennes rurales se réapproprient un savoir manuel et agricole socialement réservé aux hommes », poursuit Cy Lecerf Maulpoix. Certaines communautés regroupent des centaines de femmes dans l’Oregon. On y cultive un autre rapport à la nature et à la spiritualité : végétarisme, usage de médecines alternatives, rituels adressés à la Terre, et on y édite des magazines. Ces groupes ont « l’ambition de faire entendre une voix alternative au statu quo des homos à l’époque qui embrassaient la société, notamment la société de consommation, sans la remettre en question ».
Les Radical Faeries fées radicales ») voient le jour aux États-Unis en 1979. Nées à l’appel de Harry Hay dans un esprit d’anticapitalisme, de refus de l’assimilation aux valeurs dominantes et de développement d’une identité politique et spirituelle propre, le mouvement au départ uniquement gay s’ouvre ensuite à un spectre LGBT+ plus large. Il se traduit par de grands rassemblements festifs au moment des fêtes païennes, émaillés de danse, de groupes de parole, d’hommages aux disparus queer, de cérémonies spirituelles, d’ateliers de sensibilisation aux questions raciales ou environnementales, etc. Ces moments et lieux de résilience « magiques » sont situés dans des cadres naturels propices au ressourcement. Ils servent de sanctuaires au plus fort de l’épidémie de sida pour créer des espaces dignes et bienveillants, dans le but d’accompagner les fins de vie ou de célébrer des rituels funéraires. (3) Le réseau s’est internationalisé et il existe plusieurs lieux de rassemblements en Europe : Folleterre dans le Jura français, Featherstone en Grande-Bretagne, Alto das fadas au Portugal.
Aujourd’hui, de nouveaux et nouvelles actrices prennent la relève de cette sensibilité queer écologiste rurale, telles que les membres du Queer Farmer Collective (Collectif fermier queer) aux États-Unis. L’objectif de ce réseau est notamment d’« éliminer les obstacles qui empêchent la communauté queer de s’engager dans l’agriculture comme moyen de subsistance et d’autonomisation personnelle ». Et donc de permettre l’inclusion des personnes LGBT+ dans le renouveau de l’agroécologie. L’accès au foncier est en effet d’autant plus difficile qu’il a lieu hors du cadre familial (4). En France, le Rhinocerose plouc queer fest, organisé en 2018 à La Borie, dans les Cévennes, s’interrogeait sur la manière d’« être gay à la campagne » ou encore sur « l’hétérosexualité comme modèle de production agricole ». En France, de plus en plus de collectifs de vie ruraux et alternatifs affichent une coloration queer ou une inclusivité vis-à-vis de la diversité des genres et des orientations sexuelles, à l’instar du collectif paysan féministe et libertaire La Clémenterie, en Ardèche.

Mouvements queers pour le climat

Plus récemment, de nombreux mouvements et réseaux LGBT+ ou queers se sont constitués, en particulier au sein de la lutte pour le climat. C’est le cas de l’ONG internationale Queers for the Climate, née en 2014. Celle-ci part notamment du constat que « les minorités sont les premiers groupes à être marginalisés en temps de crise » (5). À ce titre, « toutes les réalisations en matière de droits LGBTQ+ pourraient être effacées en à peine une décennie avec l’exacerbation de la pénurie de ressources et les troubles sociaux ». Il s’agit donc de faire entendre les personnes LGBT+ car « leur voix est généralement manquante lors des négociations et des débats clés sur le climat ».
Au même moment, en France, à l’approche de la COP 21 à Paris en 2015, naît le collectif LGBTI pour le climat. Il part du constat de certain·es militant·es, selon lesquel·les la Coalition 21 est, à l’instar des autres mouvements sociaux, empreinte de domination masculine, de sexisme et de virilisme. Il s’agit donc de se mobiliser en vue de la COP 21 mais en s’identifiant comme LGBT+ ou en tant que queer, explique Cy Lecerf Maulpoix, qui en est à l’initiative (6). Fin 2015, le collectif organise des actions queer à Paris, mêlant volontiers humour et érotisme, dont les participant·es sont déguisé·es en licornes, fées, sorcières, sirènes ou drag queens, avec l’idée de faire émerger de la « magie » dans la lutte. « Cette idée de visibiliser les LGBTQI au sein de la lutte climatique venait essentiellement d’un groupe qui avait participé à New York en septembre 2014 à la grande marche climatique, les Queers for the Climate », précise Cy Lecerf Maulpoix (7). En 2016, le groupe formé en France devient Panzy, terme qui renvoie en anglais à une insulte envers les gays efféminés mais aussi au nom d’une fleur : la pensée.
Au Royaume-Uni, XR Rainbow Rebellion est la branche LGBT+ au sein du mouvement Extinction Rebellion. Elle s’illustre par des occupations d’espaces publics et revendique une pratique non violente de la désobéissance civile de masse.
Au-delà de la seule lutte pour le climat, ces dernières années, des collectifs écologistes tels que RadiAction ou des rassemblements comme le blocage de l’usine d’engrais azotés Yara en Allemagne en 2019, ou les camps antinucléaires des Bombes atomiques près de Bure, affichent une coloration explicitement queer ou fortement inclusive à leur égard (8).

GG

(1) Dans « L’histoire méconnue des communautés rurales gays et lesbiennes après Stonewall », Les Inrockuptibles, 19 juillet 2019.
(2) Françoise Flamant, Women’s lands. Construction d’une utopie – Oregon, USA, 1970-2010, éd. IXe, 2015
(3) Voir « L’histoire des Radical Faeries, ces militants queer qui défendent le néo-paganisme », Cy Lecerf Maulpoix, www.vice.com, 12 octobre 2016.
(4) Voir « Lutter pour l’accès à la terre en France et en Suisse », Silence no 491, septembre 2020, p. 13
(5) « Queers x Climate : From Vlnerable Collective to Agent of Change », aldianews.com, Beatriz Garcia, 12 janvier 2020
(6) « Sensibilités climatiques entre mouvance écoféministe et queer », Multitudes no 67, 2017
(7) « Folles, fées et fleurs pour le climat : rencontre avec le mouvement Panzy », Matthieu Foucher, friction-magazine.fr, 2017
(8) Voir les témoignages « Et 500 bombes atomiques se mirent à danser » et « Un camp climat et agriculture queer ! » dans Silence no 484, décembre 2019.

Folleterre, www.folleterre.org
La Clémenterie, https://laclementerie.org
RadiAction, Collectif écologiste radical et désobéissant contre le nucléaire et son monde, www.radiaction.org, radiaction@riseup.net
Amap Féministe Transpédégouine, 63 rue Beaubourg, 75003 Paris, www.amaptranspedegouine.org

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