Dossier Agriculture Bzzzzz

Planter des arbres pour les abeilles

Anaïs Zarkaoui

Yves Darricau est ingénieur agronome, consultant, apiculteur et planteur d’arbres. Il a publié Planter des arbres pour les abeilles – l’api-foresterie de demain (Éditions du Terran) pour informer le public sur l’alimentation des abeilles en cette période de réchauffement climatique et d’agriculture plutôt agressive vis-à-vis des abeilles. Entretien avec un défenseur de la pollinisation.

Le réchauffement climatique a des conséquences concrètes sur la végétation : « Un degré de plus, c’est 8 à 10 jours d’avance pour la floraison. » Le tilleul et le châtaignier fleurissent plus tôt, et c’est une véritable punition pour les abeilles, qui se retrouvent sans nourriture entre les floraisons réglées par la température (qui avancent donc au fur et à mesure du réchauffement) et les floraisons qui dépendent de la durée du jour (donc fixes, comme le lierre grimpant). Le réchauffement en hiver fait aussi sortir plus souvent les abeilles, qui consomment alors de l’énergie et du miel en vain, puisqu’il n’y a pas de fleurs. Résultat : les insectes sont en manque de fleurs sur des périodes de plus en plus longues.

Les abeilles aussi souffrent de « malbouffe »

« Le problème des insectes et donc des oiseaux, des batraciens, de toute la chaîne alimentaire, c’est à la fois l’habitat (endroit où s’abriter) et l’alimentation. » Une flore amoindrie et appauvrie représente moins d’habitats et moins de nourriture (vers, insectes) pour les oiseaux et les insectes. La disparition des abeilles est, selon lui, due à un effet cocktail : les virus et parasites, les pesticides, certes, mais aussi « les déficiences alimentaires, qui doivent être mises en avant ». L’auteur préconise donc l’enrichissement de la flore locale.
La flore fournit le nectar à la base de la cire et du miel, le pollen renferme les protéines, les résines permettent de produire la propolis qui aseptise la ruche. Les abeilles n’ayant un rayon d’action que de deux à trois kilomètres autour du rucher (pour les abeilles sauvages, c’est encore moins), les grandes étendues de monoculture (colza, maïs, blé), associées à la baisse des espaces « sauvages » (haies, fossés, bosquets, prairies, jachères…) diminuent la diversité alimentaire globale.

Adapter la palette végétale, et valoriser tous les espaces

Les petits bosquets champêtres et autres espaces délaissés sont partout dans nos paysages. Il y en a même au milieu des plaines de la Beauce, et ils sont laissés sans entretien, en déshérence. Mais « on peut tirer profit écologique de ces espaces perdus pour l’agriculture. Les fossés et les berges pourraient être arborés, les bords de route laissés tranquilles pour qu’ils fleurissent, les lisières forestières valorisées par des espèces diversifiées ». Idéalement Yves Darricau conseille d’enrichir, de complémenter, la végétation locale avec « 2 ou 3 % d’arbres à floraisons estivales, en juillet ou août, apportant ainsi leurs services au moment où la flore locale décline fortement. Ils permettraient de combler le trou allant de la floraison des tilleuls et châtaigniers à celle du lierre grimpant. On pensera ensuite à des arbustes à floraisons hivernales (2 à 3 %), qui combleront le trou de l’hiver jusqu’à l’arrivée du printemps et des pissenlits ». Ces végétaux qui fleurissent hors saison existent. Ils sont dans nos parcs et nos villes et doivent intégrer la palette champêtre : pour les arbres, il y a le sophora, le koelreuteria (savonnier), le tetradium (arbre à miel) et les tilleuls asiatiques tardifs (tilleul d’Henry, tilleul du Japon).

Sélectionner les végétaux

Si la science a su sélectionner des pommiers pour la gastronomie, « l’apiculture à venir mériterait bien une sélection des arbres sur le nectar et le pollen, et la création de »cépages« mellifères et nectarifères ! ». L’idée est de mobiliser la recherche sur l’introduction et la création de variétés d’arbres mellifères, « à intérêt écologique ». Yves Darricau évoque ainsi la possibilité de sélectionner des arbres non plus selon des critères de productivité, de goût ou d’esthétique, mais pour leur floraison longue : « Les arbres urbains sont des réussites de sélection. On a réussi à faire des arbres qui permettent de garer un maximum de voitures (ainsi, le sophora urbain est une création qui pousse droit et, en plus, il fleurit longtemps, un mois environ, pour le plaisir des citadins). » Les arbres « affectent en profondeur la biodiversité qui les entourent » en plus d’offrir un abri, des fruits et des fleurs, et leur productivité mellifère est bien supérieure à celle des plantes annuelles et vivaces des jachères. Yves Darricau cite en exemple le cyprès, produisant un pollen précoce que les abeilles vont chercher, et en conclut : « Même un arbre tout seul au milieu de nulle part a une utilité. Il faut penser aux haies et à l’agroforesterie, mais il faut aussi passer à une échelle plus diffuse géographiquement. »

Créer des îlots de biodiversité

Il faut penser aussi à des îlots de biodiversité implantés sur les délaissés agricoles, qui seraient conçus comme des bosquets à végétation très diversifiée. De telles petites infrastructures écologiques sont aussi envisageables en situation foncière très contrainte (par le microparcellaire ou le coût du foncier). Ces lieux délaissés et autres bosquets forestiers abandonnés appartiennent pour partie au domaine public et pour partie au domaine privé. On pourra partout s’en assurer la maîtrise en utilisant les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), et en s’inspirant d’un dispositif expérimental mené pendant trois ans en Île-de-France. On y a créé un droit de préemption des parcelles forestières de moins de trois hectares, au profit de la Safer de la région. Invoqué à 198 reprises « pour la protection et la mise en valeur de la forêt », ce dispositif a permis d’éviter que 105 ha de petites parcelles dispersées, aux mains de particuliers, finissent par être défrichées et revendues pour des projets urbanistiques divers. Ce droit pourrait aussi permettre d’acquérir ces îlots dont la gestion serait déléguée à des acteurs intéressés par les services écosystémiques et par la pollinisation (syndicats et associations d’apiculteurs, de naturalistes, coopératives agricoles, etc.), à condition que la gestion écologique des dites parcelles respecte la flore, la fonge, la faune et les habitats en place.

Anaïs Zarkaoui

(1) « Arbres mellifères du futur », Abeilles en liberté, no 1, janvier 2019

Yves Darricau, Planter des arbres pour les abeilles – l’api-foresterie de demain, Éditions du Terran, 2018

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