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NéoNIKlesabeilles…

Stephen Kerckhove

Barbara Pompili fait bien partie du gouvernement en tant que ministre de la Transition écologique. Non pas parce que son rang, son nom ou ses fonctions auraient pu être publiés au Journal officiel durant l’été, mais parce que, comme tout·e ministre de l’environnement, elle a dû accepter cette règle non écrite qui consiste à avaler d’une seule bouchée un boa constrictor en guise d’amuse-gueule.

En validant le principe d’une dérogation à l’interdiction des insecticides néonicotinoïdes, cette ministre commet une faute politique doublée d’une erreur stratégique : elle accepte que son rang protocolaire ne reflète nullement son poids politique. À l’instar de Nicolas Hulot et bien d’autres ministres d’État, Barbara Pompili reconnaît, au travers de cette première décision, que la protection de l’environnement est sous la tutelle des lobbies, qu’ils soient agricoles, cynégétiques ou nucléaires.
Elle accepte également une certaine forme d’ambivalence, reconnaissant à mi-mots qu’une décision soutenue par la secrétaire d’État de François Hollande, une certaine Pompili Barbara, puisse être remise en cause par la ministre d’État d’Emmanuel Macron, une certaine… Barbara Pompili.
Après plusieurs années à construire un rapport de force ayant rassemblé plus de 200 000 personnes, les associations et apicult·rices avaient réussi à faire interdire les insecticides « tueurs d’abeilles », à quelques voix près à l’Assemblée nationale. Parce que notre « démocratie » est encore très loin de s’affranchir de la pression des petit·es chimistes faisant profession d’agroculteur, délais et dérogations ont été prévus. Votée en 2016, l’interdiction des néonicotinoïdes ne devenait effective qu’en 2018 avec la possibilité d’y déroger jusqu’au 1er juillet 2020. Les lobbies avaient donc quatre ans pour se conformer à l’interdiction.
Mais ces lobbies ont le pouvoir du temps. Ils résistent, renâclent, mais ne renoncent jamais. Ils n’ont donc nullement mis à profit ce délai pour trouver des alternatives et changer de pratiques agricoles. Telle la cigale qui chanta tout l’été, ils s’en trouvèrent fort dépourvus lorsque l’interdiction fut venue…
Accorder des dérogations comme le souhaite donc ce gouvernement, c’est donner quitus au double jeu des lobbies qui n’acceptent jamais une décision politique. Ils ne s’y conforment pas et attendent simplement qu’une impasse née de leur attentisme influe sur la décision politique.

Bizutage en règle

Alors que chacun·e sait que la persistance des néonicotinoïdes dans les plantes, les sols et l’eau en font de redoutables toxiques pour les insectes pollinisateurs en général et pour les abeilles en particulier, déroger à l’interdiction de cette famille d’insecticides revient à se conformer à la longue série de ministres de l’Écologie qui œuvrent au mieux à l’édification du moins pire des mondes, acceptant ici les petits pas en avant et là les grands bonds en arrière.
Après avoir intériorisé ce bizutage en règle, cette ministre en ressort affaiblie. Les lobbies mesurent précisément le degré de plasticité de chaque acteur ou actrice et élaborent leur stratégie à l’aune de leur capacité à influer sur le cours des choses. De fait, le signal adressé par cette ministre est de très mauvais augure, car de cette première décision naît un climat, une ambiance. À peine arrivée, elle est sur la défensive, obligée de se justifier. À l’heure de la nécessaire rupture écologique, le gouvernement Castex a donc réussi un jeu de billard à trois bandes en donnant des gages au lobby agrochimiste tout en affaiblissant d’entrée de jeu sa ministre de la Transition écologique.
Stéphen Kerckhove

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