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Quand SpaceX s’envoie en l’air…

Stephen Kerckhove

À grand renfort de prime times et bénéficiant d’une large médiatisation, le décollage de la fusée développée par la société SpaceX dirigée par Elon Musk est présenté comme l’équivalent d’un petit pas pour l’humain. Mais est-ce un pas de géant pour l’humanité ?

La force d’une idéologie est d’entretenir ses mythes fondateurs et d’engendrer du consentement. La conquête de l’Ouest précède donc celle de Mars. Elon Musk a remplacé John Wayne mais l’objectif demeure inchangé. SpaceX est l’outil rêvé permettant de coloniser l’imaginaire. Chaque décollage amplifie l’irréalité d’un monde sans limite, réussissant même à s’arracher à l’apesanteur terrestre en revisitant le mythe d’Icare.
La conquête spatiale, motivée par une quête sans fin de savoir et de découvertes, n’est nullement la motivation de la société SpaceX. Très prosaïquement, celle-ci envisage de multiplier les vols lunaires réservés à quelques milliardaires impénitents. Parce qu’ailleurs n’est jamais assez loin, les riches, après avoir détruit la planète, se préparent à prendre un peu de hauteur afin de contempler le désastre.
L’enjeu ne réside peut-être même plus dans le bilan énergétique de ces quelques vols habitables. Transpercer l’atmosphère, c’est adresser un seul et unique message : notre planète est trop petite pour les appétits destructivistes de ces enfants gâtés de la mondialisation à l’égo surdimensionné. À l’heure du crime climatique, ces pulsions démiurgiques valent mieux que de longs discours alambiqués de certains climatosceptiques. Elles reflètent un état d’esprit conquérant, renvoyant les écologistes à leurs peurs millénaristes, supposées infondées. Rien ni personne ne doit empêcher cette longue marche vers l’abîme.

Fusées, satellites et gadgets connectés

Mais ce lancement surmédiatisé est finalement l’arbre qui cache la forêt. Patiemment, la société privée d’Elon Musk s’attèle à saturer le ciel de centaines (et demain milliers !) de satellites supposés apporter le progrès que tout le monde attendait… une connexion haut débit partout, tout le temps. Quand les riches s’envoient en l’air, le bas peuple est invité à les admirer sur son portable dernière génération… Peu importe que ces satellites Starlink, très lumineux, finissent par remplacer les étoiles et éteindre la nuit. Peu importe que cet internet satellitaire accroisse encore et toujours le smog électromagnétique.
Peu importe car les happy few de la Silicon Valley se contrefichent de ce que peut penser cette humanité arriérée. Ils ont depuis longtemps renoncé à faire société et préfèrent rêver de Mars et d’immortalité. Et nous les laissons faire. Pire, nous les regardons avec envie. Et cette attitude en dit long sur notre degré d’aliénation au système destructiviste.
Stéphen Kerckhove

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