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À Lille, précaires et habitant·es se battent pour préserver une immense friche urbaine

Sheerazad Chekaik-Chaila

Au cœur de Lille la friche Saint-Sauveur, devenue une Zap, « zone à protéger », est menacée par un projet de nouveau quartier.

Le vaste terrain, propriété de la ville et de la Métropole européenne de Lille (MEL), fait l’objet, depuis 2016, d’un rapport de force avec des collectifs d’habitant·es, dont le très actif Fête la friche. Fin 2018, deux associations – Aspi et Parc – ont obtenu de la justice administrative le gel du projet de nouveau quartier voulu à cet endroit par les collectivités. Devenue « zone à protéger » (Zap), la friche Saint-Sauveur et ses vingt-trois hectares incarnent les enjeux lillois de la préservation de la nature en ville, dans une commune en manque de végétation comme de logements. Depuis quelques mois, des sans-papiers et des sans domicile fixe y organisent leur quotidien. Entre protection des personnes et de la nature, plusieurs causes cohabitent dans cette zone unique en son genre.
Depuis trois jours, Diallo fabrique sa cabane avec des bouts de bois et de palettes. Avant, il occupait un squat ironiquement baptisé « cinq étoiles ». L’endroit, situé à deux pas, abritait quelques deux cents hommes exilés. Après son évacuation brutale en juin 2019, Diallo s’est retrouvé à la rue.
Depuis la création fin janvier 2020 du collectif Les Habitants associés, les habitant·es de la friche et leurs soutiens s’organisent pour améliorer les conditions de vie sur le campement. Une réunion se tient pour discuter des préoccupations et des besoins de chacun·e. « Il faut parler du problème des toxicos », dit d’emblée Basko, 48 ans. Les « consommateurs », comme les désignent les bénévoles, vivent dans un abri, un peu à l’écart. Incarcéré pendant trois ans, Basko a rejoint la friche pendant le confinement.

« Nous sommes toujours là et c’est un petit miracle »

Kamel invite plusieurs fois de jeunes sans-papiers à débattre. « Il y a autant de friches que d’habitants de la friche, dit-il en les regardant. Il y a une frontière entre ceux qui sont ici et qui n’ont pas d’autres choix et les autres. » Jusqu’à présent, l’occupation de la friche n’a pas été dérangée par les autorités locales. Dès le début de l’occupation en 2016, les activistes y ont organisé des concerts, terminé quelques marches pour le climat.
On quitte la terre ocre de la friche pour l’herbe grasse du parc du Belvédère. Depuis novembre 2019, un pont en bois relie le village à la partie la plus végétalisée du site. « J’espère qu’ils ne vont pas construire, dit Mylène, 34 ans. Une vue aussi dégagée, ce n’est pas dans toutes les villes que tu vois ça. » « On a tendance à nous faire croire que c’est mal fréquenté, dit Christophe. Si c’était le cas, je n’y viendrais pas avec ma fille de trois ans. » L’insouciance qui flotte au milieu des herbes hautes contraste avec l’urgence d’améliorer son abri de l’autre côté de la friche.
La fin des mises à l’abri liées à la pandémie pourrait attirer de nouvelles personnes, pressentent les habitant·es de la friche et les associations, amené·es à penser ensemble le défi de la cohabitation qui se dessine entre les personnes, les causes et la nature. Camille affiche son optimisme : « L’altérité de la nature nous permet de respecter la nôtre. »
Sheerazad Chekaik-Chaila

Article initialement paru sur Reporterre

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