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Une répétition générale ?

Stephen Kerckhove

Un battement d’ailes de chiroptère à Wuhan est en train de faire vaciller nos évidences. Des décennies d’un subtile conditionnement avaient fini par imposer l’idée selon laquelle la croissance ne pouvait qu’être infinie, la mondialisation source de bonheur, le travail la santé. Puis un grain de sable est venu « gripper » cette belle illusion idéologique.

Seul ensemble, des millions d’individus apeurés par l’ennemi invisible se sont terrés chez eux, sommés de rester cloîtrés pour endiguer la pandémie. Cette pause dans cette course vers l’abîme écologique a eu pour effet paradoxal de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, améliorer la qualité de l’air et nous contraindre à décélérer. Le secteur aérien a été obligé quant à lui d’organiser un atterrissage en urgence et chacun s’est appliqué une ascèse forcée.
Cette mise entre parenthèses de nos pulsions démiurgiques peut être un exercice oh combien salutaire. Elle nous oblige à réinterroger un système qui a banalisé l’excès et normalisé le bougisme. Par peur de la contagion, nous sommes désormais dans l’obligation de réinterroger l’extrême faillibilité du système néo-libéral. Géant au pied d’argile, le modèle « destructiviste » patiemment édifier par une foule sans cesse plus déterminée d’ « illimités » a vécu.
Mais à toute chose malheur est bon. Les menaces climatiques, génétiques, atomiques, électromagnétiques, l’effondrement des écosystèmes, la surpêche, la désertification ou encore la déforestation sont de bons candidats pour l’effondrement à venir. Les collapsologues, hier encore stipendiés par les hérauts de la mondialisation heureuse, ont enfin l’opportunité de rappeler les évidences que personne ne souhaitait entendre.
Pourtant, quelles que soient les crises - sanitaires et environnementales - qui jalonneront notre avenir, seule la résilience du système nous permettra de limiter leur impact. Cette résilience ne se décrète pas, elle se bâtit patiemment en stimulant l’entre-aide ; elle se nourrit d’échanges et de confiances. En période de tensions, les liens humains, bien mieux que l’accumulation de biens matériels, deviennent vitaux.
Gageons que l’expérience grandeur nature que nous avons vécue nous aura acculturé à ce catastrophisme éclairé dépeint par Jean-Pierre Dupuy. Espérons que cette assignation à résidence généralisée nous aura ouvert les yeux sur l’extrême fragilité du système technicien. Faisons de cette pandémie une leçon. À défaut, nous nous condamnons à vivre, revivre et surtout survivre dans un monde désaffilié, composé d’électrons libres en guerre de tous contre tous.

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