Article Nouvelles technologies Société

Contre Super Demain, pour une critique radicale du numérique

Des trouble-fêtes

Le 14 et 15 novembre 2019 se tenait à Lyon le festival Super Demain, organisé par Fréquence école et soutenu par la métropole. Sous couvert d’éduquer au numérique, cet évènement participe activement à préparer les humains à vivre dans une société sous une emprise totale du numérique. Nous étions une quinzaine de trouble-fêtes à nous inviter dans ce festival : retour sur notre action, sur son accueil et de ce que cet évènement dit de la critique du numérique aujourd’hui.

Au festival Super Demain, aucune remise en question de l’impact destructeur des réseaux sociaux sur les liens entre humains, pas de réflexion sur les nouvelles possibilités d’exploitation des travaill·euses permis par le numérique, ou sur la mise en place d’un contrôle totalitaire de notre vie quotidienne via la puissance des algorithmes. Les seuls enjeux que se proposent d’aborder le festival gravitent autour de la protection des données personnelles, du coût d’un mail à envoyer, ou encore de la mise en garde contre le Bitcoin. Des questionnements qui, en plus d’être insuffisants, se noient dans la myriade d’ateliers de découverte et de promotion du numérique sous toutes ses facettes : réalité virtuelle, cours d’école connectée, utilisation de drones (2)...

Porter un autre discours

Plusieurs personnes consternées par ce constat ont donc décidé d’agir ensemble, afin d’introduire une réelle réflexion. On a posé une table d’information devant la seule porte d’accès de l’évènement, accompagné de tractages et de discussions dehors et à l’intérieur du bâtiment, pour finir par des interruptions et questions posées lors des conférences.

Ces journées d’actions se sont apparentées à des jeux de chats et de la souris entre la sécurité du festival et les troubles fête, passant d’une salle à une autre ou reprenant la parole lorsque l’un·e d’entre nous était expulsé·e d’une conférence. Plusieurs employé·es sont venu·es discuter avec nous, Certain·es étaient enclin à nous faire entrer dans les conférences, tandis que d’autres refusaient clairement que nous restions plus longtemps. Tout du long, la position des organisateur·rices a été assez ambiguë à notre égard, oscillant entre mépris, discussion, et tentative d’assimilation de notre discours.

Nous pourrions faire nombre d’hypothèses pour éclairer ces positions assez paradoxales, mais nous pensons qu’un des meilleurs éléments de réponse réside dans la question que l’on nous a inlassablement posé tout au long de la journée d’action : « pourquoi ne venez vous pas participer à notre festival ? Nous proposons des réflexions sur le numérique qui intègrent tous les acteurs, alors pourquoi pas vous ? ».

C’est le numérique le problème

Cette question est révélatrice de la position du Festival, qui s’inscrit dans la défense des technologies numériques, notamment en lien avec le monde économique. Celui-ci a fortement évolué dans son rapport aux technologies numériques du début des années 2000 à aujourd’hui. Si au début du millénaire, les acteurs économiques et politiques soutenant le numérique pouvaient passer plus ou moins outre la critique (sanitaire, sociale, politique) de celui-ci, ce n’est plus le cas aujourd’hui. À travers les médias et les multiples scandales (Cambridge Analytica, Edward Snowden et la NSA, et plus près de nous les compteurs Linky (3)) ou la politique et les lois qui sont passé (notamment la loi abeille (4) en 2015), les acteurs du numériques doivent composer avec ces critiques s’ils veulent continuer leur activités.

Pour faire face aux critiques croissantes, le festival déroule un argumentaire en deux temps. Premièrement, montrer qu’il y a des réels problèmes dans l’utilisation et la production de la technologie et du numérique. Deuxièmement, expliquer que ces problèmes peuvent être résolus, notamment par ceux qui en sont responsables, logiquement plus à même d’apporter des solutions. Le nom de ces responsables se retrouve d’ailleurs dans les sponsors du festival : EDF, Free, Vinci, Caisse d’épargne... Super Demain, via ses ateliers et conférences, nous donne la seule et unique solution aux problèmes technologiques : encore plus de technologie.

Dans cette stratégie de légitimation, la critique n’est pas refoulée, elle est même recherchée. Investir le champ de la critique jusqu’à le saturer permet de sélectionner les critiques admissibles est celles qui ne le sont pas. Coïncidence ou non, les problèmes audibles se révèlent souvent être ceux dont la solution requière des actions individuelles ou l’achat de nouveaux bidules informatiques, parfois les deux. Au sein de ce genre d’évènements, l’idée même de contestation collective ou de revendication portée contre les géants du numérique est évacuée au profit de réflexions individuelles ou formations au numérique. Ces quelques critiques se noient dans l’ensemble des informations et des discours, mettant sur le même plan les réflexions portées par des groupes plutôt militants comme la Quadrature du net (5) et celle d’un employé de Google.

Parce que nous ne voulons pas être la caution critique de Super Demain, parce que nous ne résoudrons pas les problèmes du numérique main dans la main avec les start up du numérique ou les GAFAM, et parce que nous croyons en l’importance d’une critique radicale du numérique, nous ne participerons jamais à ce genre d’évènements, sauf pour les saboter.

Les enjeux qui tournent autour du numérique sont imbriqués dans des rapports de force qui structurent notre société. Le mode de société capitaliste et industrielle de notre civilisation implique une division du travail et des dominations d’une violence inouïe qui s’exerce chaque jour partout dans le monde, y compris dans le monde enchanté du numérique. Nier ces rapports nous empêchent de concevoir la réalité : les décisions sur le numérique continuent de se faire sans nous, dans une totale indifférence vis-à-vis des dégâts sociaux et environnementaux qui touchent tous les peuples de planète.

Contre Super Demain et Fréquence école, plaidons pour une reprise en mains de la critique du numérique. Nous revendiquons une critique protestataire qui s’inscrit dans les autres contestations et mouvements sociaux qui se font en ce moment même.

(1) Fréquence école est une association qui organise des ateliers, interventions dans les écoles, festivals sur le numérique et les médias, dans le but de « développer l’éducation aux médias numériques ».

(2) Vous pouvez retrouvez le programme de SuperDemain édition 2019 sur son site internet, à l’url https://www.superdemain.fr/programmation

(3) Cambridge Analytica, Edward Snowden et la NSA, et plus près de nous les compteurs Linky (3)

(4) LOI n° 2015-136 du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques.

(5) Une association qui « œuvre pour un Internet libre, décentralisé et émancipateur », notamment en luttant contre la censure et la surveillance sur internet.

Super Demain est un événement lyonnais qui défend le développement du numérique et qui a accueilli en 2019 plus de 4 000 personnes sur un week-end à l’hôtel de la métropole de Lyon. Un nouvelle édition est annoncée pour la fin 2020.

Contacts :
Les Décâblés, chez Les Clameurs, 23 rue d’Aguesseau, 69007 Lyon, lesdecables@riseup.net
Écran total, Le Batz, 81140 Saint-Michel-de-Vax, ecrantotal@riseup.net
Ly’ondes, 04 78 33 82 63 (le lundi et mardi de 10 h à 13 h) ou sur
associationlyondes.wordpress.com
Tripalium, www.tripalium.org

Pour aller plus loin
« Fabriquer l’acceptabilité sociale des nouveaux OGM », Danièle Gonzalez, Silence, n°456, mai 2017.

Contre la 5-G
Actuellement, le mouvement contre l’implantation de la 5g fait partie de ces luttes qui se structurent et se développent partout en France, et qui ont grand besoin de ces positions radicales que nous défendons. Si vous voulez prendre part à ce mouvement, nous vous invitons à se rapprocher des coordinations anti-5g qui fleurissent un peu partout dans le pays.
Coordination des anti-compteurs communicants
https://collectif-accad.fr
contact@listes.collectif-accad.fr

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer