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La lutte contre l’obsolescence enfin programmée à l’agenda politique

Anne Michel

Pourtant considérée comme un fléau écologique, l’obsolescence programmée est restée de nombreuses années sans être prise au sérieux par les différents gouvernements qui se sont succédés.

L’obsolescence programmée regroupe "l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement" (1).

Selon l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée), 3 types d’obsolescence peuvent être distingués (2) :
- l’obsolescence technique : elle s’applique lorsque la durée de vie d’un composant essentiel est limitée ou lorsque ce composant est inaccessible, empêchant la réparation du bien
- l’obsolescence logicielle : elle consiste à rendre incompatible un appareil et le logiciel qui doit le faire fonctionner, en faisant pression sur le consommateur pour qu’il mette à jour le logiciel, en limitant la durée du support technique par rapport à la durée d’utilisation réelle
- l’obsolescence esthétique : il s’agit, pour une entreprise, de créer un effet de démodage en vantant l’amélioration de la performance des nouveaux modèles, incitant le consommateur à acheter sans cesse le dernier mis en vente.

Des débuts encourageants

En France, la loi sur la transition énergétique de 2015 officialise le délit d’obsolescence programmée (1). Tout fabricant reconnu coupable de ce délit est susceptible d’être puni de 2 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende. La somme peut être majorée et atteindre 5% du chiffre d’affaires annuel. L’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) a profité de cette opportunité pour réunir environ 15 000 témoignages qui ont permis d’étayer, en juillet 2018, 2 plaintes, contre Apple et contre les fabricants d’imprimantes. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a condamné Apple, le 7 février 2020, à payer 25 millions d’euros (3). L’administration française a donc reconnu les pratiques trompeuses du fabricant de smartphones.

Aller plus loin avec la mise en place d’un indice de réparabilité et de durabilité

Mardi 21 janvier 2020, l’Assemblée nationale a voté la mise en place d’un indice de réparabilité destiné aux appareils électriques, électroniques et électroménagers (4). Concrètement, qu’est-ce que cela va changer ? A partir de 2021, un vendeur sera contraint de fournir à ses clients, avant leurs achats, le détail de la note de réparabilité de chaque produit en vente. Basé sur 10 critères uniformisés à l’échelle nationale, l’indice sera présenté sous forme d’une note sur 10. Parmi eux, le prix des pièces détachées, la facilité et rapidité de démontage du produit ou encore l’accès du professionnel de la réparation aux logiciels (5). Mais, tout manquement à ces obligations d’information est passible “d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale”, ce qui est très faible à l’échelle d’une chaîne de distribution. Encensé par le gouvernement, l’indice de réparabilité n’est en réalité qu’une première étape avant d’évoluer vers un indice de durabilité. Ce dernier sera enrichi de "critères de robustesse et de fiabilité", comme l’indique Mme Véronique Riotton, rapporteure du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (6). La France serait alors la première nation à se doter d’un tel indicateur. Cependant, il faudra attendre 2024 pour qu’il voit le jour, du fait de la complexité de sa mise en place par les entreprises.

Encourager la réparation

Pour en finir avec le « tout jetable », les fabricants devront proposer des pièces détachées pendant une certaine durée de temps après achat. Celle-ci est portée à 5 années pour les smartphones et les ordinateurs. Le délai pour fournir ces pièces est raccourci de 60 à 15 jours. Afin d’encourager le marché de seconde main, des mesures prévoient également l’extension des garanties légales de conformité pour les produits d’occasion ou après la réparation d’un produit encore sous garantie. Autre point positif, un fonds de soutien à la réparation sera financé par les fabricants et permettra aux consommateurs de diminuer leur facture. Mais seuls des réparateurs labellisés par l’Etat et contraints de respecter des engagements (taux de marge, garanties...) seront susceptibles d’offrir cette prise en charge partielle du montant par le fonds. Enfin, seront interdites les mesures visant à rendre irréparable un bien tel que le collage des composants entre eux.

Des trous dans la raquette

Selon l’association HOP qui a participé à l’écriture du texte de loi, "plusieurs thèmes ont été négligés par le texte : c’est notamment le cas de l’obsolescence logicielle".
Également mise en cause, l’insuffisance de mesures contre l’obsolescence esthétique et les publicités incitant à surconsommer. Supprimer ce type d’obsolescence demande un véritable changement culturel dans notre manière de consommer. Le gouvernement répond partiellement à cette demande en interdisant “les publicités incitant à détruire des produits en état de marche" (tel que les primes à la casse promues par l’Etat) et les “publicités trompeuses sur les promotions du Black Friday".

Un véritable changement à venir ?

Bien que cette loi pose les jalons d’une véritable lutte contre l’obsolescence programmée, de nombreuses modalités d’applications seront définies uniquement dans le décret. Or, s’il est trop vague ou que la sanction prévue dans le cas de non-respect d’une mesure est insuffisante, alors il y a fort à parier qu’il soit ignoré par de nombreux fabricants. Sommes-nous certain.es que l’indice de réparabilité sera calculé de la même façon par tous les fabricants ? Qu’il sera facilement accessible au consommateur ? Quelles seront les sanctions pour une entreprise qui ne respecte pas la loi ? Sera-t-il aisé, pour un⋅e client⋅e, de prouver qu’une entreprise n’a pas tenu ses engagements ? Les conditions d’accès au réseau de réparateurs labellisés par l’Etat permettront-elles à une petite entreprise de réparation d’en bénéficier ?
Autant de questions auxquelles nous ne pouvons pas encore répondre. L’échiquier est en place, mais la partie ne pourra démarrer qu’une fois le décret d’application publié. Ensuite, il faudra vérifier que toutes les participant.es respectent les règles, ce qui n’est pas forcément joué d’avance. La partie est donc encore loin d’être terminée.

(1) Définition de l’obsolescence programmée selon l’article 99 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

(2) HOP, https://www.halteobsolescence.org

(3) Communiqué de presse de la DGCCRF, "Ralentissement du fonctionnement de certains iPhone : une enquête de la DGCCRF conduit au paiement d’une amende transactionnelle de 25 M€ par le groupe Apple"

(4) Assemblée nationale, "Journal Officiel de la République française, XVe législature, Session ordinaire de 2019-2020, Séance(s) du mardi 21 janvier 2020"

(5) Ministère de la Transition écologique et solidaire, Dossier de presse "Pour une économie 100% circulaire - Les mesures phares de la feuille de route"

(6) Assemblée nationale, "XVe législature, Session ordinaire de 2019-2020, Compte rendu intégral, Première séance du lundi 09 décembre 2019"

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