Dossier Alternatives

Longo maï au montois : alternatives agricole et solidaire

François Friche (Moins !)

Sur la carte des alternatives collectives romandes, l’épingle de Longo maï tient bien fermement : par sa longévité pleine d’enseignements, au fil des générations et au-delà des modes ; par sa démarche, alliant recherche d’autonomie par le travail agricole et engagements politiques internationaux ; par son ancrage dans la communauté locale, dans un village qui trouve un nouvel élan depuis quelques années.

Quelques virages nous séparent encore de la vallée de Delémont. Le village de Berlincourt est derrière : voici Undervelier qui abrite trois centaines d’habitant·es au pied des collines jurassiennes, dans un paysage de début d’automne. Immédiatement à droite en arrivant, la route du Montois nous guide le long d’un ruisseau. Dans un jardin potager, des enfants cueillent des cotes de bettes qui font le double de leur taille. C’est un signe : nous sommes arrivé·es à la ferme de Longo maï, lieu de labeur, de passage et d’énergie. Le « café » au lupin est servi…

Travail de la terre

Laura, arrivée il y a quelques années, et Raymond, habitant de la première heure, nous accueillent aujourd’hui sur ce terrain de 11 ha. « Ce domaine agricole est très petit pour la Suisse, explique Raymond. Mais il est diversifié, avec des terres très différentes, certaines plus facilement cultivables que d’autres. » Et pourtant, la liste des activités agricoles est longue : fruits, légumes, poules et moutons, ruches (une trentaine), pommes de terres, le tout en bio depuis le début. Les moutons, entre 50 et 80 bêtes (« élevées dans des conditions correctes »), donnent principalement de la viande mais aussi de la laine, qui part ensuite à la filature de Chantemerle, en France, pour être filée avant de revenir sous forme de pulls, écharpes et autres habits chauds. À cela s’ajoutent depuis peu les plantes, cultivées et sauvages, en vue d’un usage cosmétique — pour ne pas dire médicinal. À l’image du repas que nous prendrons à midi, la production sert essentiellement à l’autoconsommation. Elle alimente aussi le bureau de Pro Longo maï à Bâle. Par ailleurs, les surplus de production partent en vente directe au marché de Delémont, aux marchés de Noël et via le réseau des Saveurs de saisons, qui relie les product·rices et consommat·rices de la région une fois par mois. Enfin, un magasin stocke sur place les produits transformés restants, tout en proposant ceux des autres coopératives réparties dans toute l’Europe.

Énergies renouvelables et humaines

L’autonomie alimentaire est renforcée par la recherche d’autonomie énergétique. Au bas de l’étang rempli par le modeste ruisseau, une turbine hydroélectrique est en fonction depuis 1996. Elle produit près de 100 000 kWh par an : un quart à un cinquième est consommé par les activités diverses de la coopérative, le reste vendu dans le réseau. Depuis 2000, la ferme profite d’une installation solaire thermique (installée par Sebasol) qui chauffe l’eau et alimente un séchoir pour fruits et plantes. Les 2 ha de forêt (une forêt qui a beaucoup souffert d’une tempête en 2018) fournissent le bois de chauffage d’appoint. L’autonomie en énergie : voilà une gageure pour une ferme située dans une vallée sans soleil deux mois par hiver, et que la sécheresse de ces derniers étés n’a pas épargnée…
À la ferme du Montois, il n’y a pas que les énergies qui se renouvellent : les générations aussi ! Comme le raconte Raymond, « l’exposition qui a marqué les 40 ans de Longo maï en 2014-2015 a amené une nouvelle vague de personnes, en visite ou pour habiter ». En plus des nombreuses personnes de passage, la coopérative compte actuellement une douzaine d’habitant·es de tout âge, certain·es comme Raymond (théoriquement !) à la retraite, d’autres avec de jeunes enfants. Et si de nouvelles têtes sont arrivées récemment, d’autres y sont depuis longtemps. C’est le cas de Reto, né à la coopérative il y a une trentaine d’années. Il est le seul aujourd’hui sur le domaine à détenir le diplôme fédéral d’agriculteur, qui permet à la ferme d’exploiter la terre et de toucher les subventions. « Je ne sais pas si je ferai toute ma vie ici, avoue-t-il. Mais pour l’instant, je me sens bien. Avec les dernières nouvelles arrivées, il y a une belle dynamique. » En pratique, tout le monde se retrouve les lundis après-midi pour parler des activités de chacun et chacune, des visites et des travaux. Reto complète : « Le jeudi, c’est jour de ménage et on fait la cuisine à tour de rôle une fois par semaine. » Dans la communauté, les échanges sont ainsi permanents. « Cette envie de faire ensemble donne confiance pour les réunions », souligne Laura. Voilà pour l’organisation interne. À l’externe, des sous-groupes réunissant des membres de chaque coopérative ainsi que différentes commissions (finances, agriculture…) collaborent sur des projets communs. Et deux fois par an ont lieu les rencontres intercoopératives.

Longo maï, réseau européen

Dans l’élan des utopies liées à Mai 68, le premier projet Longo maï  Pourvu que ça dure », en provençal) se concrétise en 1973 à Limans, en Provence, avant de faire des petits. Aujourd’hui, ce sont environ 200 adultes et 100 enfants qui se répartissent dans dix coopératives entre France, Suisse, Allemagne, Autriche et Ukraine. De Limans partent aussi les ondes d’une radio libre et autogérée, Radio Zinzine. À Bâle, le bureau de Pro Longo Maï assure le travail d’information et de relais auprès des personnes de soutien. La ferme du Montois est donc la fière représentante helvétique d’un réseau européen. Raymond revient sur son histoire : « Avant de venir ici, nous avons tenu une ferme dans la vallée de la Brévine [la »petite Sibérie de la Suisse« , ndlr] pendant 13 ans. Le projet était apprécié et appuyé : ‘Des jeunes retournent dans les régions de montagne’, disent les médias de l’époque.  » Mais, à la fin des années 1970, une violente campagne de presse brise cet enthousiasme initial : « En France, on reproche à Longo maï d’être une secte ; en Suisse, de mal utiliser l’argent récolté.  ». Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts…
Pratiquement, tout a été refait ou presque depuis l’achat en 1986 du terrain du Montois — sur lequel se trouvait alors une ferme en ruines —, acquis grâce à des soutiens divers. Mais certaines préoccupations sont constantes : « Nous avons toujours connu les mêmes difficultés que celles de tous les paysan·nes de montagne, raconte Raymond, et la pression économique permanente sur les prix des produits agricoles. Ici, nous avons mis la priorité sur la question de la bonne utilisation des ressources. L’avenir de l’agriculture est là : maintenir la fertilité des sols. Ce changement radical d’orientation a été opéré dès le début à Longo maï. »

Engagements internationaux

Et les engagements des débuts n’ont pas changé, comme le résume Raymond : « Longo maï est bâti sur deux piliers principaux : produire sur place un maximum de nourriture par et pour nous-mêmes, et soutenir les luttes qui nous touchent, notamment celles qui concernent des personnes exclues d’une façon ou d’une autre de la société. » Ainsi, en parallèle au travail de la terre, Longo maï s’engage politiquement, à une échelle internationale : lettres, diffusion d’informations, soutien financier, actions, rencontres, travail avec des parlementaires… Via le Forum civique européen (un « réseau international de solidarité »), plusieurs campagnes liées à la migration sont menées de front actuellement : à Rabat, au Maroc, pour l’agrandissement d’une maison-refuge pour des exilées et leurs enfants ; à Riace, en Italie, pour le soutien au village qui est devenu un modèle d’accueil de migrant·es, modèle mis en danger par l’extrême droite italienne qui a notamment écarté le maire Lucano ; en Bosnie, pour la mise sur pied d’enquêtes dans les camps de réfugié·es à la frontière croate. D’autres actions concrètes et symboliques ont été menées, comme la remise du prix « Alpes Ouvertes 2019 » aux sept de Briançon.

Richesses locales

Longo maï, c’est ce solide et stimulant équilibre entre international et local ! À Undervelier, la coopérative est engagée dans sa région : au niveau agricole, elle est présente au Comité bio Jura, dans l’Association de permaculture de l’arc jurassien, dans la Plateforme pour une agriculture socialement durable ; dans une perspective civique et sociale, elle participe notamment au Groupe d’accueil réfugié·es et au Comité jurassien de soutien aux sans-papiers. L’engagement se fait aussi à l’échelle du village même : un membre de la coopérative assiste au conseil général, d’autres envoient leurs enfants à l’école de la commune et collaborent depuis peu à des activités festives autour du récent investissement par un collectif militant de l’hôtel du Pichoux, jusqu’alors abandonné. Collectif UnderAction, festival UnderSound, lutte contre les projets de géothermie profonde, projet de pharmacie ouverte de plantes médicinales… : les alternatives engagées se multiplient au village. « Il y a quelque temps, un reportage à la télévision suisse romande a déclaré qu’Undervelier était le village le plus pauvre de Suisse », ironise Laura. Nous y avons trouvé au contraire une incroyable richesse. « Pourvu que ça dure… »

Un historique détaillé de l’histoire de Longo maï a déjà été publié dans Silence, no 192-193, été 1995. Ce numéro est téléchargeable sur notre site internet. Le no 458 (été 2017) présente les coopératives de Longo maï dans les Alpes-de-Haute-Provence.

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