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Dix propositions pour une révolution agroécologique

Danièle Garet

Spécialiste engagé de l’agroécologie, Marc Dufumier appelle à la révolution agroécologique, seule capable de répondre à un ensemble d’enjeux complexes (alimentation, santé publique, environnement, inégalités Nord-Sud et problèmes migratoires etc.). Comment s’y prendre ? Sa réponse en 10 propositions.

« L’agroécologie peut nous sauver », tel est le titre explicite de l’ouvrage dans lequel Marc Dufumier (1) livre sa vision sur le changement radical de modèle agricole qui s’impose à nous. Une vision corroborée par le rapport spécial du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) du 8 août 2019 qui souligne notre dépendance, dans le contexte climatique actuel, envers la qualité des sols. Le rapport montre qu’un quart des terres de la planète est déjà dégradé et qu’un changement de modèle agricole et de modes d’alimentation serait une solution efficace face au réchauffement. La liste de 10 propositions pratiques de Marc Dufumier s’inscrit bien dans cette analyse.

  • 1. Renégocier tous les accords de « libre-échange » qui ont été forgés au sein de la Commission européenne. Celle-ci a notamment imposé des Accords de partenariat économique (APE) à de nombreux pays du Sud, à leur détriment. Il faut viser une meilleure équité et une meilleure rémunération des agriculteurs et agricultrices de ces pays, aujourd’hui souvent condamné·es aux migrations.
  • 2. Se protéger des importations de produits transgéniques en provenance des méga-exploitations états-uniennes, canadiennes, argentines ou brésiliennes. C’est-à-dire dénoncer ou renoncer aux différents traités de libre-échange : le CETA entre le Canada et l’Union européenne, le TAFTA transatlantique, mais aussi les accords de Blair House qui empêchent, depuis 1992, l’imposition de droits de douane pour le soja en provenance de ces régions. En parallèle, il faut sortir d’une filière d’élevage industriel dépendante du soja transgénique par la relance de la culture de légumineuses, pour nourrir les animaux mais aussi directement les humains.
  • 3. Réorienter les 9 milliards d’euros de subventions de la PAC (Politique agricole commune). Actuellement, elles sont proportionnelles aux surfaces cultivées et bénéficient surtout à l’agriculture dite conventionnelle. Or il faudrait les allouer en priorité aux agricultures paysannes inspirées de l’agroécologie.
    Elles devraient aussi rémunérer les contributions à l’intérêt écologique général de ces formes d’agriculture (haies vives et aires fleuries pour abriter les insectes pollinisateurs par exemple). Cela pourrait passer par des contrats entre les exploitations agricoles et les collectivités territoriales, pour une bonne adaptation aux contextes locaux.
  • 4. Encourager les produits bio dans l’ensemble de la restauration collective (établissements scolaires, hospitaliers, pour personnes âgées etc.). Ce secteur, qui fournit 3,2 milliards de repas par an, pourrait ainsi contribuer fortement à l’accès au bio dans toutes les couches de la population. Le surcoût du bio pourrait être financé par la PAC : une subvention de 50 centimes par repas (soit 1,6 milliards d’euros au total/an) versée aux exploitations bio suffirait pour offrir une alimentation saine sans augmentation de prix. Par ailleurs, le surcoût pourrait être réduit par des politiques d’achats locaux, en circuits courts, ainsi que par la lutte contre le gaspillage.
  • 5. Taxer les engrais de synthèse et les pesticides. Ces taxes inciteraient à la culture de davantage de légumineuses, afin de fertiliser les sols en azote, par la voie biologique et non plus chimique. Par ailleurs, du redéploiement de la culture des légumineuses (largement abandonnée en France et en Europe) dépend notre autonomie en protéines végétales locales, celles dont nous avons tout intérêt à augmenter notre consommation.
  • 6. Encourager les couplages agriculture et élevage par des mesures administratives et financières. Ils permettent l’utilisation intelligente des résidus des cultures et du fumier (réduisant l’usage d’engrais de synthèse), évitent les pollutions dues aux lisiers (par des animaux élevés sur paille) et réduisent les émissions de gaz à effet de serre.
  • 7. Réorienter les recherches de l’INRA en direction de l’agroécologie scientifique. La fonction de la recherche en agriculture doit être totalement repensée dans ses objectifs et pour prendre en compte les pratiques et savoir-faire paysans.
  • 8. Intégrer l’enseignement de l’agroécologie dans toute la filière, depuis les lycées agricoles jusqu’aux établissements d’enseignement supérieur.
  • 9. Favoriser la mise en place de circuits courts.
  • 10. Lancer enfin une grande campagne d’éducation civique pour améliorer l’alimentation quotidienne et lutter contre les affections chroniques que sont le diabète, l’obésité, les problèmes cardio-vasculaires etc. Il s’agirait d’expliquer l’intérêt d’un rééquilibrage des repas avec moins de viandes rouges et de plats préparés industriels et davantage de légumes et légumes secs. Lutter contre la malbouffe et ses multiples conséquences est aussi une affaire d’éducation.

Danièle Garet

(1) Marc Dufumier est ingénieur agronome, docteur en géographie, professeur d’agriculture comparée à AgroParisTech et président de Commerce équitable France.

L’agroécologie peut nous sauver
Marc Dufumier, Olivier Le Naire
Sous la forme vivante d’entretiens, le spécialiste engagé de l’agroécologie,Marc Dufumier nous livre un programme large et cohérent (« les cinq voies de la sagesse ») pour changer radicalement de modèle agricole.
Éd. Actes Sud, 158 p., 2019, 18,50 €

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