Dossier Alternatives Notre-Dame-des-Landes

Réussites et échecs de l’autogestion dans la ZAD

Martha Gilson

Max et Virginie ont installé leur jardin aromatique et médicinal, Le Très petit jardin, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2016, marquant ainsi leur soutien à la lutte contre le projet d’aéroport, leur certitude de gagner et leur envie de partage et de pratiques autogestionnaires. Un an après la « victoire », qu’en est-il ?

Silence : Comment et quand êtes-vous arrivé·es dans la ZAD ?

Virginie et Max : Nous étions installé·es en 2012 à 50 km, à Sainte-Anne-sur-Villaine, en tant que producteurs de plantes. En parallèle, nous étions investi·es depuis des années dans la lutte contre le projet d’aéroport : nous étions présent·es et acti·ves sur place pour les moments forts. Nous avons finalement décidé de nous installer dans la ZAD en 2016. On est d’abord allé·es rencontrer les occupant·es et des groupes constitués comme COPAIN (1), qui réfléchissaient à la préservation du foncier agricole, et ceux qui faisaient de l’agriculture collective dans la ZAD. On a présenté notre projet, puis nous avons choisi ensemble un endroit où nous pouvions nous installer.

S’installer dans la ZAD

Comment s’est passé votre installation ?

On s’est installé·es comme les autres occupant·es : en toute illégalité. Bien qu’on soit resté inscrit·es à la mutualité sociale agricole (MSA), on était à ce moment-là des squatteus·es comme les autres. Ç’a été notre façon de lutter à nous, notre pari. On a pris la décision d’installer notre activité agricole dans la ZAD juste avant le référendum de juin 2016 et, malgré la victoire du « oui », on a maintenu notre projet. On voulait prouver qu’on était sûr·es que l’aéroport ne se ferait pas. Si nous sommes venu·es, au-delà de la lutte contre l’aéroport, de la volonté d’apprendre à mieux résister à son monde, c’était aussi pour s’intégrer à des activités collectives, et ça n’a pas été évident.

Quels sont vos liens avec les autres habitantes de la ZAD ?

En arrivant, on a divisé notre production par deux, ce qui nous a permis de construire l’atelier-séchoir, de déménager le jardin et de dégager du temps pour s’investir dans des activités collectives. On s’est investis par exemple dans la CURCUMA, la Coopérative d’usure, de réparation de casse et d’utilisation du matériel agricole.
Mais notre arrivée a aussi été une douche froide. On a reçu un accueil glacial de la part de certaines personnes parce que nous ne nous inscrivions pas dans un projet collectif et que nous avions des activités marchandes. Notre présence a pu être perçue comme l’entrée du loup dans la bergerie : pour certain·es, on incarnait le capitalisme — alors qu’on vit avec l’équivalent du revenu de solidarité active (RSA).

Pour vous, qu’est-ce qui a changé depuis votre installation ?

Nous ne sommes pas un collectif, nous sommes un couple hétérosexuel qui habite et travaille dans la ZAD. Du côté de notre activité agricole, nous avons continué le même projet qu’auparavant. Ce qui a changé pour nous, c’est d’abord que nous avons été beaucoup moins isolé·es. On a évolué depuis qu’on est dans la ZAD. Dès le début de notre installation, toutes les plantes qu’on a vendues sur place sont à prix libre au profit de Sème ta ZAD (2).
Avant notre installation, on pratiquait une activité marchande classique ; la ZAD est une école pour entrer dans une économie collective, du don-contre-don. On continue d’avoir des activités marchandes, on vend nos plantes dans des marchés, mais nos activités sont maintenant plus hybrides. On consacre la moitié de notre temps et de notre énergie à des activités collectives.
Notre parcours est un peu à contre-courant de ce qu’ont fait d’autres personnes, qui ont appris l’agriculture au sein de collectifs et qui aujourd’hui ont des pratiques plus individualistes, plus légalistes aussi — ce sont souvent des personnes qui ont obtenu des baux avec les négociations du printemps 2018.

Le 17 janvier 2018 a été annoncé l’arrêt du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Après la joie, une intervention militaire démesurée a eu lieu puis la voie des négociations s’est ouverte. Où en est-on aujourd’hui ?

C’est sûr que maintenant, à l’été 2019, on ressent un apaisement. Notre situation est moins précaire du fait des baux agricoles, l’intervention militaire s’est arrêtée, nos activités sont sécurisées. Pour l’instant, 13 baux ont été signés pour les 15 ou 16 activités qui ont obtenu une convention d’occupation précaire (COP). Nous avions engagé les négociations en promettant de ne rien signer si cela n’allait pas dans l’intérêt de tout le mouvement. La peur et la confusion nous ont fait renoncer à cette promesse et nous n’en sommes pas fièr·es.

Ce qui a changé

Il y a eu une régularisation de la ZAD : ce n’est plus une zone pirate. Mais la façon dont on la présente aujourd’hui est une façade médiatique. Une quinzaine de personnes ont désormais le droit d’exploiter légalement les terres, alors que le reste des 150 habitant·es n’ont pas plus de droits qu’en 2017.
Ce qui a changé, c’est qu’il n’y a plus de prises de décisions vraiment horizontales à l’échelle de la ZAD. Il y a encore des instances décisionnelles collectives, mais elles ne représentent pas toute la zone. Cette évolution est une grande déception pour nous, parce qu’on s’est installé·es ici aussi pour expérimenter l’autogestion. Des pratiques autogestionnaires fonctionnaient avant le printemps 2018, en tout cas on essayait, des personnes œuvraient pour l’horizontalité. Mais certains groupes ont pris le pouvoir et flingué délibérément cette dynamique collective (3).

Une partie des habitant·es ont aujourd’hui quitté la zone tandis que d’autres s’installent plus légalement. Au milieu de tout ça, comment va Le très petit jardin ?

On est à fond dans notre saison de récolte. À titre personnel, on a un outil de travail rêvé, un jardin magnifique, un hangar qui fonctionne bien. On organise des chantiers collectifs pour notre jardin (souvent le mardi matin), et toutes les semaines on a du monde, que ce soient des personnes de passage, des gens de Nantes ou des habitant·es de la zone. Il y a sur le territoire de la ZAD un maillage très dense, on peut facilement ouvrir son activité sur l’extérieur et montrer, rendre accessible aux personnes qui le souhaitent des petits bouts d’agriculture permacole.
On participe aussi toujours à plusieurs dynamiques collectives, comme les permanences de phytothérapie, qui sont une émanation du « groupe plantes », à la cabane médicinale. Il existe encore une véritable autogestion du quotidien, logistique. On fait du maraîchage collectif au Rouge et Noir, par exemple. On participe au collectif un jour par semaine, quatre ou cinq référent·es définissent les choses à faire dans le potager, qu’on se répartit. Le potager nourrit les personnes qui y travaillent, mais il alimente aussi une cantine solidaire à Nantes, L’autre cantine (4). Après, dans chaque lieu de vie, les personnes s’organisent puis se coordonnent avec d’autres lieux, à travers des groupes, comme le « groupe huile » ou le « groupe patate ». Ce sont les organes de pouvoir au niveau de la ZAD qui sont noyautés : le « groupe presse », le « groupe com », ou encore l’Assemblée des usages. On s’organisait auparavant pendant la Réunion des habitants. Elle n’a plus été reconnue par certain·es et c’est aujourd’hui au sein de l’Assemblée des usages qu’on devrait s’organiser. Mais c’est une autre gouvernance, qui se rapproche plus d’une assemblée de groupes de pression. Une personne qui arrive seule ne sera pas entendue.

Comment appréhendez-vous les temps qui viennent ?

Nous ne voulons pas servir un projet carte postale, en incarnant un projet « propre », « bobo ». Nous ne voulons pas que la ZAD se transforme en écovillage alternatif. Depuis le printemps 2018, il y a eu un fort appauvrissement de la mixité sociale dans la ZAD. Nous aimerions retrouver des dynamiques autogestionnaires, qu’il y ait davantage d’attention à chacun·e et un travail sur les rapports de domination et l’inclusivité.

Propos recueillis par Martha Gilson

(1) En 2011 se crée le Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport (COPAIN 44), en solidarité avec les paysans « irréductibles » qui refusent de laisser leurs terres à Vinci.
(2) Sème ta ZAD, né après les expulsions de 2012, se rassemble autour d’une assemblée ouverte à tou·tes pour discuter de la politique liée à l’occupation agricole de terres, pour se coordonner dans les cultures et la logistique.
(3) Voir la brochure « Des dynamiques inhérentes aux mouvements de contestation » sur https://nantes.indymedia.org
(4) Voir Silence no 473, décembre 2018, « Nantes : l’autre cantine cuisine pour les migrant·es ».

Contact : letrespetitjardin.net
 


En Rouge et Noir…
Entre la boulangerie des Fosses noires et la cabane collective des Vraies Rouges, le collectif maraîcher Rouge et Noir cultive depuis 2012 un champ dans la ZAD. Composé de cinq personnes référentes, le collectif anime des chantiers collectifs qui rassemblent chaque mercredi une quinzaine de personnes. « On gère l’arrosage, les semences, on prend soin des cultures pendant la semaine, précise l’un de ses membres. On n’est pas arrivé·es avec une formation en paysannerie, on avait lu des livres, et ce sont des paysans autour de nous qui nous ont aidé·es au début. » Rouge et Noir voit l’occupation maraîchère comme outil central pour la défense des terres agricoles et contre le bétonnage. « Notre but n’est pas l’autosuffisance alimentaire : on produit des légumes pour pouvoir les donner, les partager, approvisionner des cantines populaires. On ne cherche pas à faire des conserves ! Cultiver ce champ, c’est la possibilité de partager des savoirs tout en construisant une alternative au système alimentaire actuel. On s’inscrit dans une démarche politique plus large et on veut préserver du temps pour aller en manif par exemple. On a tendance, dans les discours, à séparer les personnes qui ont lutté contre les expulsions et celles qui font du maraîchage, alors que ce sont les mêmes ! L’occupation maraîchère est un de nos outils de lutte contre le système capitaliste. »

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