Dossier Alternatives

Prendre le temps de s’habiller

Martha Gilson

On ne va pas déstabiliser l’industrie du textile en refusant d’acheter une paire de chaussettes. Mais il y a quand même d’autres options que de renouveler trois fois par an ses robes en grande surface. Entre les adeptes du coton bio et les inconditionnel·les des friperies, quelles sont les alternatives les plus écolos ?

Des habits écologiques, durables, réparables, abordables, locaux… et beaux ! : le rêve ! Difficile de cumuler tous ces critères dans un pull, mais vous avez le choix des pas de côté.

Les marques éthiques pour qui peut se les offrir

Face aux différents scandales qui ont entaché l’industrie textile, les marques éthiques ont le vent en poupe. Des marques comme Patagonia ou Veja ont choisi de s’appuyer sur des filières intégrées et d’opter pour des matières biologiques. Les chaussures Veja, par exemple, sont fabriquées au Brésil, pays qui produit du coton et du caoutchouc sauvage et où il existe une culture syndicale. Le résultat : des vêtements et chaussures de qualité, en partie en matière naturelle, avec la garantie d’un revenu minimum pour les salarié·es.
Plus locale, Modetic est une boutique de vêtements issus du commerce équitable et/ou fabriqués à base de textiles bio, créée à Romans-sur-Isère (Drôme) en 2007. Parallèlement, Thomas, le fondateur, lance en 2013 la marque 1083. Sachant que 1083 km seulement séparent les deux villes les plus éloignées de l’hexagone, son idée était de relocaliser à moins de 1083 km du lieu de vente la fabrication de jeans et de chaussures. Le jean « made in France » est vendu une centaine d’euros.
Plus ou moins internationales, ces entreprises ont le mérite de rendre publiques leurs pratiques en matière de protection de l’environnement et leurs conditions salariales, ainsi que de revaloriser les filières biologiques ou de recyclage. Elles restent peu accessibles à un grand nombre de porte-monnaie, bien qu’elles insistent sur la qualité et la durabilité de leurs produits. D’autre part, elles évoluent dans une logique d’accumulation de capital, Veja étant présente à l’international et affichant une croissance annuelle de plus de 30 %.

L’artisanat local toujours vivant

À côté de ces « success story » écolos, des petits artisanats, travaillant notamment le cuir, vendent localement des chaussures et des vêtements. Impossible d’en faire la liste, mais à Nantes comme à Paris ou à Limoges, vous trouverez des chaussures fabriquées sur place, des artisan·es qui revendiquent la réappropriation d’un savoir-faire et des produits uniques. Autre marché de niche, cet artisanat s’adresse à une clientèle qui est prête à payer pour des produits durables, mais aussi pour la sauvegarde d’un artisanat textile traditionnel. Chaque année, beaucoup de toutes petites marques apparaissent. Toutefois, le marché des vêtements cousus main est très concurrentiel et il est difficile de vivre de la fabrication d’habits, car les prix élevés pour se procurer des matières premières de qualité et s’assurer un salaire décent sont, la plupart du temps, décourageants.

Les frip’ : c’est pas bio, mais c’est écolo !

À l’opposé d’une mode éthique créatrice de vêtements bio, les friperies offrent la possibilité de donner une seconde vie aux vêtements, souvent de marques de la grande distribution. Acheter d’occasion en friperie est même devenu à la mode quelles que soient ses ressources, alors qu’il n’y a pas si longtemps c’était une pratique qui rendait surtout service aux petits revenus. Le vintage est tendance, et les préoccupations écologiques plus présentes… (1)
Mais d’où viennent ces vêtements ?

Les friperies : la partie visible du recyclage

La surabondance de production de vêtements et les prix toujours plus bas ont modifié l’économie du don. Il est aujourd’hui plus facile de se procurer des habits peu chers, et les vêtements collectés sont de plus en plus nombreux… mais de moins en moins bonne qualité. Sur les 600 000 tonnes de textiles, linge et chaussures mises sur le marché chaque année en France (soit 9, 2 kilos par habitant·e), un tiers sont collectées pour être revalorisées. Selon l’organisme Eco TLC, ce sont ainsi 195 000 tonnes qui sont récupérées : 62 % sont revendues dans des friperies, en France ou à l’étranger, 22 % sont effilochées (pour fabriquer des isolants ou des fibres de moindre qualité), 9, 5 % deviennent des chiffons et 6 % sont incinérées.
Il existe une véritable filière de la collecte et du tri des vêtements usagés, entre associations caritatives et boutiques privées. En France, 80 % de l’activité de tri et revalorisation des textiles est assumée par l’économie sociale et solidaire, et on trouve facilement en ville des bennes ou des structures où déposer ses textiles usagés.
Dès 1984, la communauté Emmaüs a cherché un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et s’est tournée vers la collecte et la valorisation textile en créant le Relais. À travers leurs friperies solidaires Ding Fring, vous pouvez trouver des vêtements de seconde main à bas prix, tout en finançant l’insertion de personnes en situation d’exclusion. D’autres friperies solidaires sont portées par le Secours populaire ou des initiatives plus locales. Enfin, des friperies « classiques » surfent sur la vague vintage sans réinvestir dans l’insertion, mais en proposant des vêtements rétro.
En s’habillant avec des vêtements de seconde main, on abandonne le soutien à la fabrication de vêtements éthiques pour privilégier le réemploi, quitte à arborer des marques de la grande distribution.

On trouve des vêtements partout

Le marché du vêtement, d’hier ou de demain, est donc bien vaste. Il existe aussi une économie de la fringue en dehors de ces circuits. Brocantes, vide-greniers ou autre troc-fringues entre ami·es sont autant de manières de redonner un second emploi à des vêtements que l’on ne met plus.
N’oublions pas qu’avant de les donner, s’ils sont abîmés, on peut aussi réparer ses vêtements, et qu’un ourlet n’est pas si difficile à réaliser. C’est même l’occasion de personnaliser ses vêtements, en les teignant dans une couleur plus foncée s’ils sont tachés par exemple, ou en ajoutant des formes de couleur sur un trou.

L’achat en ligne : la fausse bonne idée ?

Le marché des vêtements usagés s’est aussi fortement développé sur internet. Vinted, le Bon Coin, Videdressing ou Vestiaire Collective proposent, à l’instar d’un site comme BlablaCar pour les trajets automobiles, de mettre en lien des particuliers qui vendent leurs vêtements avec d’autres qui souhaiteraient les acheter. Prix cassés, échanges entre particuliers, l’idée semble bonne. Mais, bien que l’on puisse choisir la remise en main propre, l’échange se fait souvent par voie postale, et ces plateformes poussent à un renouvellement des placards toujours plus rapide, sans réflexion sur nos modes de consommation jetable, quand elles ne prennent pas une commission sur nos achats. On préférera l’annonce dans le commerce du coin, ou l’échange avec le voisinage !

Le fait maison : pour les passionné·es !

Pour les plus aguerri·es, les vêtements seront cousus main. Se pose alors la question de la provenance des textiles et des fils et, là encore, le choix entre tissu bio ou de récup, qui peut s’avérer cornélien. Selon les matières achetées, il n’est pas forcément rentable de coudre ses habits. Clara, 23 ans, s’est mise à la couture dès 10 ans. « Aujourd’hui, je couds quasiment tous mes vêtements. J’en fabrique pour moi mais aussi pour les autres, et je me suis aussi lancée dans les costumes sur mesure. » Clara laisse son inspiration la guider et réexploite d’anciens draps ou des vieux vêtements pour donner vie à des robes aux mouvements endiablés. « Lorsque je fais des vêtements sur mesure pour d’autres personnes, les réactions sont impressionnantes. On n’a pas l’habitude de porter un vêtement qui est fait à notre corps, comme une seconde peau. » Coudre donc, pour soi-même et pour les autres. « On ne peut pas tous savoir tout faire, proclame Clara, je suis heureuse de partager mes créations ! »

Tout est dans le nombre

Il est certain qu’acheter des vêtements en matières naturelles et produits localement assure une plus grande qualité qui permet à ces derniers de « durer » plus longtemps. Acheter moins, même si c’est plus cher, peut s’avérer rentable à terme, et oblige à questionner notre rapport à la nouveauté et au changement. Pourquoi suivre le diktat des modes éphémères ? La clé est dans une certaine sobriété dans le nombre d’habits accumulés.

Martha Gilson

(1) Il faut tout de même distinguer la mode du vintage, qui mène à vendre des vêtements de marque de seconde main assez chers, et les friperies populaires, véritablement intéressantes économiquement, mais qui offre souvent des vêtements de moins bonne qualité.


L’habit ne fait pas l’écolo
Il y a toute une signification sociale et des imaginaires liés à la façon dont nous nous habillons. L’habit est aussi culturel et marque une appartenance sociale. On aura tendance à considérer comme plus écolo une personne habillée en lin coloré, avec des habits un peu amples, que celle qui a choisi un survêtement ou des paillettes. Ce sont des préjugés, et les paillettes ont peut-être été récupérées lors d’un troc, lorsque le tee-shirt à l’effigie de Che Guevara a pu être produit au Bangladesh. Attention, donc : n’est pas toujours écolo qui l’affiche, et vice versa !
Au-delà de l’écologie, la façon de s’habiller est aussi un terrain de lutte multiple. Pendant la Révolution française, lorsque certaines femmes commencent à le porter, le pantalon est un symbole du féminisme. En 1800, le gouvernement, choqué, met en place un règlement qui oblige les femmes voulant porter un pantalon à se rendre à la préfecture pour demander « l’autorisation de s’habiller en homme ». Le travestissement est alors sanctionné. Le choix de porter un pantalon est donc le résultat d’un combat de plus de 200 ans et, même si elle n’avait pas été appliquée depuis des années, cette ordonnance n’a été abrogée qu’en 2013 !

Il existe énormément de marques éthiques, plus ou moins locales, et nous ne pouvons pas toutes les citer ici. Nous vous encourageons à faire attention aux labels et autres étiquettes, mais surtout à vous renseigner sur les vêtements que vous achetez : certaines enseignes mettent à disposition leur charte éthique ou peuvent vous renseigner en magasin !

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer