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À ta santé...

Stephen Kerckhove

La banquise disparaît, le permafrost fond, les forêts sibériennes partent en fumée, notre planète en surchauffe bât record de chaleur sur record de chaleur ; la liste des conséquences du dérèglement climatique s’allonge de jour en jour sous nos yeux ahuris. Notre maison brûle. A une vitesse que même les plus pessimistes des expert·es du climat n’imaginaient pas. Et nous continuons à regarder ailleurs. Par dénis, confort, habitude ou lassitude.
Pire, la fin du monde représente une opportunité pour un quarteron de capitalistes sans foi ni loi. Capitalistes qui versent dans un nihilisme le plus débridé. L’enjeu est ainsi de profiter jusqu’à la lie d’une destruction systématique des écosystèmes. Le Groenland disparaît ? Qu’à cela ne tienne ! Sortons les pelleteuses pour arracher quelques tonnes de glace, la faire fondre, l’embouteiller et la vendre à prix d’or dans quelques épiceries de luxe fréquentées par quelques happy few endimanchés. Cette eau d’iceberg est, parait-il, pure, sans trace de la pollution humaine puisque datant de plusieurs milliers d’années avant notre ère. Dix euros la bouteille d’iceberg, extraite à 8 000 kilomètres de son lieu de vente, un bilan carbone qui participe à la fonte de la banquise qui sera ensuite embouteillée… « Cercle vertueux » oseront certain·es ; économie circulaire ajouteront les promot·rices d’une écologie allégée en radicalité !

Vendre de l’eau d’iceberg, un délice pour les capitalistes

Partant du principe que tout ce qui est rare est cher, un capitaliste verra toujours d’un bon œil une ressource qui s’amenuise car son prix augmentera. Un destructiviste gagne donc sur les deux tableaux, en détruisant puis en vendant l’eau ou l’air qui n’aura pas été pollué.
Avec force marketing, il pourra même vous laisser croire qu’il vous accorde une faveur en vous vendant de l’eau pure. La force du système capitaliste est de normaliser ce qui est et demeure un accident de l’histoire. Payer pour boire de l’eau non polluée ou se nourrir d’aliments non contaminés force finalement le respect car cela démontre notre aptitude à intérioriser l’inacceptable. Dans un monde qui se serait libéré du conditionnement publicitaire, vendre de l’eau devrait être considéré comme un scandale absolu !
Se nourrir, boire, dormir, aimer ou respirer sont des besoins vitaux, élémentaires. L’eau, comme l’air sont des biens communs. En les polluant, ils acquièrent une rareté qui fait le délice des capitalistes. Les prix explosent, une segmentation opère et seuls quelques riches peuvent encore avoir le plaisir d’accéder à des produits sains. L’eau pure acquiert ainsi une valeur objective et subjective. Car boire de l’eau d’iceberg, c’est avant toute chose se distinguer, accéder à une petite minorité qui pense mériter le droit de détruire tout en regardant avec condescendance ce bas peuple intoxiqué.
Mais la grande habilité de ce système mortifère est d’offrir une issue à chaque catégorie sociale, lui laissant croire subjectivement qu’elle fait partie des privilégiés. Pendant que chacun·e scrute son ou sa voisine ou collègue, le capitaliste engrange les bénéfices et anticipe sa prochaine mue. Lui aussi trinque à la santé de cette crédulité qui lui permet de s’enrichir en vendant de l’eau d’iceberg !
Viendra sans doute le jour où nous regarderons ces errements avec horreur, questionnant les raisons qui ont pu justifier de tels agissements ! Au nom d’une construction idéologique qui a nécrosé les moindres recoins de notre terre, les destructivistes ont réussi le tour de force d’éroder notre instinct de survie en stimulant nos pulsions d’autodestruction.

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