Article Agriculture biologique Alternatives

La ferme Pedronia : y vivre et s’y ressourcer

Marie Fleury

Pedronia, c’est d’abord une ferme où vivent une chevrière et ses bêtes, mais c’est aussi le cœur d’un bouillonnement d’activités et de rencontres grâce à l’association Orhantza (le levain, en basque).

Fiche d’identité
Localisation : Lohitzun ● Création : 2010 Statut : associatif et agricultrice ● parfois un.e salarié.e sous forme de contrat aidé, actuellement pas de salarié.e une poignée de bénévoles acti·ves ● Vente de chevreaux et de fromage de chèvre ● 10 hectares, 45 chèvres ● Séjours d‘immersion, accueil, élevage

Une fin d’après-midi du mois de février 2019. Nous commençons par faire le tour des terres d’Anita afin de vérifier qu’une chèvre n’a pas mis bas dans un coin. Dès mon arrivée, Anita m’a appris, fière et joyeuse, la naissance du premier chevreau ce matin. La saison des chevreaux débute, annonçant la reprise de la traite et de la fabrication des fromages, après plusieurs mois de pause. Tout en marchant sur ses terres qui entourent la ferme Pedronia, au milieu du paysage vallonné du Pays basque intérieur, tout près de la chaîne pyrénéenne enneigée, Anita me raconte l’histoire de son installation et de la création de l’association Orhantza.

Des débuts difficiles mais prometteurs

Avant de devenir chevrière, Anita était formatrice et accompagnait des jeunes en recherche d’emploi. Ce travail lui plaisait, mais elle trouvait le cadre de la classe très limitant. Et puis elle voulait être paysanne : d’abord pour des valeurs essentielles à ses yeux comme bien se nourrir, préserver l’environnement, etc., mais surtout parce que « c’était la seule place dans la société que je me sentais capable d’assumer », explique-t-elle. En s’installant à Pedronia et en créant l’association Orhantza, elle allait pouvoir associer et réaliser ces deux envies : être paysanne et faire de l’accompagnement.

C’est grâce à l’intervention du GFA (1) ainsi qu’au soutien du syndicat ELB (branche de la Confédération Paysanne au Pays basque), mais aussi grâce à la lutte déterminée d’un collectif créé pour défendre son projet, qu’Anita parviendra à s’installer à Pedronia en 2000 sur dix hectares avec un troupeau de 45 chèvres en agriculture biologique. La bataille est dure, il lui faudra en effet affronter au sein de la SAFER (2), où le syndicat ELB est très peu représenté face à une FNSEA largement majoritaire, des agriculteurs hostiles à son projet qui soutiennent en revanche les paysans voisins (exclusivement des hommes) de Pedronia. En effet, ces derniers souhaitent récupérer quelques hectares afin de pouvoir agrandir leur exploitation.

Être paysanne et accompagner

À peine installée, Anita se met à accueillir des jeunes sous main de justice pour des séjours de cinq jours. L’idée de la chevrière est de « les plonger dans le chaudron, pour que se produise un électrochoc ». Le chaudron c’est la ferme, les chèvres à nourrir, traire, soigner, le fromage à fabriquer, le fait de devoir se nourrir... Cependant, ce type d’accueil ne perdurera pas, car les relations avec les institutions sont complexes et la formule de séjour court que propose Anita ne leur convient pas.

Par ailleurs, dès le début, un certain nombre de personnes gravite autour de Pedronia pour soutenir et aider Anita. L’association Orhantza est créée en 2010 et Anita propose alors des séjours destinés à tout type de personne, pour vivre une semaine (du lundi au vendredi) en immersion à la ferme. Ce qui se passe pendant cette semaine est toujours riche et intense du fait de la courte durée, fait remarquer Anita : « on bosse, on mange, on discute, on pleure ensemble » et elle souligne que la notion de temps est très particulière car c’est un séjour court, mais où il se passe énormément de choses. Chaque séjour se termine par le marché de Saint-Palais où la personne accompagnée va pouvoir vendre avec Anita les fromages qu’elles ont fabriqués ensemble, à partir du lait trait ensemble, etc.

Les personnes accueillies proviennent d’horizons très divers, mais comme le souligne Anita : « qui que ce soit, elle va toujours trouver quelque chose qui lui convient sur la ferme », tellement le panel des activités est large. Ce qui reste permanent est l’immersion dans le lieu en étant au plus près de l’essentiel : « manger, s’occuper des animaux, mais aussi échanger dans la parole, sentir, retrouver le geste, car la fonction du corps est très importante : tu dois mettre ton corps en mouvement dans toutes les activités ». Cette mission d’accompagnement tient beaucoup à cœur à Anita : elle l’a amenée à écrire une thèse en sciences de l’éducation soutenue en 2016 sur l’accueil à la ferme (3). Pour ce faire, Anita s’est appuyée sur son expérience.

Une énergie sans cesse renouvelée au gré des rencontres

Actuellement, Anita accueille aussi des stagiaires, des étudiant·es de l’école de paysage de Bordeaux, des woofeu·ses. L’association adhère également depuis 2018 à Accueil Paysan (4) en accueil social. L’aménagement d’une partie de la maison avec cuisine, chambres et sanitaires permet de s’adapter aux différentes formes d’accueil. De plus, Anita peut aussi préserver un espace personnel.

Enfin, l’association propose régulièrement des ateliers d’une journée ouverts à tou·tes, très divers, qui se décident au gré des rencontres avec les personnes compétentes : txalaparta (instrument de percussion ancestral du Pays basque qui se joue à deux), vannerie, massages, savons, ruches, four solaire, etc. Ce sont à chaque fois des journées très conviviales, chacun·e apporte quelque chose à manger, à boire et le repas est partagé entre toutes et tous, y compris avec Anita qui met alors à disposition sa cuisine. Des liens se créent, de futurs ateliers se décident...

Un équilibre atteint tant sur le plan financier qu’humain

D’un point de vue économique, Anita vit exclusivement de son activité agricole, avec un revenu annuel d’environ 8 000 euros (dont 5 000 euros de primes, le reste étant issu de la vente de chevreaux et du fromage de chèvre). Quant à son travail d’accueil et d’accompagnement il reste bénévole. L’argent gagné par l’association (par les séjours et les ateliers notamment) a permis à plusieurs reprises de salarier une personne pendant quelques temps (en contrat aidé), ce qui allège la charge de travail pour Anita. En effet, cette personne, outre son rôle d’animatrice dans l’association, participe aux travaux de la ferme et à l’accueil des personnes. Elle a aussi la possibilité de loger sur place.

Aujourd’hui, en plus de la cinquantaine de chèvres et des chevreaux qui naissent d’heure en heure, Pedronia héberge un cochon, une jument, quelques poules, des chats et un chien. Anita pense avoir atteint un rythme de croisière et dispose de plus de temps que les premières années, temps qu’elle met à profit pour partir un peu en vacances, ou pour s’occuper de sa petite-fille.

Marie Fleury, une lectrice de Silence

(1) Un GFA, ou Groupement Foncier Agricole, permet d’acheter des terres en collectif pour les louer à un·e paysan·ne, ce qui permet d’alléger les coûts pour l’installation, mais aussi apporte un réel encouragement puisque symboliquement plusieurs centaines de personnes participent à l’aventure en achetant une ou des parts. Par ailleurs, ces terres ne pouvant pas être revendues resteront à usage agricole.

(2) SAFER : Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural, organisme qui intervient de façon systématique lors de la vente de terres agricoles et qui délibère lorsqu’il y a plusieurs candidat·es. Ayant normalement pour mission de donner la priorité à l’installation de jeunes agricultrices et agriculteurs, dans les faits, cet organisme où siègent en majorité des représentant·es de la FNSEA (syndicat agricole majoritaire en France) ne privilégie pas toujours les petits projets.

(3) L’intitulé de la thèse est : L’accueil mosaïque comme rapport sensible au monde. Pratiques plurielles d’une petite ferme au Pays basque, on peut la trouver sur Internet.

(4) Accueil Paysan est un réseau d’agricultrices et agriculteurs et d’acteurs ruraux, engagé·es en faveur d’une agriculture paysanne et d’un tourisme durable, équitable et solidaire. Au sein de cette structure, il existe plus spécifiquement un type d’accueil social qui s’adresse à des personnes éprouvant la nécessité d’une rupture momentanée avec leur entourage habituel. C’est ce type d’accueil que propose Anita.


Orhantza
Pedronia
64120 Lohitzun
05 59 65 60 29
www.orhantza.fr

Anita Duhau
anitaduhau@gmail.com
orhantza@gmail.com
05 59 65 60 29

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