Dossier Agriculture

Quand un ornithologue devient paysan...

Élise Rousseau, Véronique Le Bret

À Montélier, dans la Drôme, Sébastien Blache n’est pas avare de détails sur la diversité des oiseaux de sa ferme. Et pour cause…

« On trouve à peu près tous les oiseaux des milieux agricoles dans ma ferme : les alouettes, la cisticole, la bergeronnette printanière, le tarier pâtre, le bruant proyer. Les haies abondent d’hypolaïs, de rossignols, de fauvettes grisettes, de fauvettes à tête noire… Tout cela n’existait pas au début. Pour les rapaces nocturnes également, c’est une belle réussite : l’année dernière, dans la ferme, il y avait des chouettes effraies, chevêches, hulottes, des hiboux moyens-ducs, petits-ducs. »
Devant l’enthousiasme qu’il prend à énumérer les oiseaux de sa ferme, difficile de ne pas percevoir en Sébastien Blache l’ornithologue.

Naturaliste et paysan

Car Sébastien n’a pas toujours été paysan. Il a d’abord travaillé, pendant une vingtaine d’années, comme naturaliste à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de la Drôme : « Là, j’ai étudié les oiseaux, la protection de la nature, et la question de l’agriculture et de la biodiversité est devenue de plus en plus prégnante. Des expertises ont montré que la biodiversité des systèmes agricoles était en train de dégringoler. »
En 2006, alors qu’il hésite à continuer sa formation scientifique au Muséum d’histoire naturelle de Paris, une opportunité se présente à lui : reprendre la ferme de 11 ha de son grand-père.
Pendant les huit premières années, Sébastien est doublement actif : naturaliste à la LPO et paysan. « La LPO me nourrissait, et mon expérience paysanne apportait de la crédibilité à mes propos auprès des différentes structures agricoles avec lesquelles on travaillait. Je n’étais pas qu’un écologue qui parlait d’agriculture, j’étais paysan aussi ! »
Mais avoir deux mi-temps sur deux métiers de passion finit par devenir trop dur. Il faut choisir, et il devient paysan à temps plein. Aujourd’hui, trois personnes travaillent dans la ferme de 25 ha. En plus de Sébastien, il y a Elsa, sa compagne, biologiste de formation, qui réfléchit à un projet autour des poules pondeuses, et Julie, qui s’occupe de maraîchage.
Sébastien veut rendre sa ferme exemplaire d’un point de vue environnemental. « J’avais envie et besoin de mettre en pratique des actions positives pour l’environnement : recréer des milieux, des habitats. Pour cela, deux solutions sont possibles : soit le faire de façon arbitraire, dénuée de tout sens (planter des arbres, creuser des mares), soit l’intégrer dans un système agricole où chacun de ces éléments-là a une réelle utilité. Et nous avons choisi la seconde option : mettre en place un système agricole qui soit le plus générateur possible de biodiversité. »
C’est ainsi que la ferme se structure. D’un côté, le troupeau de brebis solognotes, shropshires et noires du Velay, les poules pondeuses, et de l’autre, les arbres fruitiers, des cultures diversifiées de légumineuses (lentilles, pois chiches, haricots, petits pois) et d’oléagineux (colza, tournesol, cameline). Tout est commercialisé en vente directe.
« Nous sommes en autonomie totale : nous cultivons de quoi nourrir nos animaux, nous essayons de ne rien acheter, d’être en économie circulaire, où rien ne se perd. Nous avons tous les outils de moisson, de séchage, de tri, de concassage, de calibrage, de mélange pour faire les rations. Et quand nous ne les avons pas, nous faisons transformer par des collègues agriculteur. L’un d’eux, par exemple, a une presse pour les oléagineux. »

Tout tourne en permanence

Dans la ferme de Sébastien, tout est interconnecté. Dans le verger, les brebis pâturent, une partie
est cultivée, avec des intercultures entre les arbres, et une autre partie accueille les poules pondeuses. Tout tourne en permanence. « Les poules, par l’azote qu’elles dégagent, fertilisent des bandes qui vont être cultivées l’année suivante, donc pas besoin de fertiliser ! Tous les fruits véreux qui tombent par terre sont mangés par les poules et les brebis, ça fait des ruptures de cycle sur les parasites, y compris des stades diapause et chenilles de papillons dans le sol quand les poules grattent. Les poules bénéficient des fruits tombés aussi pour les vitamines, et de l’ombre des arbres. »
C’est ainsi que le verger produit des fruits, des œufs, des céréales et de la viande d’agneau ! Tous les revenus sont produits sur une même surface. Dans ce verger si bien pensé, il n’y a plus de désherbage, tout se fait avec les bêtes.
Pas besoin de petites machines pour maintenir la terre nue au pied des fruitiers, pas de broyeur
tous les quinze jours pour l’herbe qui pousse… (1)
Chez Sébastien, l’humain est aussi très important. La ferme accueille tout le temps du monde, des groupes passent, en agroécologie, en agroforesterie, etc. Mais le plus souvent, celles et ceux qui viennent sont d’autres paysan·nes. Sébastien en est convaincu : "Paysan, c’est l’un
des plus beaux métiers du monde, parce que tu peux avoir des interactions avec tout ce qui fait l’intérêt de la vie : le social, la biologie, tu passes ton temps à travailler avec du vivant, que ce soient les animaux sauvages ou domestiques… C’est hyper riche. Paysan, tu fais ce que tu veux. Ta seule limite, c’est le foncier dont tu peux disposer." Et parce qu’il fait ce qu’il veut, en plus de creuser des mares, Sébastien vient encore de poser des nichoirs à chauves-souris et à mésanges, qui voleront bientôt au-dessus des poules et des brebis !

Élise Rousseau et Véronique Le Bret

(1) « L’agriculture, jusqu’à l’après-guerre, créait cette diversité de milieux sans le savoir, tout le monde avait un peu de vaches, un peu de chevaux, etc., et du coup des oiseaux, des papillons… Nous suivons un peu le même modèle mais avec la technique en plus. Et puis l’arrêt des phytosanitaires, c’est aussi moins dangereux pour notre santé ! Ma rentabilité économique est là. Je ne touche même pas de mesures agroenvironnementales, je n’avais pas envie de contraintes supplémentaires. Je ne suis pas un ovni non plus, les cultures que je fais, les voisins les font aussi… »

Paysans de nature
https://paysansdenature.fr
Perrine Dulac, LPO Vendée, antenne Marais breton, 16 rue de la Croix-Blanche, 85230 Beauvoir-sur-Mer, tél. : 02 51 49 76 53
Mickaël Potard, Coordination régionale LPO Pays de la Loire, 35 rue de la Barre, 49000 Angers

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