Article Alternatives Déchets

Le Moyen Age était-il « zéro déchets » ?

Florian Besson

Les autres époques faisaient-elles mieux que nous sur le plan des déchets ? Réponse de médiévistes.

Le mode de vie « zéro déchets » fait parler de lui et se répand, lentement mais sûrement. Non sans susciter des critiques, notamment centrées sur l’idée qu’il s’agirait d’un « retour en arrière ». C’est vrai que ça en a l’air : cela suppose de cuisiner (presque tout) ce qu’on mange, de manger local, d’acheter en vrac, de préparer soi-même sa lessive et son dentifrice... Mais ce mode de vie ressemble-t-il pour autant à celui de nos ancêtres médiévaux ?

La nourriture : le local, forcément

Parlons de l’essentiel d’abord : la nourriture. Au Moyen Âge, on consomme surtout du local : pas de frigo ni de surgelés, évidemment ! Par conséquent, les fruits et légumes disponibles sur les marchés viennent à coup sûr du « pays » environnant. Seule l’élite sociale a les moyens de faire importer de la nourriture venue de loin : fruits exotiques ramenés d’Orient, épices, glace descendue à grands frais du nord ou des montagnes, etc. Ce tableau doit être un peu nuancé : on sait déjà faire des salaisons qui durent longtemps, et le poisson pêché dans la mer du nord est par exemple consommé dans toute l’Europe. En outre un grand nombre de consommations non-alimentaires mettent en jeu des réseaux commerciaux, parfois sur de très larges distances : c’est en particulier le cas des draps et de la laine.
Durant l’époque médiévale, vous achetez forcément à des petits commerces locaux, puisqu’il n’existe pas de grandes chaînes de distribution. Vous avez donc votre boucherie, votre poissonnerie, etc. – si vous êtes fortuné·e, sinon vous avez un cochon à tuer et une canne à pêche... (1)
Enfin et surtout, vous n’achetez pas l’intégralité de ce que vous consommez. Non seulement l’écrasante majorité de la population est composée de paysan·nes – entre 90 et 99 % en fonction des régions et des moments – mais même la population citadine pratique des formes d’agriculture urbaine plus ou moins poussée. Même en ville, les personnes ont des ruches, des poules, des cochons, un petit jardin, un potager, bref autant d’éléments qui fournissent une part non négligeable de la consommation personnelle. En outre, ils permettent d’absorber les déchets domestiques : les épluchures nourrissent les poules et les lapins, les excréments servent à fumer les jardins, etc. Les déchets, de toute façon beaucoup moins nombreux, sont donc mieux réutilisés et recyclés.

Fabrication et récupération

Autre point commun entre la société médiévale et la pratique contemporaine du « zéro déchets » : la culture du « do it yourself » (DIY) et de l’occasion. Au Moyen Âge, les personnes fabriquent beaucoup des objets qu’elles utilisent. C’est surtout vrai à la campagne : la paysannerie maîtrise un peu la menuiserie, un peu la tannerie, un peu la forge, etc. De même, vu que les objets coûtent cher, on essaye le plus souvent de les réparer pour prolonger leur existence. Tous celles et ceux qui ont un jour fait des fouilles archéologiques le savent bien : même en milieu urbain, on trouve finalement peu de choses ! Un peu de verre, une pièce de monnaie de temps en temps, une clé ou un jouet cassé à la limite.
C’est parce que les matériaux sont récupérés : le métal peut toujours être refondu, les vieux vêtements rapiécés ou vendus à un chiffonnier. Quand les tissus sont vraiment trop abîmés, ils sont réduits en charpie pour faire de la pâte à papier. Vous trouez votre poêle ? Ça se répare, ça coûtera toujours moins cher que d’en acheter une neuve… Il faut dire aussi que les objets sont de meilleure qualité : une paire de draps, par exemple, est prévue pour durer toute une vie. Aujourd’hui, retrouvant les exigences d’hier, de plus en plus de voix s’élèvent pour protester contre l’obsolescence programmée.

Et les emballages alors ?

Terminons par le cauchemar des zérodéchettistes : les emballages. Pas de plastique, évidemment, durant notre période médiévale. L’immense majorité des aliments sont donc achetés en vrac : les lentilles, les pois, les céréales sont conservées, parfois pendant plusieurs mois, dans des sacs de toile.
Les contenants les plus utilisés sont fabriqués en bois ou en céramique. Le bois, évidemment, se dégrade naturellement très bien. Quant à la céramique, son bilan carbone n’est apparemment pas terrible : on ne peut pas la réutiliser (ou presque), donc la moindre assiette cassée finit à la poubelle. De fait, c’est ce qu’on trouve le plus en archéologie. Mais, même cassé, c’est un matériau dont on peut se servir, par exemple pour remblayer un mur ou fertiliser un champ. Essayez de faire ça avec un sac plastique, qu’on rigole un peu !
Alors, le Moyen Âge, zéro déchets ? Ce serait trop beau. C’est dans la Bohême du 13e siècle qu’on invente le fer-blanc et que ce matériau commence à être utilisé pour conserver des aliments. Mais les chiffres n’ont évidemment rien à voir : ces fonderies médiévales fabriquent quelques milliers de boîtes par an, pour une Europe peuplée alors d’environ 80 millions d’habitant·es. Aujourd’hui, avec 500 millions d’habitant·es, l’Europe fabrique 25 milliards de boîtes de conserve. On a multiplié la population par 6, le nombre de boîtes par 20 millions (si, si, vous avez bien lu).
Le résultat du match est sans appel : le Moyen Âge produisait beaucoup moins de déchets que nos sociétés contemporaines, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de pollution durant cette période. Au contraire : c’est également l’époque où se développent de nombreuses industries très polluantes, dans les mines ou dans le textile notamment. Mais au niveau des déchets, le bilan de chaque homme et femme vivant à l’époque médiévale était infiniment moindre que le nôtre. Si l’on peut s’inspirer de certaines pratiques d’hier, faire l’effort de se passer de plastique, de consommer local ou de mieux recycler ses objets ne peut pas être compris comme un « retour au Moyen Âge » : le mouvement du zéro déchets n’est pas porté par une nostalgie pour le passé, mais par un espoir pour notre avenir commun.

Par Florian Besson et l’équipe du blog Actuel Moyen Âge, http://actuelmoyenage.wordpress.com

(1) Ce paysage économique est beaucoup plus diversifié que le nôtre : le Livre des Métiers de Paris, rédigé dans les années 1268, distingue par exemple deux métiers différents entre les poissonniers d’eau douce et les poissonniers d’eau salée.

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