Dossier Alternatives

Être né·e quelque part

Martha Gilson

À l’hôpital ou à la maison ? Suivi par un·e sage-femme ou un·e gynéco ? Une fois la grossesse enclenchée, un des choix suivants est très souvent celui du lieu d’accouchement. Là aussi, les alternatives existent. Focus sur les Maisons de naissance, qui expérimentent depuis 2015 des lieux d’accueil pour un accompagnement global à la naissance.

L’idée des Maisons de naissance a fait son chemin en France dans les années 2000 (1). Mais les réticences du corps médical sont alors fortes. Il faut attendre le 6 décembre 2013 pour qu’une loi autorise leur expérimentation, et deux années de plus pour que le décret sur les conditions soit publié, le 30 juillet 2015. Un appel à candidatures permet alors de retenir 9 expérimentations autorisées pour 5 ans.

Un suivi global et personnalisé

Une Maison de naissance est tout simplement un lieu qui permet à des femmes d’accoucher sans hospitalisation ni médicalisation, pour les naissances physiologiques (celles qui ne nécessitent pas de traitement particulier). Elle offre un suivi global qui repose sur le principe d’une sage-femme pour chaque femme enceinte et garantit une prise en charge personnalisée et complète. « En plus de la sage-femme référente, qui suit les couples, une sage-femme de soutien assiste aussi à l’accouchement » complète Sandrine, sage-femme de soutien à Doumaïa, à Castres. « Le suivi global, ce n’est pas juste médical, c’est aussi un accompagnement dans la construction de la famille, de la parentalité. À la Maison de naissance, nous proposons un accompagnement à chaque étape, des séances de préparation à l’accouchement et à la parentalité, puis au suivi à domicile après la naissance », complète Laure Flamant, sage-femme à Un nid pour naître à Nancy. En fin de compte, on accompagne un couple pendant un an et demi environ !« 

Comme à la maison

 »En entrant au CALM, on est dans une espèce de salon avec des milliards de faire-part affichés au mur. Des sachets des derniers thés bio à la mode sont dispersés autour d’une bouilloire utilisée par les parents qui traînent là« , se souvient Mathieu, dont la fille est née à la Maison de naissance CALM, à Paris. Eh oui, une Maison de naissance ressemble à… une maison ! »Ce modèle, c’est notre fierté, se réjouit Laure, ça nous tient à cœur.« Sur les neuf expérimentations autorisées actuellement, deux seulement sont de vraies maisons d’habitation : celles de Nancy et de Bourgoin-Jallieu. »On retrouve une entrée, un salon, une cuisine, deux chambres et deux salles de bain. C’est une association de parents qui a veillé à l’aménagement !« Les maisons sont équipées de matériel médical mais celui-ci n’est généralement pas visible. Pour Laure, »ce sont des petits détails qui ont leur importance. Les deux chambres sont équipées de lits doubles, par exemple."

« On est là juste pour prendre soin, pas forcément pour donner des soins »

Les Maisons de naissance permettent aux femmes de maîtriser des pratiques qui entourent la prise en charge de leur grossesse et de leur accouchement, et défendent le droit des couples à décider dans quelles conditions naît leur enfant, sans recourir à l’hypermédicalisation. « Finalement, ce n’est pas très différent d’un accouchement à la maison, sauf qu’il faut se déplacer, souligne Sandrine. Les osculations se font par intermittence, on ne pratique pas de perfusion ni de monitoring. On est là juste pour prendre soin, pas forcément pour donner des soins ». « Notre but, complète Laure, c’est de répondre aux besoins des couples. On leur demande de faire un projet de naissance afin de les accompagner au mieux. La liberté de choisir la maison de naissance, la liberté du positionnement lors de l’accouchement, etc. C’est ça qui est fondamental. »

Les sages-femmes autonomes ?

Les Maisons de naissance sont des structures placées sous la responsabilité exclusive des sages-femmes, et ce n’est pas rien ! Leur formation (2) les prépare efficacement à prendre en charge de façon autonome le suivi des grossesses et des accouchements considérés comme à « bas risque » (3). Mais cette formation est de moins en moins reconnue, au profit de la formation de gynécologue-obstétricien·ne et d’une approche plus médicalisée de l’accouchement. D’ailleurs, le nombre de sages-femmes indépendantes a diminué jusque dans les années 1990. C’est grâce à une mobilisation des sages-femmes, mais aussi de parents, autour du droit à un accouchement physiologique sans aide médicale, que l’expérimentation des Maisons de naissance a pu voir le jour. Dans ces maisons, les sages-femmes retrouvent le temps et l’espace d’échanger entre elles, de se réapproprier leur métier et leurs savoirs. « À chaque naissance, j’apprends un truc, à chaque fois, je suis une nouvelle sage-femme », confie Sandrine.
En cas de complications, les Maisons de naissance sont adossées à des services hospitaliers où la femme qui accouche peut être transférée. C’est ce qui est arrivé à Jeanne, qui ne regrette pourtant pas l’expérience et s’engage aujourd’hui dans l’association Un nid pour naître, à Nancy « J’ai dû être transférée car mon col ne s’ouvrait pas. Mais j’ai préféré cent fois mes 24 h de contractions sans péridurale à mes 10 h à la maternité, impersonnelle et froide. Ce sont des expériences incomparables. » Épisode qui rappelle la nécessité d’avoir une maternité ou un hôpital à moins de 45 minutes du lieu d’accouchement, en cas de complication.
Une maison aux pratiques autogérées
Ici, pas de médecin mais une volonté de travailler de façon horizontale entre sage-femme et futur·es parents, sous forme associative. Les Maisons de naissance tendent vers des pratiques autogestionnaires. À Castres, des usagèr·es sont présent·es dans le CA dès l’ouverture du lieu. « On a envie et besoin de travailler avec les usagers, confie Sandrine. Ils nous permettent d’ouvrir nos perspectives de travail, d’évaluer le dispositif, qui est fait pour eux. » Les futurs parents sont acteurs et actrices de l’accompagnement global, au même titre que les sages-femmes. Cette démarche se retrouve à Nancy, où l’association est aujourd’hui avant tout une association de parents, avec plus de cent adhérents, et où des rencontres mensuelles sont organisées.

De l’expérimentation à la pérennisation ?

Si les Maisons de naissance sont expérimentées, elles ne sont pas encore légalisées. Une évaluation est actuellement en cours afin de statuer sur leur pérennité. « Nous, ce qu’on souhaite, c’est un décret pour sortir de l’expérimentation, pour être reconnus dans la loi et pérenniser ce type de structure », affirme Sandrine. Le principal frein est le débat actuel autour des compétences des sages-femmes et la notion de sécurité. « On lutte aujourd’hui pour ne pas être stigmatisé·es. La position de certaines sages-femmes est critiquée par une partie des gynécos. Nous essayons de faire accepter la position de la sage-femme »… donc l’existence des Maisons de naissance. « Au niveau des politiques, tout le monde prône l’intégration plus grande des usagers mais, sur le terrain, c’est une autre histoire… » déplore encore Sandrine. « On pense que la sécurité passe par le nombre de naissances, ajoute Laure, mais ce n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Durant le travail, la présence en continu auprès du couple d’une sage-femme qui le connaît parfaitement est importante, comme celle d’une sage-femme de soutien. »
À l’heure du débat autour de la fermeture des maternités de proximité et d’une médicalisation accrue de la grossesse et de l’accouchement, les Maisons de naissance semblent être des poches d’air salutaires, des projets à multiplier.

Martha Gilson

(1) Le rapport de 2011 de la cour des comptes sur la sécurité sociale dénonce l’hypertechnicisation de la naissance. En France, les interventions sont souvent plus nombreuses que dans les autres pays européens (20 % de césariennes, 20 % de déclenchements, 80 % de péridurales). Le rapport reprend également des données de la mission périnatalité de 2003 : « Les données disponibles laissent penser qu’il faudrait à la fois faire plus et mieux dans les situations à haut risque et moins (et mieux) dans les situations à faible risque. »
(2) La formation des sages-femmes comprend 190 h dédiées à la gynécologie, à la contraception et aux violences faites aux femmes, ainsi que 90 à 420 h de stage pratique (soit la formation la plus poussée en Europe).
(3) Rappelons que dans les autres pays où les Maisons de naissance fonctionnent (depuis des années), elles sont totalement autonomes et ne sont pas obligées d’être adossées à des structures hospitalières. Le transfert est également effectué si la femme décide de bénéficier d’une analgésie.

Maisons de naissance :
Premières heures au monde, 30 avenue du Médipole, 38300 Bourgoin-Jallieu, tél. : 04 69 15 78 25
La Maison, 8 rue du Docteur-Calmette, 38000 Grenoble, tél. : 04 76 70 70 59
Un nid pour naître, 10 rue du Docteur-Heydenreich, 54000 Nancy, tél. : 09 72 88 03 78
Manala, 23 avenue Pasteur, 67606 Selestat, tél. : 09 72 56 32 84
Comme à la maison (CALM), 6 rue Lasson, 75012 Paris, https://www.mdncalm.org
Doumaïa, 10 avenue de la Montagne-Noire, 81102 Castres, tél. : 05 63 70 52 60
Premier cri, 12 rue des Noriets, 94400 Vitry-sur-Seine
Le Temps de naître, clinique des Eaux-Claires, Moudong Sud 97122 Baie-Mahault (Guadeloupe), tél. : 06 90 68 66 62
Manao, 38 rue Labourdonnais, 97460 Saint-Paul (La Réunion), tél. : 06 92 40 75 70
 
Accouchement à domicile :
CDAAD L’hôtel Marcie, 50450 Le Mesnil-Garnier
national.cdaad@gmail.com
https://cdaad.org
 
Coordination des comités de défenses des hôpitaux et maternités de proximité
1 rue Jean-Moulin, 70200 Lure, tél. : 09 67 04 55 15
cda12550@coordination-defense-sante.org
Fin des marges

Fermeture des maternités : la création d’un « désert obstétrique »

Le nombre de services français dédiés aux accouchements a presque été divisé par trois depuis quarante ans, et par deux depuis vingt ans (1). Pour inverser cette tendance, dès 2004, une coordination des comités de défenses des hôpitaux et maternités de proximité a vu le jour. Selon Hélène Derrien, son actuelle présidente, « privilégier les grosses structures hospitalières, c’est aussi concentrer un nombre d’accouchements pharamineux. Sans moyens supplémentaires, cela va obliger le personnel soignant à programmer et déclencher les accouchements, ce qui s’accompagne malheureusement bien souvent de davantage de césariennes et d’épisiotomie. On transforme en accouchement à risques quelque chose qui, à la base, ne l’était pas. C’est très préoccupant. »
(1) Rapport annuel de la Cour des comptes de 2018 : le nombre de maternités en France s’élevait à 1369 en 1975, puis à 814 en 1996, pour tomber à 498 en 2018.

 

L’accouchement à la maison

Si l’accouchement à domicile (AAD) est, de loin, le mode d’accouchement le plus fréquemment pratiqué dans le monde, il est de moins en moins facile à assumer en France. L’origine du problème ? L’injonction faite en 2013 aux sages-femmes qui pratiquent l’AAD de fournir une assurance en responsabilité civile et professionnelle couvrant cette spécialité, aux risques de sanctions très lourdes (amende de 45 000 euros et radiation). Or, le prix de cette assurance est exorbitant : autour de 25 000 euros. Devant cette somme dissuasive, rares sont les sages-femmes qui acceptent de pratiquer l’AAD. « On estime actuellement qu’environ 80 sages-femmes acceptent de suivre des grossesses pour un accouchement à domicile, mais ce nombre est fluctuant, souligne Émilie Ract, du Collectif de défense de l’accouchement à domicile. Il n’existe pas de comptabilité claire du nombre de naissances voulues ou programmées à la maison, mais on l’estime à 1 ou 2 %. » Le collectif milite pour « promouvoir le libre choix des modes et des lieux de naissance. C’est possible d’accoucher chez soi, et c’est légal, mais peu de personnes en sont informées. » Informer, modifier la loi pour que l’assurance des sages-femmes soit abordable financièrement : deux conditions sine qua non pour un véritable choix des futurs parents. « Toutes les femmes devraient pouvoir accoucher chez elles si elles le souhaitent. Aujourd’hui, selon le lieu où on vit, ce n’est pas toujours possible, et c’est vraiment dommage. »

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