Article Alternatives Nucléaire THT

Ca grésille dans le poteau : lutte contre une ligne à très haute tension (THT)

Martha Gilson

En 2019 est paru aux éditions Mère Castor Ça grésille dans le poteau, recueil sonore sous forme de livre-DVD, qui retrace la lutte contre la THT Cotentin-Maine entre 2005 et 2013. Les petites mains qui ont fabriqué ce livre reviennent pour Silence sur 8 ans de lutte anti-nucléaire.

En France, l’électricité consommée est très importante, notamment à cause du chauffage. Et il se trouve que la production s’est organisée depuis les années cinquante de manière centralisée avec des gros pôles de production, majoritairement nucléaires, éloignés des lieux de consommation. Il faut donc transporter cette électricité sur de longues distances, à l’aide de câbles soutenus par des pylônes : les lignes à Très Haute Tension. Seulement il y a des pertes énormes lors du transport, que l’électricité soit d’origine nucléaire ou dite renouvelable, donc on se retrouve à produire davantage de l’électricité qui va être perdue et gâchée.

La guerre de l’information

Le projet de ligne THT Cotentin-Maine a fait l’objet d’un débat public d’octobre 2005 à février 2006. Dès 2005, des associations anti-THT se sont créées dans presque chaque commune concernée au départ, sur trois départements. Elles récoltent et diffusent des informations, appellent à des manifestations qui rassemblent jusqu’à 5 000 personnes et appellent à boycotter les élections cantonales et municipales de 2008.
La ligne THT étant justifiée par le projet de réacteur nucléaire EPR de Flamanville, la lutte réunit des opposant·es à la construction de la ligne et des opposant·es au nucléaire, ce qui grossit les rangs et occasionne des rencontres improbables !
Devant le refus des autorités de mener une enquête épidémiologique, les associations lancent une enquête citoyenne pour réunir des éléments sur le caractère néfaste des lignes THT déjà existantes. Ce travail d’enquête faramineux épuise une bonne partie des forces mobilisées.

La difficulté de pérenniser une mobilisation

Lorsque l’implantation finale du fuseau est rendue publique, les associations qui n’étaient plus concernées directement finissent par se démobiliser. Le slogan « Ni ici, ni ailleurs » et la critique du nucléaire n’aura pas survécu.
Des élu·es réuni·es dans un collectif votent des arrêtés municipaux pour éloigner les pylônes des habitations et des bâtiments d’élevage pour faire en sorte que la ligne ne puisse pas être construite dans ce paysage à caractère bocager. Ils déposent des recours devant les tribunaux contre la Déclaration d’Utilité Publique et mènent une campagne de blocage de l’enquête publique.
Les opposant·es arrêtent peu à peu de s’organiser et finissent par s’appuyer uniquement sur les recours et les arrêtés municipaux qui échouent les uns après les autres, sans plan B pour bloquer le démarrage des travaux de la ligne.

L’Assemblée anti-THT : un nouveau souffle fédérateur

Nouveau rebondissement lorsque les travaux commencent en mars 2011, alors qu’a lieu l’explosion de Fukushima, une assemblée anti-THT large prend forme et fédère les forces tout au long de la ligne. Cette assemblée s’implante dans le village du Chefresne, où la lutte est soutenue par le maire. Elle organise des actions collectives de démontage de pylônes, et l’occupation d’un bois menacé par le passage de la ligne. Elle apporte son soutien à des personnes impactées par des pylônes autour de chez elles sous forme de tentatives de construction de cabanes, d’accompagnement juridique. Elle appelle à un week-end de résistance avec des conférences et une action collective. De l’assemblée anti-THT émane une critique radicale du nucléaire et du système énergétique.

Une résistance qui n’est pas suffisante

À partir du début des travaux en 2012, les opposant·es négligent peu à peu leur travail de communication et de lien local pour continuer à mobiliser les riverain·es.
Sur les 163 kilomètres de ligne, il aurait fallu continuer à entretenir les liens avec tous les autres foyers de résistance potentiels au lieu de se concentrer sur la zone la plus active. On peut regretter aussi de n’avoir pas mobilisé les syndicats et le monde paysan qui sont des ressorts indispensables pour rassembler sur un territoire rural. La mobilisation ne permet pas de stopper les travaux, et la ligne est mise en service le 2 mai 2013 sans attendre la fin de la construction de l’EPR.

Un héritage indispensable aujourd’hui

Par contre, l’assemblée anti-THT, en s’installant dans une grange prêtée par un agriculteur, la Grange de Montabot, a perduré. Trois ans d’assemblées, de rencontres, de fêtes, de chantiers, etc. ont été rendus possibles grâce à ce lieu collectif. Cet espace a permis à la fois de constituer un ancrage local pour que les opposant·es ne se perdent pas se perdre de vue, et aussi de pouvoir accueillir des gens de plus loin. C’est un lieu de lutte antinucléaire dans la région la plus nucléarisée de France, ce n’est pas anodin, et cela nous semble être indispensable comme base pour poursuivre la réflexion, l’organisation et l’action contre le nucléaire mais aussi la politique énergétique dans son ensemble et le capitalisme.

Quels liens avec d’autres luttes ?

Que ce soit à Bure contre le projet d’enfouissement de déchets CIGEO ou à Saint-Victor en Aveyron contre un transformateur, ces luttes concernent des problématiques liées à l’énergie, issue du nucléaire ou de l’éolien, que ça soit son transport dans le cas du Cotentin-Maine ou de Saint-Victor, ou ses déchets dans le cas de Bure.
Le problème est le choix de la centralisation et de la surenchère de la production d’électricité à des fins économiques. On nous parle de transition énergétique mais on voit bien qu’il s’agit d’ajouter d’autres modes de production à ceux existants pour développer ce marché juteux.
Ces luttes ont aussi en commun de réinvestir des espaces ruraux, par des occupations de lieux, des assemblées populaires, pour les défendre contre des projets imposés au nom du développement économique qui prend les ruraux pour des vaches à lait et des imbéciles.
Mais les liens sont aussi ceux que nous souhaitons cultiver entre les différents lieux de lutte depuis de nombreuses années, échanger sur les pratiques et les difficultés rencontrées dans les luttes, garder la mémoire pour la transmettre, constater que l’État utilise souvent les mêmes moyens. Ces liens nous permettent de nourrir une critique plus globale de la société.

Propos recueillis par Martha Gilson

Ça grésille dans le poteau – Histoires de la lutte contre la THT Cotentin-Maine (2005-2013)
Éditions Mère Castor - 2019

Recueils sonores sous forme de livre-DVD à commander à : La Grange de Montabot, la Bossardière, 50410 Montabot. 21€ frais de port inclus, chèque à l’ordre du PAVE. Contact : merecastor@riseup.net / 06 51 67 94 44.
Site : https://editionsmerecastor.wixsite.com/publications
En marge :
L’impasse d’un modèle énergétique centralisé
Les lignes THT sont représentatives de ce modèle centralisé, elles se densifient et s’étendent, ouvrant de juteux marchés européens de l’électricité, au lieu de produire et consommer localement pour éviter les pertes et se réapproprier les questions liées à l’énergie.
Les espaces ruraux sont, dans ce système, des territoires sacrifiés par les pollutions et maladies induites par les ondes électromagnétiques, notamment dans les élevages et pour les populations qui vivent à proximité, pour alimenter les gros pôles d’habitat et d’industrie.

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