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La vie « aux champs »

Stephen Kerckhove

Chaque année, 55 000 hectares de terres agricoles disparaissent, ensevelies sous le bitume des routes et le béton des pavillons, des ronds-points, des parkings et des centres commerciaux. Le temps de lire cette courte chronique, 3 000 m² auront été artificialisés. Mis côte à côte, cela représente l’équivalent de la surface de plus de 15 000 pages de ce journal. Et ce chaque minute, 24h sur 24h, 365 jours sur 365.

Toujours moins de terres agricoles...

Cette hémorragie des terres agricoles est connue. Pas un·e responsable politique n’oublie, des trémolos dans la voix, le bon vieux couplet sur l’impérieuse nécessité de préserver le foncier agricole. Malgré cette belle unanimité de façade, la terre agricole reste avant toute chose une sous-couche de roulement. Il y a eu des plages sous les pavés comme il y a désormais de la terre sous le macadam…
Chaque élu·e local·e qui se respecte et qui souhaite marquer l’histoire de son empreinte indélébile se doit d’artificialiser. Au terme de son second mandat et envisageant sagement de rempiler pour un avant-avant dernier mandat, il lui arrive parfois de contracter une nouvelle variante de la tremblante du mouton : l’« inaugurite ». Cette maladie conduit l’édile à rechercher une paire de ciseaux pour couper du ruban. Le syndrome de Khéops est ainsi très répandu et a des effets très concrets. La cohorte de projets inutiles, petits et grands, en sont le signe le plus visible.

… et toujours plus de centres commerciaux

Malgré une saturation évidente, la France continue, par exemple, année après année, à autoriser un nombre incalculable de centres-commerciaux, hyper ou supermarchés. En huit ans à peine, 21 millions de m², représentant 8 495 dossiers ont été validés par la bien opaque Commission nationale d’aménagement commerciale. Une petite quinzaine de personnalités, triées sur le volet, ancien·nes élu·es et haut·es fonctionnaires, accordent à tour de bras des autorisations de bétonner et de construire de nouveaux centres commerciaux ! Entre 2009 et 2016, le pourcentage d’autorisations se situe entre 88,13 % et 90,72 % des dossiers soumis à cette instance présidée par un bien discret maire de Saône-et-Loire… Interpellée en 2017 par Agir pour l’Environnement, la Commission nationale d’aménagement commerciale a depuis fortement réagi : elle a cessé de rendre publiques les décisions prises !
Nos terres agricoles continuent donc à s’artificialiser à la même vitesse que nos centres villes se désertifient. Avec le cynisme le plus absolu tout juste mâtiné d’un éclair de lucidité, l’homme qui valait trois milliards, allias Gérard Mulliez, l’une des plus grosses fortunes françaises et propriétaire du Groupe Auchan (Décathlon, Leroy Merlin, Cultura, Saint Maclou, Boulanger, Kiloutou, Norauto, etc.) a récemment invité « tout le monde à se mettre à la permaculture pour manger sainement »… Après avoir artificialisé à tour de bras et mille fois répété que la vraie vie, c’était la vie « Auchan », voilà donc que l’on entend l’un des tout premiers bétonneurs de France plaider pour la permaculture…
Prenons cette déclaration pour un mea culpa et boycottons ces scories des Trente Glorieuses que sont ces centres commerciaux !

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