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Humusation et transition écosociétale

Eina

Selon le principe holistique qu’il n’y a pas de déchets dans la nature, l’humusation, compostage optimal et ritualisé des corps, fait partie intégrante (bien qu’en pointillés pour l’instant) de la permaculture.

Il y a cinq ans, en Belgique, un petit groupe d’amoureu·ses de nature et de permaculture, soutenu par une vingtaine d’expert·es, a initié la fondation Métamorphose : mourir, puis donner la vie... pour mettre en œuvre et légaliser l’humusation des défunt·es (1). Dans une intention analogue mais comme projet urbain, aux États-Unis d’Amérique, recompose.life imagine une structure à étages, déjà en expérimentation.

Vers des jardins-forêts de la métamorphose

Rendre à la terre la précieuse matière organique qu’on avait dénaturée, brûlée, empoisonnée, irradiée pendant des décennies, voilà la mission de l’humusation comme du compost en général. À l’imaginer, une détente se fait, en nous et entre nous et le monde, une respiration déjà présente dans les cimetières dits « naturels », très fréquents en pays anglo-saxons et qu’on trouve en France à Souché, près de Niort, sans compter une trentaine de cimetières dits « paysagers ». Autre variante, les forêts de mémoire post-crémation sont nombreuses en Allemagne ; nous en avons l’écho à Pruillé dans le Maine-et-Loire, ou encore à Pluneret dans le Morbihan.
L’idée belge du jardin d’humusation où le corps se métamorphose en humus sain et fertile va au bout de cette vision d’apaisement par un geste plus que symbolique de réconciliation avec la terre : lui rendre notre matière organique dans un état de dépollution optimale.
Dans les grandes villes, dénicher des mini-jardins-forêts n’est pas si difficile : le promeneur ou la promeneuse découvre avec étonnement tous les « non-lieux » qu’abritent les agglomérations. Un corps humusé occupe trois mètres carrés, relibérés chaque année : au bout d’un an, un deuxième rituel a lieu et le corps humusé va rejoindre pour partie une petite « forêt du souvenir » proche, existante ou nouvelle, et pour partie un projet solidaire de régénération des sols. (2)

Quand écologie rime avec démocratie

Les crémations restent très polluantes et énergivores (l’obligation de filtres à partir de 2018 ne fait pas disparaître les problèmes). La thanatopraxie, trop fréquente en France, pollue gravement la nappe phréatique.
Lors de la transition vers cette nouvelle pratique funéraire responsable et peu coûteuse, les crémat·rices, thanatopract·rices et fossoyeu·ses pourraient ressentir un soulagement à devenir humusat·rices pour s’occuper de la mise en compost adéquate, de son entretien précis, du fin broyage des os lorsque tout le reste s’est décomposé (deux à trois mois), ou encore créat·rices de tels jardins-forêts.
Parallèlement, l’évidence de services funéraires gratuits, mais sous le signe de l’autogestion, vient peu à peu à l’esprit. De gestion communale, avec ses rituels funéraires personnalisés et créatifs, un jardin-forêt de l’humusation concourrait à créer une réelle communauté dans les petites communes.
Pour l’instant, on voit déjà apparaître des coopératives funéraires qui se démarquent de l’esprit d’entreprise « pompes funèbres » (3). La première en France a été créée à Nantes à partir d’un modèle québécois, et des projets se montent à Rennes, Bordeaux et Strasbourg. L’association nantaise propose son accompagnement à la création de telles coopératives. Une évolution citoyenne qui pourrait bien croiser la piste de l’humusation.

Un premier pas en Wallonie

Or, l’humusation vient de faire un pas décisif en Belgique, puisque les expérimentations préalables à la légalisation commencent cette année 2019 à la faculté de bio-ingénierie de l’Université catholique de Louvain, avec un budget voté par la Wallonie.
Ce premier pas a été rendu possible avant tout par l’implication de citoyen·nes qui ont signé leur acte de dernière volonté, rendant attentifs leurs bourgmestres et conseils communaux. (4)
En France, suite à une question sénatoriale en 2016 (5), le ministère de l’Intérieur a confié la question au Conseil national des opérations funéraires (CNOF), qui n’a publié ni compte-rendu ni rapport depuis...

Dignité et rituels

Quid, enfin, de la dignité ? Si on dit humusation et non compostage, c’est pour éviter la référence à une pratique souvent mal maîtrisée et que peu d’entre nous considèrent comme sacrée. Petite analogie : face aux cercueils en carton, le public se divise : le « non » invoque l’indignité du matériau, le « oui » condamne le commerce effréné et suicidaire du bois. Tout comme nos modes funéraires actuels mettent à mal nos sensibilités, composter les corps puis mouliner les os (ce que font aussi les crématoriums) peut choquer et ne doit pas être imposé. Mais entouré d’un rituel habité par toute l’amplitude de notre présence sensible, entre aimés, entre ami·es, ou simplement entre citoyen·nes solidaires (6), le retour à l’humus traverse de manière vivante interrogations et bouleversement pour déboucher sur un sentiment de paix bien précieux aujourd’hui.

Eina
www.eina.lautre.net/humusation


« Ça viendra très vite »…
Cela fait un peu froid dans le dos, alors que c’est, à la réflexion, une évidence : l’idée d’humusation, portée en Belgique par des acteurs et actrices animé·es d’intentions écologistes et humanistes, avance en parallèle, potentiellement, sous la bannière implacable de la gestion indirecte des populations par une grande industrie attentive aujourd’hui à toute manne non encore identifiée. La pensée positive fait de toute difficulté une opportunité. En France, les cimetières manquent cruellement de place, mais on a besoin de nourrir les surfaces agricoles : ces « ressources humaines » (600 000 cadavres annuels) seront en quelques semaines rendues utiles à la refertilisation des sols. Certes, le projet de décret, en Belgique, encadre le projet de façon très stricte contre toute marchandisation, mais peut-on vraiment se prémunir contre elle, et partout ?

(1) Son président Francis Busigny est entre autres le collaborateur de Joseph Országh sur la question de l’eau et des toilettes sèches (système SAINECO, www.eautarcie.org)
(2) La fondation Métamorphose a également des projets en permaculture holistique (dont l’humusation et le compost issu des toilettes sèches) au Burkina Faso et à Madagascar.
(3) Notons cependant que les pompes funèbres municipales existent toujours.
(4) Le plus utile est d’envoyer ses dispositions de dernière volonté à sa commune et en parallèle à humusation.fr@gmail.com.
(5) Voir sur le site du Sénat www.senat.fr la question écrite n° 20504 sur la légalisation de l’humusation.
(6) Voir les associations offrant une petite célébration aux morts isolés (Morts sans toi-t notamment).

• Fondation Métamorphose, rue St-Roch 33 à B-1325 Chaumont-Gistoux, Belgique, https://www.humusation.org. Elle a publié en 2017 Ni enterré, ni même incinéré ! Plaidoyer pour l’Humusation : une nouvelle pratique funéraire en harmonie avec les processus du vivant.
• Voir aussi l’article « Après la mort, le retour à la terre », d’Odile Floutié, dans Silence de février 2016, n° 442 p. 38.

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