Dossier Décroissance

À Lyon, les nouveaux réseaux de la décroissance

Guillaume Gamblin

Les réseaux militants décroissants, plutôt absents de la scène écologiste il y a quelques années, se renouvellent partout en France. Exemple à Lyon, terreau historique de la décroissance, avec la revue Les Lucioles, le Réseau universitaire décroissant et le collectif des Décâblés.

Depuis 2017, une petite lumière a commencé à briller dans l’espace des médias militants lyonnais. La création de la revue Les Lucioles est partie de l’envie d’offrir « un espace de parole ouvert à tout le monde, de rassembler dans ses pages toutes les sensibilités de la décroissance », explique Pascal, membre de la rédaction. La volonté est donc de dépasser les clivages entre certaines personnalités du milieu qui ont affaibli le mouvement de la décroissance depuis une quinzaine d’années.

Les Lucioles, espace d’expression pour une décroissance locale

Ce bimensuel de huit pages, pour l’instant distribué en format pdf sur internet, faute de moyens pour l’imprimer, a publié son quatrième numéro fin 2018. Avec un noyau de six membres mais une quarantaine d’adhérent·es, l’association se réunit une fois par mois.
Dans la revue, qui est participative, conçue et écrite bénévolement par des non-journalistes, on parle beaucoup d’aménagement du territoire. « Il y a une urbanisation et une métropolisation qui se font souvent au détriment du social, regrette Pascal. Une mise en concurrence des territoires. On est dans des logiques de marques, comme »Alpes is here« pour l’Isère. Ces questions renvoient également à des débats sur les pratiques de démocratie. La décroissance se rapproche selon moi des positions libertaires de démocratie directe. On parle finalement assez peu d’environnement, de nature et de biodiversité dans la revue, même si certains d’entre nous sont des passionnés. On parle davantage d’écologie politique, des enjeux technologiques et sociaux », conclut-il.

Un réseau étudiant pour la décroissance

À la rentrée 2017, au moment où Les Lucioles commençait à s’allumer à Lyon, naissait une autre initiative décroissante : le RUD, Réseau étudiant pour la décroissance. L’idée émerge quand Yohann, étudiant en architecture, et quelques amis, reviennent en covoiturage des (f)estives de la décroissance de l’été 2017 avec Baptiste Mylondo et Michel Lepesant. Ils souhaitent mobiliser les réseaux étudiants sur le sujet. Baptiste Mylondo, qui enseigne alors les théories économiques décroissantes et la critique de la croissance à l’université, les met en contact avec deux étudiantes intéressées par le projet : Renda Belmallem et Valentine Porche. Une première rencontre réunit 30 personnes. Leur objectif est alors d’ « organiser une conférence par an dans chaque université lyonnaise, afin que chaque étudiant·e ait la possibilité d’entendre parler de décroissance au moins une fois dans son cursus universitaire », se souvient Valentine. Le groupe fait ainsi intervenir Michel Lepesant ou encore Paul Ariès, et organise un « arpentage » (1) de la bande dessinée L’an 01 (2).
Une autre vocation de ce réseau est de mettre en lien des étudiant·es motivé·es par un projet de décroissance, pour se sentir moins isolé·es et pouvoir échanger des idées, réaliser des actions concrètes. Des amitiés se forment. Plusieurs dizaines de personnes y participent, avec un noyau dur de 5 à 6 membres. À la fin de sa première année d’existence, le réseau vacille un peu avec le départ de beaucoup d’étudiant·es pour d’autres villes, mais il reprend à la rentrée 2018.
Quelles sont les thématiques qui sont le plus débattues dans le milieu décroissant ? « Les piliers sont les questions du travail, du rapport à la technique, de la consommation et du productivisme », estime Yohann.
« Un autre sujet chaud est l’effondrement et la collapsologie, complète Valentine. Ainsi que la question des ‘smart cities’ (villes »intelligentes« car connectées). Elles sont largement reconnues comme dangereuses dans le milieu des étudiant·es en urbanisme. Certaines critiques se répandent. » « Même si derrière, les personnes ne font pas toujours une forte distinction avec le discours du développement durable », tempère Yohann, pour qui « le terme de décroissance fait moins peur qu’hier. Il était perçu comme très radical, il est maintenant plus répandu ».
Pour les membres du RUD, certaines questions se posent en lien avec leur position spécifique de « jeunes surdiplômés urbains », comme le résume Valentine. « La question se pose pour beaucoup d’entre nous de savoir ce que nous allons faire à la fin de nos études. Nous en sortons avec des diplômes qui sont bien valorisés. Allons-nous entrer dans des logiques de carrière ? Ou de refus de parvenir ? »

Les Décâblés, ou la décroissance par la technologie

Le collectif des Décâblés commence à faire des étincelles en 2018 à Lyon. Julia, son initiatrice, est alors étudiante et membre d’une association écologiste à partir de laquelle elle commence à se renseigner sur les impacts du numérique. Elle est marquée par la lecture de livres de critique de la technologie publiés aux éditions L’Échappée (3). Elle ne trouve pas de collectif qui travaille sur ces questions localement et décide donc de créer une entité pour en faire un vrai sujet de réflexion, de débat et d’action. « Je me sentais alors hyper aliénée et dépendante » aux technologies de la communication. « J’avais envie de me décâbler ! »
Les membres du collectif (un noyau de 8 à 10 personnes et 25 adhérent·es) se réunissent chaque semaine dans un local du 7e arrondissement de Lyon, pour discuter, échanger des informations, organiser des initiatives. Pour elles et eux, « on ne peut pas sauver la planète en publiant des textes sur internet ». Le but du collectif est d’avoir une vision et une réflexion globale, et non compartimentée comme c’est souvent le cas. En s’attaquant « à la dépendance mais aussi aux ondes, aux effets sanitaires. Au numérique mais aussi à l’électrique et à la technique en général ».
Le collectif organise en novembre 2018 à Lyon une Semaine décâblée qui réussit à faire converger de nombreux réseaux. « Nous avons pu faire le lien avec l’agriculture, l’enseignement, la santé. Nous avons abordé les plans social, écologique, sanitaire, du travail », énumère Julia, pour qui il s’agit d’élaborer une critique globale du système technicien. Selon elle, « le numérique est une porte d’entrée pour parler des autres problèmes. Il y a un aspect totalitaire, une injonction au numérique ». « L’omniprésence du numérique a un impact social fort. Il désocialise les rapports humains », ajoute Jessica. « Nous ne sommes ni technophobes, ni technophiles, tempère Nadia. On veut juste être libres par rapport aux outils. »

Allier la critique technologique à la construction d’alternatives conviviales

Les Décâblés se sont illustré·es en deux ans par des stands, une Semaine décâblée, l’organisation d’un mini-festival avec des concerts sans électricité, ainsi que des interventions scolaires, à Sup’écolodaires ainsi que dans une dizaine de classes d’un lycée pour « parler des techniques et de leur usage ».
Le collectif est en train de réfléchir à la création d’ateliers pour mettre en place « nos propres techniques artisanales ». Mais sans attendre cela, il agit déjà souvent avec l’Atelier soudé, atelier de réparation électronique et de création, pour allier le côté pratique à la théorie. Il agit en interaction également avec le collectif Écran total, qui s’oppose à l’informatisation de la vie, Info Linky, Ly’Ondes sur le thème de l’électrosensibilité, Tripalium, qui promeut l’autoconstruction d’éoliennes et la BRICC (Brigade de construction collective), qui cherche à réduire les déchets via leur réemploi. Autant de réseaux de pratiques écologiques alternatives qui, sans se revendiquer explicitement de la décroissance, peuvent être associés à ce mouvement tant leurs pratiques convergent.
Les Décâblés, un collectif décroissant ? « On est pour une décroissance technique, précise Julia. Face à l’accélération constante, à la complexification, à la convergence entre les nouvelles technologies (4), il est nécessaire de prendre du recul, de dire stop. Nous sommes pour l’échelle humaine, pour la sobriété. On peut questionner le mot ‘décroissance’, mais oui, nous luttons contre une économie qui est basée sur la puissance technicienne. On a besoin de se décâbler pour décroître, non ? Si on est pris dans ce rythme technologique, on ne peut pas décroître. »
Le collectif tente d’être cohérent. Avec une adresse de courriel mais sans site internet, il essaie de s’étendre sant utiliser le numérique. Et il y parvient. « Le Manifeste des décâblés a beaucoup de succès, on est invité·es dans toute la France, constate calmement Julia. On a réussi à en faire un sujet de débat dans plusieurs milieux, libertaires, associatifs, etc., où ce n’était pas à l’ordre du jour. Un terreau technocritique se met en place. C’est la condition pour se réapproprier nos modes de vie. »

Guillaume Gamblin

(1) Issu de l’éducation populaire, l’arpentage d’un livre est une méthode de découverte et de lecture critique qui consiste à se répartir entre participant·es la lecture de passages d’un livre puis à partager, par la discussion, l’intelligence collective que l’on en a.
(2) L’An 01, Gébé, éditions du Square, 1974
(3) On peut notamment citer, aux éditions L’échappée : La Tyrannie technologique – critique de la société numérique, coordonné par Cédric Biagini et Guillaume Carnino, avec Célia Izoard et Pièces et main-d’œuvre (2007), Le Téléphone portable, gadget de destruction massive, de Pièces et main-d’œuvre (2008), L’Emprise numérique – comment internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies, de Cédric Biagini (2012), La Face cachée du numérique – l’impact environnemental des nouvelles technologies, Fabrice Flipot, Michelle Dobré et Marion Michot (2013), ou encore Seuls ensemble – de plus en plus de technologies et de moins en moins de relations humaines, de Sherry Turkle (2015).
(4) Et en particulier les convergences NBIC, qui relient nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives.

Contacts :
• Les Lucioles, https://lucioleslyon.wordpress.com
• Les Décâblés, chez Les Clameurs, 23 rue d’Aguesseau, 69007 Lyon, lesdecables@riseup.net
• Atelier soudé, http://atelier-soude.fr
• Écran total, Le Batz, 81140 Saint-Michel-de-Vax, ecrantotal@riseup.net
• Ly’ondes, 04 78 33 82 63 (le lundi et mardi de 10 h à 13 h) ou sur
associationlyondes.wordpress.com
• Tripalium, www.tripalium.org
BRICC, www.labricc.fr

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