Depuis 2015, en seulement trois ans, à partir d’un appel lancé par deux couples nouveaux arrivants, la commune de Mâlain, à 20 km à l’ouest de Dijon, a vu se développer tout un chapelet d’initiatives écologiques et solidaires.
Après dix ans dans l’agglomération lyonnaise, Léo et Myriam voulaient quitter le milieu urbain, convaincu·es qu’il était possible de démarrer des alternatives dans n’importe quelle commune en y développant un réseau d’initiatives. Le duo partage cette idée avec un autre couple, Claire et François, et tous partent à la recherche d’un lieu d’implantation.
Sur son chemin, l’équipe rencontre la petite commune de Mâlain, 740 habitant·es, reliée à Dijon par le train, mais qui a refusé d’entrer dans la métropole. C’est la présence de Yvon Michea, un viticulteur bio prenant sa retraite, qui les attire en premier lieu. La décision de s’y installer est prise, avec le soutien de la mairie qui découvre au bout de quelques mois qu’un bâtiment avec du foncier agricole est en vente : environ 800 m2 habitables, à quoi s’ajoutent 3, 4 ha de terrains. Le tout est face à la gare, à l’extrémité du village, donc proche des champs. Profitant de la pente, l’étage donne directement, au nord, sur la route d’accès à la gare. Le rez-de-chaussée semi-enterré ouvre au sud sur les terrains agricoles. L’étage permet de faire dans un premier temps quatre habitations gérées collectivement (une cinquième est en projet). Au rez-de-chaussée sont installées les différentes activités professionnelles.
Associer la population aux projets
Trois structures sont mises en place : une société civile immobilière (SCI) pour acheter le bâtiment, un groupement foncier agricole (GFA) pour acheter les terrains agricoles, et une association, Risomes (réseau d’initiatives solidaires mutuelles et écologiques), « pour promouvoir les transitions et ruptures nécessaires pour un monde plus juste ».
Une première réunion publique est organisée dans le village en février 2015. Le groupe a l’agréable surprise d’y voir venir près d’une centaine de personnes. C’est le projet de GFA qui est alors à l’ordre du jour. L’enjeu qui consiste à remettre la main sur le foncier agricole pour aider l’installation paysanne dans le cadre d’une agriculture nourricière a du sens pour un public pourtant pas forcément engagé sur ces questions. Il est alors proposé de participer à la création du GFA par une participation au capital d’achat collectif des premières terres, avec pour second objectif d’en acheter d’autres afin de favoriser l’installation d’activités agricoles. L’appel est entendu : 36 000 euros sont collectés en deux mois auprès de 103 personnes.
La démarche de création du GFA suscite de nombreuses rencontres avec les habitant·es du territoire, permet d’entendre les vœux de chacun·e, de repérer des envies.
La charte et les statuts du GFA sont discutés et élaborés collectivement. La charte défend une agriculture respectueuse de l’humain, de l’animal et de l’environnement, sans obligation de certification en bio — bien que, dans les faits, tous les projets actuels soient en bio. Louis, administrateur de Terre de liens Bourgogne Franche-Comté, vient aider : selon lui, « la foncière Terres de liens qui permet l’achat de terrain est parfois complexe à mettre en place ; le GFA est plus simple. »
À la fin du processus de concertation, les 103 actionnaires ont élu cinq cogérants : Louis, Jean-Marc, retraité SNCF, Renaud, jardinier-paysagiste, François, vigneron, et Léo, chercheur en philosophie des sciences. Le GFA citoyen Champs libres voit le jour en juillet 2015. La SCI Le Convivium de Mâlain sera créée dans les mêmes échéances par les futurs habitants du lieu. Quant à l’association Risomes, elle sera créée en 2016.
Du pain et de la bière
Début 2015, quand Yvon Michéa part à la retraite, ses vignes sont reprises par Claire et François, qui faisaient déjà de l’agriculture en Rhône-Alpes mais voulaient revenir dans leur région d’origine. Le four à pain ne nécessite que très peu de rénovation et l’activité de boulangerie paysanne démarre dès 2016. Cyril, paysan boulanger, dispose actuellement de 12 ha pour produire ses céréales, dont 2 ha loués au GFA. De nouvelles acquisitions du groupe lui permettront de disposer de 2 ha de plus en 2019. Cyril produit environ 200 kg de pain par semaine, vendu sur place à 80 % et à 20 % par l’intermédiaire des Amap du territoire (1).
Jennifer met un peu plus de temps à créer, à la place de l’ancienne cave du café et de l’écurie, une brasserie artisanale et bio, la Microbrasserie de la Roche-Aiguë. Elle démarre son activité professionnelle en 2017. Une partie de l’orge utilisé pour la production de la bière est cultivée à 50 km par Jean Baptiste Zarat (2), et maltée par Malteurs Echos en Ardèche, la malterie artisanale et coopérative la plus proche (3). Le houblon bio, en revanche, vient de Belgique ou d’Allemagne car il n’a pas été possible pour Jennifer de se fournir en France : « Il est nécessaire de récréer la filière brassicole artisanale. Le développement actuel des micro-brasseries devrait favoriser une reprise de la culture locale d’orge et de houblon. » La production ancienne de houblon dans la région s’est arrêtée après la Seconde Guerre mondiale, avec la fin des brasseries artisanales. Renaud, le compagnon de Jennifer, travaille sur un projet de micro-houblonnière pour l’autonomie de la brasserie en houblon bio. « La production actuelle est de 450 litres toutes les deux semaines. La bière est vendue localement, à la brasserie, dans des Amap, sur des marchés, et lors de quelques fêtes locales. » Jennifer ne vend quasiment rien à Dijon, sinon au cinéma Eldorado et à une Amap. Elle reçoit des demandes d’autres Amap, mais sa production ne lui permet pas de les fournir pour l’instant. « Il y a localement peu de bières produites avec des matières premières issues de l’agriculture biologique. »
Des œufs et des légumes
Myriam, ancienne comptable en congé parental, a pris le temps de faire des stages par le biais de REPAS (4) avant de se lancer dans la production d’œufs bio début 2017. Elle a commencé avec 249 poules logées dans un poulailler en bois auto-construit. Les poules disposent d’un large espace extérieur (5000 m2) pour se déplacer dans un parcours arboré. Pour dégager un salaire correct, Myriam souhaite investir dans un deuxième poulailler et élever 500 poules. Elle bénéficie, pour les compléments alimentaires de ses volatiles, des drêches de la brasserie (résidus de l’orge qui assurent 20 % de la ration). Elle vend à 20 % sur place, 80 % en Amap. Là aussi, la demande dépasse l’offre : « Un rapide calcul économique montre que si tous les œufs étaient produits dans des poulaillers bio de petite taille (500 à 700 poules en vente directe), cela créerait 160 000 emplois en France, contre 15 000 générés par la filière industrielle actuellement. »
En 2019, Jeff se lance dans une activité professionnelle de maraîchage sur petite surface et sur sol vivant, en réaménageant 2000 m2 de parcelles du GFA et de la SCI. Conservant un autre travail salarié à mi-temps, il fait suite au départ d’Hélène. Il commercialise ses légumes localement, tout en dispensant formations et animations pédagogiques pour enfants et adultes.
L’avantage est que toutes ces initiatives sont concentrées en un même lieu. Ainsi, une vente directe est organisée sur place les mardis et vendredis. On peut déjà venir chercher bières, pain et œufs.
Autour de ces activités rémunératrices se développent d’autres activités associatives et bénévoles.
Porter ensemble les défis agricoles et alimentaires
Depuis leur création en 2016, les huit « groupes action » du Risomes fourmillent d’idées. Le fonctionnement horizontal de l’association y contribue grandement. L’un d’eux coordonne un projet d’épicerie coopérative. Un autre groupe de solidarité avec les migrant·es essaie de trouver des solutions de logements et d’éviter les expulsions. Une Université populaire et buissonnière propose des débats en lien avec la transition, les choix technologiques (Linky, Bure), l’alimentation, etc. Cela passe notamment par un « arpentage de livres, c’est-à-dire des lectures collectives qui se tiennent dans le café, mais aussi des enquêtes autour de la question de l’alimentation, ce qui permet de créer un lien dans le village entre des personnes de différentes générations ».
« À la différence du milieu universitaire, les enquêtes se font ici selon l’envie des personnes et non avec une structure méthodologique précise. De telles enquêtes nous permettent de mieux comprendre le rapport à l’alimentation sur notre territoire et les dégâts provoqués par l’arrivée des hypermarchés », précise Jean-Louis, membre de ce groupe.
Un groupe s’est constitué autour de la question de la biodiversité. Une première initiative a été de favoriser la présence d’abeilles. « Trois ruches ont été installées et le groupe propose de récupérer les essaims sauvages plutôt que de les détruire. » Cela donne même une petite production de miel (16 kg la première année). Le travail porte aussi sur les plantes bio-indicatrices pour essayer de comprendre la nature des sols et le manque d’insectes localement.
L’association La Milpa, quant à elle, organise diverses activités et événements : troc de graines ou de plantes, formation sur la production des semences, initiation à la permaculture. Son évolution et ses actions à venir seront définies à l’occasion de sa prochaine AG.
Des projets culturels et politiques
Le Chauffe-Savates, café associatif du Risomes, a été aménagé sur le lieu grâce à des chantiers collectifs et à un financement participatif. Ouvert depuis le début de l’année, il propose, le premier vendredi de chaque mois, différentes animations autour d’une petite restauration : concert, théâtre, cinéma, musique… Cela permet de rencontrer à chaque fois des têtes nouvelles. Le reste du temps, la salle sert de local associatif aux groupes Risomes et est proposée à la location à d’autres structures.
L’association a également lancé un festival qui a lieu tous les deux ans, Atout bout d’champ, dont la première édition, en 2017, a réuni une dizaine de stands associatifs, deux librairies, sept concerts, cinq conférences. Il y a eu 1300 entrées. Cela demande beaucoup d’engagements, d’où le choix de ne le faire qu’une année sur deux.
Une « Commission enfants » réunit cinq enfants âgés de 7 à 11 ans. Ce sont eux qui ont demandé, lors d’une assemblée générale de Risomes, de pouvoir se réunir indépendamment, sans la présence d’adultes. « Pour le moment, ils discutent pour savoir comment fonctionner entre eux sans adulte. »
Faire tache d’huile
Les structures mises en place (association, GFA et SCI) permettent d’évoluer facilement dans un cadre collectif et selon les envies de chacun·e. Un voisin paysan avec qui le groupe a sympathisé travaille actuellement sur environ 90 ha. Il prendra sa retraite en 2020. Ce sera peut-être une belle occasion de consolider les projets et d’en soutenir de nouveaux. L’enjeu est bien d’amplifier la dynamique et de continuer à faire vivre cette aventure agriculturelle.
Michel Bernard
(1) Association pour le maintien d’une agriculture paysanne
(2) La Ferme aux cent blés, 2, chemin du Vieux-Moulin, 21290 Saint-Broing-les-Moines, tél : 03 80 81 90 42, les100bles@yahoo.fr
(3) Malteurs Echos, 135 chemin du Bourget, 07240 Vernoux-en-Vivarais, tél : 04 75 62 31 89, www.malteurs-echos.fr
(4) Réseau d’échanges de pratiques alternatives et solidaires. Ce réseau regroupe une trentaine d’entreprises de différents secteurs et permet, sous forme de compagnonnage, d’accompagner la création de nouvelles initiatives. www.reseaurepas.free.fr
Contact général
RISOMES
28-30 rue de la Gare, 21410 Mâlain
collectif@risomes.fr
http://alternatives-agriculturelles.fr/risomes
Les structures de coordination
RISOMES, collectif@risomes.org : coordination des activités, aide au montage de projets.
SCI Convivium de Mâlain, cohabitat@alternatives-agriculturelles.fr : gestion des achats immobiliers, habitat participatif.
GFA citoyen Champs libres, gerance.gfa@alternatives-agriculturelles.fr, gestion du foncier agricole et aide à l’installation.
Les activités
GAEC Bouillot Salomon, francoisetclaire@free.fr, vins bio et naturels
Fournil paysan, cyril.beaulieu@free.fr, pain au levain
Ferme de la Cocotte d’or, fermedelacocottedor@alternatives-agriculturelles.fr, œufs bio
Brasserie de la Roche-Aiguë, brasserie-roche-aigue@zaclys.net, bière artisanale bio
La Milpa, lamilpa@alternatives-agriculturelles.fr, jardin potager permaculturel
Le Chauffe-savates, agenda@risomes.org, café associatif