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Bonnet rouge, gilet jaune et… chaussettes roses ?

Stephen Kerckhove

Paris est la capitale des défilés de mode. Il n’y a rien d’étonnant à voir des manifestant·es arborer fièrement ici des bonnets rouges, là des gilets jaunes. C’est ainsi qu’un novembre pluvieux a connu la résurgence d’une jacquerie jaune fluo.
Une colère sourde a rendu la fiscalité écologique responsable de tous les maux. Gilets jaunes et bonnets rouges ont donc été ressortis pour l’occasion du placard.

La pollution atmosphérique tue
Alors que plus de 48 000 personnes meurent, chaque année en France, des effets de la pollution atmosphérique, qu’un consensus semblait se faire jour sur l’urgence d’agir sur les causes du dérèglement climatique, une classe politique irresponsable a cru bon devoir soutenir la revendication d’une baisse du prix des carburants.
Le prix de l’essence, supposé être à l’origine de cette mobilisation, est très loin d’atteindre un sommet historique. En une décennie, entre 2008 et 2018, le prix de l’essence sans plomb a augmenté de 17 centimes. Alors que l’essence atteignait les 1,7 € le litre en 2012, il faut débourser 1,54 € en 2018, soit une baisse de 10 % en seulement 6 ans ! En tenant compte de l’inflation, l’essence coûte moins cher aujourd’hui qu’il y a 10 ans !
Entre 2008 et 2018, la consommation des véhicules a tendanciellement baissé pour passer de 6,98 à 6,39 l/100 km. Cette efficacité énergétique a permis d’économiser mensuellement, pour un conducteur ou une conductrice parcourant 15 000 km/an, 11,35€. Mais les chiffres ne sont que peu de choses face à la colère. Or, quand 58 % des déplacements de moins d’un kilomètre se réalisent en voiture, il n’est pas illégitime de réfléchir aux alternatives à proposer pour se libérer de l’emprise de l’automobile.

Ne nous trompons pas de colère !
Qu’une partie de l’opinion puisse exprimer de légitimes revendications sur la façon dont le gouvernement favorise le 1% des plus riches au détriment de celles et ceux qui souffrent est une chose. Que la colère se cristallise aujourd’hui sur la fiscalité écologique est une grave erreur car elle obère nos chances d’opérer enfin une transition écologique qui n’a que trop tardé à être mise en œuvre. Pour plagier l’abbé Pierre, le gilet jaune, comme en son temps le bonnet rouge, est un humain qui se trompe de colère.
Que celles et ceux qui instrumentalisent la souffrance des gens aient honte. Ils ne sont tout simplement pas dignes de nous représenter. Ils ne sont pas à la hauteur de l’Histoire, pas à la hauteur de la crise climatique qui réclamera de nous un effort bien plus conséquent que ces quelques centimes d’augmentation.

Choisirons-nous de vivre dans le déni ?
Préférant vivre dans le déni en exigeant que le prix du pétrole baisse à mesure que les stocks disponibles s’amenuisent, notre société occidentale prend le risque d’un réveil brutal. Faute d’anticiper et de préparer l’avenir, nous nous condamnons, à moyen terme, à subir tout à la fois les effets du dérèglement climatique et une hausse immaîtrisable du prix des ressources pétrolières. Ce jour-là, il est vraisemblable que nous n’entendrons plus ces irresponsables politiques justifier, pour quelques points de popularité, l’injustifiable.

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