Dossier Aménagement du territoire Environnement

Usages de l’eau, production de l’énergie : des défis immédiats

Martha Gilson

L’eau, source de vie, se fait de plus en plus rare aux sommets. L’accélération du réchauffement climatique met en tension différents usages de l’eau disponible en montagne. Face à la fragilité des écosystèmes, des habitant·es s’organisent pour préserver et valoriser les ressources naturelles.

Depuis le début du 20e siècle, les températures ont augmenté de 1,5 °C à 2,1 °C du nord au sud des Alpes (1). Le nombre de jours de gel a diminué, la limite entre pluie et neige s’est sensiblement élevée. En dessous de 2 000 m d’altitude, l’enneigement a diminué de 20 à 40 % depuis la fin des années 1980, l’ensoleillement a augmenté de 20 % et l’évapotranspiration de 8 % à 13 % sur les 30 dernières années dans les Alpes, etc. Ces bouleversements climatiques sont d’une rapidité et d’une ampleur sans précédents à l’échelle de nos sociétés humaines modernes (2).

Des conflits d’usage de l’eau

Les études concordent : l’eau se fera de plus en plus rare dans les Alpes, alors que la demande augmente. Tourisme, agriculture, production d’énergie, développement urbain, etc., il va falloir choisir. Educ’Alpes sou- ligne que « l’agriculture de montagne se heurte à des aléas climatiques de plus en plus intenses et fréquents : sécheresses, printemps décalés, gel après démarrage des végétations... [...] Ce manque d’eau n’est pas toujours facile à gérer pour les agriculteurs et a déjà entraîné épisodiquement des baisses de production fourragère et laitière, des recours à l’eau potable pour irriguer vergers et cultures, de mauvaises prises de poids pour les animaux en alpage, des modifications des pratiques pastorales. » Les bergèr·es sont parfois obligé·es de redescendre des alpages au milieu de l’été, faute d’eau pour les brebis. Les marges de manœuvre pour adapter une agriculture et un élevage fragiles sont ténues. Maintenir ces activités montagnardes sup- pose de les valoriser par des stratégies coopératives, un accès facilité aux terres, à une gestion et un par- tage de l’eau. L’extension des stations de ski bouleverse

Quand la faune et la flore ne sont plus en rythme...
Le réchauffement climatique perturbe le rythme des saisons, au détriment du fonctionnement des écosystèmes. La flore se réveille plus tôt,
tout comme la neige disparaît plus vite, alors que certains animaux ne se sont pas adaptés à ce chan- gement. Le lagopède alpin en fait durement les frais. Cette perdrix au plumage hivernal blanc devient, en ces temps arides, bien facile à repérer pour ses prédateurs. La fonte des neiges, associée au déve- loppement des aménagements alpins toujours plus en altitude, réduit d’année en année le territoire du lagopède qui, dans les Alpes, n’est plus présent que sur les massifs élevés, au-delà de 1 900 m...

l’environnement en détournant des écoulements d’eau et en en prélevant une grande quantité en période d’étiage hivernal. Ces pratiques entrent en tension avec d’autres usages de l’eau par l’ac- tivité humaine, comme la consommation d’eau potable. Afin de dépasser le conflit, pour le réseau Educ’Alpes, le « changement climatique mais aussi la crise énergétique et la hausse du coût des transports invitent à repenser la place du tourisme dans les modèles de développement de la montagne ».

L’eau : un bien commun à valoriser et protéger

La gestion de l’eau, question de priorité collective, doit devenir une question publique.Dans le Parc naturel régional du Verdon (Alpes-de- Haute-Provence et Var), trois communes volontaires bénéficient d’un programme pilote sur la mise en œuvre d’économies d’eau dans les bâtiments publics. Ces formations sont la première étape d’un processus qui promet d’être long afin de faire évoluer les mentalités et de construire ensemble une montagne résiliente. Les initiatives se multiplient, comme ce collège du Diois (Drôme) qui projette d’installer des toilettes sèches pour ses élèves. Mais elles ne suffisent pas actuellement à inverser la tendance.

S’approprier la production d’énergie

Il n’y a pas que le tourisme qui peuple et impacte la montagne ! On y habite aussi et, comme partout, la manière d’y vivre se répercute sur l’environnement. Le réseau Educ’Alpes recense des initiatives alpines qui tendent à un modèle harmonieux entre la population locale et son environnement. Le Briançonnais (Hautes-Alpes) produit l’électricité nécessaire à la consommation de sa population à partir de panneaux solaires et de centrales hydroélectriques. 560 KWh sont ainsi produits chaque année, ce qui couvre environ 50 % des besoins locaux. La société Soleil Eau Vent Energie (SEM SEVE), qui rassemble les capitaux privés et publics, se développe et réinvestit systématiquement dans de nouvelles installations. Son objectif de produire localement, consommer localement et partager le bénéfice localement est bien atteint.
Autre initiative, depuis 2010 : le modèle des centrales villageoises se développe dans les Alpes sous l’impulsion des parcs naturels régionaux et d’Auvergne-Rhône-Alpes Énergie- Environnement. Ces centrales ont pour but de produire des énergies renouvelables en associant citoyen·nes, collectivités et entreprises locales. C’est alors ensemble que la consommation d’énergie est pensée et maîtrisée. Les centrales villageoises alpines comptaient, début 2018, 13 sociétés, 126 installations photovoltaïques et 1 400 actionnaires !
À côté de ce modèle reproductible, de nombreux projets de réappropriation de l’énergie voient le jour partout dans les Alpes. À Auzet, petite commune de 98 habitant·es, quatre familles sont accueillies depuis 2014 dans des logements sociaux passifs,à1250md’altitude,où elles n’ont besoin d’aucun chauffage ! Une réalisation portée par une partie de la population, et qui a contribué à dynamiser le village.
Ces initiatives locales portent une vision alternative du « vivre montagnard » et participent à la valorisation de la montagne. Une goutte d’eau qui n’empêchera malheureusement pas l’avalanche, si elle n’est pas rejointe par des mobilisations de plus grande ampleur. Le développement de celles-ci laisse préfigurer un espoir pour l’avenir des cimes, qui passera par un pouvoir redonné aux habitant·es et aux allié·es de passage.

(1) Selon l’indicateur d’évolution des températures pour les Alpes, développé par le site de météorologie Agate, les températures ont augmenté de 2 °C en moyenne sur l’ensemble des Alpes depuis 1900 (1,85 °C dans les Alpes du Sud, 2,1 °C dans les Alpes du Nord).
(2) Depuis 1970, les glaciers des Alpes françaises ont perdu 38 % de leur surface. Le rythme de la fonte s’accélère depuis 2003 et génère de nouveaux risques. Selon Educ’Alpes, « d’ici la fin du siècle, les glaciers qui culminent à moins de 3 500 m (soit la majorité des glaciers alpins) pourraient complète- ment disparaître sous l’effet du réchauffement, fragilisant la disponibilité de la ressource en eau et bouleversant le visage de la haute montagne ». Cette fonte des glaciers joue sur les ressources en eau et la production d’énergie, entre autres.

Cet article s’appuie sur le travail de veille informative et de synthèse réalisé par Educ’Alpes, réseau d’acteurs et d’actrices de l’éducation à la montagne dans les Alpes françaises, qui a notamment publié le dépliant poster « Changement climatique : c’est chaud pour les Alpes ! », et qui organise des « journées éducateurs » pour les professionnel-les de l’éducation et de la montagne.
Educ’Alpes, réseau d’éducation à la montagne alpine, Forest Activités,
25 rue du Forest-d’Entrais, 05000 Gap,
tél. : 04 92 53 60 96, contact@educalpes.fr, www.educalpes.fr

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