Dossier Alternatives Habitat

Vieillir en habitat collectif

Guillaume Gamblin

Comment concilier les besoins de sécurité et d’autonomie à l’âge de la retraite puis dans la vieillesse ? Il existe tout un panel de réponses qui passent généralement par une dimension collective dans l’habitat.

Beaucoup de personnes retraitées ou âgées se trouvent, à un moment ou à un autre, confrontées à une double exigence en apparence contradictoire : le désir de rester autonomes le plus longtemps possible dans leur manière d’habiter et dans leur mode de vie au quotidien, doublé d’un besoin de sécurité qui surgit en prévision d’une perte d’autonomie ou face à celle-ci.

Sécurité ou autonomie : faut-il choisir ?

« Rester chez soi, dans son domicile traditionnel, offre certes la garantie d’une autonomie maximum, mais est réputé ne plus permettre la sécurité de la personne lorsque apparaissent des fragilités importantes. Trop souvent, le maintien à domicile est associé à une grande solitude, estime la chercheuse Anne Labit (1). L’institution, médicalisée ou non, quant à elle, si elle garantit la sécurité des personnes, est souvent accusée de ne pas favoriser la prise en charge active et autonome de ses propres besoins, voire d’attenter à la liberté individuelle (assistance pour les moindres gestes, horaires contraints, non respect des espaces privés, etc.) » (2). Sécurité ou autonomie, faut-il sacrifier l’un au profit de l’autre ? C’est précisément face à cette équation délicate que d’autres formes d’habitat ont émergé. Leur point commun : intégrer, à un degré ou à un autre, une dimension collective ou semi-collective.

Une boussole pour réfléchir aux alternatives

La chercheuse Anne Labit propose dans une étude réalisée en 2017 (1) une typologie des différentes formes d’habitat alternatif dans la vieillesse. Elle distingue l’habitat accompagné, porté et géré par des professionnel·les (même si les personnes âgées y sont parfois associées) de l’habitat autogéré, initié et porté par les personnes âgées elles-mêmes. Elle définit, d’autre part, l’habitat partagé (colocation) et l’habitat groupé (logements indépendants et espaces communs). Cette typologie se traduit dans le schéma qui apparaît page suivante. Attardons-nous un moment sur chacun de ces pôles.

Une chambre à soi

L’habitat partagé accompagné recouvre différentes réalités, notamment l’accueil familial. Il s’agit de l’accueil par des particuliers à domicile, moyennant rémunération, de personnes âgées n’appartenant pas à leur famille. Fin 2013, 6 700 personnes âgées étaient accueillies de cette manière en France, de façon permanente pour la plupart (3). Loger avec sa propre famille, dans la maison des enfants ou des parents, est aussi une forme d’habitat partagé répandue. Les Maisons partagées ont été lancées par l’association Âges sans frontières. Ce sont des sortes de colocations pour personnes âgées autonomes, qui partagent un espace collectif tout en possédant un espace privé (chambre et salle de bains), soutenues dans leur vie quotidienne du lundi au vendredi de 9 h à 16 h par une gouvernante. Dans le Tarn, deux maisons jumelles de quatre personnes sont situées en bordure d’un village. Les habitant·es participent au ménage, aux courses. Un potager et un poulailler sont gérés par les résident·es volontaires. Outre le soutien quotidien, la gouvernante propose un programme d’animations et de sorties adapté aux attentes des résident·es (4).

Colocataires de tous les âges, unissez-vous !

Certaines personnes choisissent des formes d’habitat partagé accompagné, mais gardent plus d’initiative et d’autonomie de gestion. C’est le cas des colocations de personnes âgées nées dans le cadre du réseau Cocon3S, lancé après la canicule de 2003 par la psychosociologue Christiane Baumelle. Son but est d’encourager les personnes âgées à se regrouper dans une maison ou un appartement, en bénéficiant d’un accompagnement de l’association pour monter le projet. Les locataires sont lié·es par un bail solidaire.
D’autres optent pour l’habitat partagé sous une forme véritablement autogérée. Il en va ainsi des colocations entre « seniors » en dehors de tout cadre institutionnel ou associatif.
La colocation permet une convivialité au quotidien, une entraide, une forme de sécurité ainsi que des économies d’argent et d’énergie par rapport à la gestion d’un logement individuel. Cependant, il n’est pas toujours facile d’aller habiter chez quelqu’un d’autre. Mais ce choix est souvent guidé avant tout par une contrainte économique.
Autre formule : la colocation intergénérationnelle. Elle permet à une personne âgée seule de proposer une chambre à un·e étudiant·e de manière gratuite, en échange d’un engagement à être présent·e chaque soir, en semaine. Ce type d’habitat est souvent initié et encadré par des réseaux associatifs ou institutionnels. C’est le cas du CoSI, dans toute la France, et de réseaux plus locaux comme Vivre avec, à Bordeaux, ou Un foyer, deux âges, en Alsace (5). Généralement, l’association effectue le travail de « recrutement » des candidat·es des deux côtés puis leur propose de réaliser des binômes en fonction de leurs attentes respectives. Un suivi humain est organisé durant toute la durée de l’expérience. Cette présence chaque soir de la semaine permet à des personnes âgées autonomes de rester dans leur logement plus longtemps en étant davantage en sécurité.

Foyers logement et résidences service

Du côté de l’habitat groupé accompagné, chaque personne ou chaque couple vit dans un logement indépendant, au sein d’un lieu proposant également des espaces communs. Il existe toute une gamme de formules développées par les institutions.
Notamment les foyers logements, souvent gérés par les Centres communaux d’action sociale (CCAS), accessibles selon des critères sociaux. Ils permettent à des personnes dans le dénuement de vivre leur vieillesse dans un cadre sécurisé, en limitant l’isolement. Chaque personne dispose d’un studio (loué) où elle peut cuisiner. Les repas communs sont possibles chaque jour. Une équipe d’accueil y est présente au quotidien (6). Le choix des aides professionnelles pour le ménage ou les soins de santé sont du ressort de chaque résident·e.
En Belgique, certaines de ces résidences sont adossées à des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cela permet aux personnes qui passeraient de l’une à l’autre de garder leurs repères et leur réseau de relations sociales dans le même quartier.
Les « résidences service », gérées par des acteurs privés ou associatifs, fonctionnent à peu près selon le même principe (7).

Des béguinages aux multiples visages

Les béguinages sont des habitats groupés créés à l’initiative d’institutions, de sociétés ou d’associations. Certains sont le fruit d’une initiative communale, en particulier dans le Nord de la France. Il s’agit de logements accessibles en location ou en achat, soit dans un immeuble soit sous forme de maisons, avec des espaces communs. Cela s’apparente parfois à un quartier pavillonnaire, mais avec un esprit un peu différent. Les béguinages sont réservés à des personnes âgées autonomes.
D’autres se sont créés à l’initiative d’associations à vocation sociale. C’est le cas du réseau Béguinages solidaires, fondé par l’association Nouvelles solidarités et la foncière Habiter Solidaire. Deux lieux, en cours de création, seront accessibles aux personnes défavorisées. Certains espaces y sont communs aux différent·es locataires : jardin potager, cybercafé, chambres d’ami·es, salle de vie commune. L’écologie est également mise en avant dans la conception de l’habitat. La rencontre des générations se fait à travers des espaces communs, des potagers et des ateliers de bricolage ouverts aux habitants du quartier.
Des acteurs privés se sont également intéressés au principe du béguinage, à l’image de Vivre en béguinage, société dirigée par Thierry Predignac. Celui-ci explique que quatre maisons ont déjà été ouvertes, à Perpignan, Quimper, Mulhouse et Lourdes, et qu’une dizaine d’autres sont « dans les tuyaux ». Il estime faire face à « une forte demande ». La particularité du projet est d’être d’inspiration chrétienne. Les résident·es louent des appartements au sein d’un bâtiment, parfois un ancien cloître comme à Perpignan (8).

L’habitat groupé autogéré

Enfin, venons-en à la dernière branche : celle de l’habitat groupé autogéré. En France, la coopérative d’habitat pour personnes âgées Chamarel est née en juillet 2017 à Vaulx-en-Velin (voir reportage page 10). Elle fait suite à la création à Montreuil d’un habitat groupé autogéré entre femmes : les Babayagas.
Si ces projets d’habitat groupé spécifiques à la vieillesse sont encore peu nombreux, la plupart des habitats participatifs intègrent des personnes âgées. Mieux : « Les personnes âgées, plus exactement les jeunes retraités (60-70 ans) constituent souvent le gros des troupes de l’habitat participatif », estime Anne Labit. Sans compter les habitats groupés anciens (une quinzaine en activité) dont les membres sont devenu vieux et vieilles au fil du temps (9). La suite de notre dossier s’attarde particulièrement sur l’expérience de ces habitats groupés où il ferait bon vieillir ensemble, dans des appartements différents mais sous un même toit et dans un esprit solidaire.

(1) L’habitat participatif : une solution pour bien vieillir ?, note de synthèse réalisée pour la Fondation de France, janvier 2017, disponible sur halage.info.
(2) Il existe des expériences positives au sein d’Ehpad pour améliorer le bien-être, notamment en l’ouvrant vers l’extérieur, en faisant rentrer par exemple une cantine scolaire, une crèche, un jardin partagé, un bureau de poste de village. Voir « J’ai décidé de faire entrer la vie au maximum dans les maisons de retraite » sur onpassealacte.fr.
(3) Le coût de sa prise en charge varie entre 1 000 et 1 800 euros par mois. La personne accueillie peut bénéficier d’aides de l’État pouvant faire tomber la facture à 800 euros. L’association des accueillants familiaux est la Famidac, Bouteillac, 07110 Rocles,
www.famidac.fr
(4) Début 2018, le coût affiché était de 1 060 euros par mois.
(5) CoSI, Réseau de cohabitation solidaire intergénérationnelle, 155 Rue de Belleville, 75019 Paris, reseau-cosi.org.
Vivre avec, LABB Nansouty, 279 cours de la Somme, 33800 Bordeaux,
www.logement-solidaire.org.
Un foyer 2 âges, Maison des aînés Kléber,
9 place Kléber, 67000 Strasbourg,
1foyer2ages.free.fr.
(6) « Entre domicile et accueil collectif », Lisa Giachino, L’Âge de faire, n° 102, p. II.
Voir aussi la plaquette « Des formules innovantes de logement pour bien vivre sa retraite », réalisée par l’Assurance retraite, la Mutualité sociale agricole et le Régime social des indépendants.
(7) Voir www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, section « Choisir un hébergement ».
(8) Voir le reportage sur le béguinage de Perpignan dans Silence n° 441, p. 18.
(9) Voir notamment les reportages de Silence n° 403, p.8 ("La Fonderie, 30 ans
d’habitation groupée« ) et Silence n° 447, p. 16 ( »Habitats groupés à Jouy-le-Moutier").

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