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Vendredi noir…

Stephen Kerckhove

Dans un bel élan schizophrénique, notre société de consommation, après s’être émue de la démission de Nicolas Hulot et inquiétée des effets du dérèglement climatique et de l’effondrement des écosystèmes, a célébré début octobre 2018, le « Black Friday ». Cette nouvelle fête de la surconsommation illustre le fossé grandissant entre ce que nous devrions entreprendre pour éviter le chaos climatique et une réalité faite de stimuli commerciaux, normalisant le surrégime et banalisant l’excès.
Promo sur la planète, solde sur le climat…tout doit disparaître !
Ce « Black Friday » est donc tout à la fois le jour des occasions à ne pas manquer et le jour de la frustration généralisée. Le fossé entre le monde mirifique venté par la publicité, la capacité financière des consommat·rices et les contraintes écologiques s’agrandit jour après jour. Profiter jusqu’à la lie, renoncer à toute satiété, sur-vivre au sens littéral du terme, voilà ce à quoi nous invitent les petits soldats du consumérisme. Compulsivement, les consommat·rices, véritable « illimité·es », sont donc sommé·es de renoncer à toute morale pour embrasser le monde marchand et son obésité matérialiste.
L’écœurement est, sans nul doute, au bout de ce tunnel. Mais le système consumériste a acquis une sorte d’immunité grâce au renouvellement permanent qui induit lui-même une sorte d’amnésie. En accélérant le rythme, les consommatr·ices renoncent à s’inscrire dans une durée quelconque. Chacun·e peut dès lors, avec la même « sincérité », se prosterner devant la dernière prothèse qui aura tôt fait de devenir irremplaçable et regretter les effets de ladite prothèse sur les grands équilibres écologiques.
Des marches pour le climat à une mobilisation politique
La pression publicitaire entretient également cette illusion d’un monde sans fin, et ce avant de découvrir… la fin du monde.
En septembre, plus de 150 000 personnes ont marché pour le climat. Ces marches ont rassemblé des jeunes et des personnes âgées, des militant·es chevronné·es et des citoyen·nes inquièt·es. Cette diversité est tout à la fois une richesse et une menace. Par leur diversité, ces manifestant·es ont porté un message, une sincérité qui peut nous rendre optimiste. À rebours, le caractère spontané de ces marches les rend fragiles car personne ne peut croire que le système « destructiviste » s’écroulera à la suite d’une simple manifestation, fut-elle créative, chaleureuse et conviviale.
L’heure est à la politisation, au sens noble du terme. La peur, la crainte, l’espoir qui se sont exprimés durant ces marches pour le climat doit connaître une suite. L’une des suites possibles pourrait être de boycotter et d’appeler au boycott les opérations du type « Black Friday ». L’histoire jugera sévèrement ces grands messes à la gloire du consumérisme finissant. Ce « Black Friday » est avant tout un vendredi noir pour la planète. Profitons de ce moment d’irrationalité collective et de dévotions dégoulinantes pour désacraliser ces fêtes païennes organisées à la gloire de ces nouveaux dieux que sont Apple et consort. À l’heure des crises écologiques, les manifestant·es de la marche pour le climat doivent barrer la route des manipulat·rices et contester, pas à pas, la place prise par les publicitaires et autres marchands du temple.

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