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Les secrets des entreprises seront bien gardés

Danièle Garet

Le Parlement a voté définitivement, le 21 juin 2018, une loi sur le « secret des affaires ». Visant à protéger les entreprises contre le pillage industriel et la concurrence déloyale, elle va en réalité bien au-delà et menace gravement la liberté d’informer.

Dans la tâche consistant à transposer en droit français une directive européenne de juin 2016, La République en Marche a fait du zèle. Le texte européen se cantonnait au contexte commercial et industriel. La loi française sur le « secret d’affaires » en donne une définition si vague que toute information interne à l’entreprise est susceptible d’en faire partie. Des scandales comme ceux du Médiator, du RoundUp ou encore de l’évasion fiscale (Apple, UBS) mais aussi de simples informations sur des difficultés financières (cas Conforama/Magazine Challenges), pourraient ne plus être être rendues publiques. On est loin du seul secret de fabrication industrielle... lequel n’est par ailleurs guère sympathique (refusant le partage des savoirs au nom de la compétitivité) et peut aussi intéresser le public, comme dans le cas de la fabrication d’OGM par exemple.

« Une arme de dissuasion massive »

Les promot·rices de la loi mettent en avant les dérogations introduites dans le texte. Mais celles-ci n’empêchent pas les poursuites envers des ONG, journalistes, universitaires, lanceurs et lanceuses d’alerte, salarié·es. Or le seul risque de procédures judiciaires longues et coûteuses constitue, selon les organisations impliquées contre la loi, « une arme de dissuasion massive ». C’est précisément l’effet recherché par les « poursuites baillons », d’autant plus souvent utilisées par les multinationales qu’elles sont peu réprimées.

La liberté d’information subordonnée aux intérêts privés

Ainsi le rôle de lanceur d’alerte, déjà peu favorisée par la loi Sapin 2 de novembre 2016, devient encore plus difficile. Le journalisme d’investigation, la recherche scientifique indépendante et le syndicalisme aussi. Les personnes divulgant une information jugée secrète par une entreprise seront très mal protégées. C’est sur elles que reposera désormais la lourde charge de faire la preuve de leur intention d’agir dans l’intérêt général. Là encore, le flou de la définition ouvre la porte aux interprétations et à l’incertitude juridique (1). Pendant deux ans, la résistance à la loi a fortement mobilisé (2). Les organisations impliquées proposaient de limiter le texte aux pratiques de concurrence déloyale. Il n’est pas anodin que cette recommandation de bon sens et dans l’esprit de la directive européenne, n’ait pas été suivie par le Parlement...

(1) Les personnes devront aussi justifier de leur qualité, et donc leur légitimité pour agir, et ne seront protégées que si elles révèlent des pratiques illégales. Dans le cas de pratiques d’évasion fiscale, hautement nocives mais légales, aucune protection ne jouera.
(2) Une pétition, portée par une cinquantaine d’ONG, a recueilli 560 000 signatures.

Le 3 octobre 2018, Olivier Petitjean publie sur le site Bastamag un article intitulé « Le ’secret des affaires’ est invoqué pour la première fois, au profit d’un labo pharmaceutique ». L’article explique que la première invocation officielle du « secret des affaires » émane d’une agence publique, l’Agence du médicament, qui refuse de rendre publique l’autorisation de mise sur le marché de la nouvelle formule du Levothyrox fabriqué par le laboratoire Merck. Le Levothyrox est au coeur d’un scandale sanitaire et accusé de provoquer de nombreux effets secondaires.

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