Dossier Alternatives Habitat

Il n’y a pas d’âge pour l’habitat participatif

Guillaume Gamblin

« Mieux vieillir que dans d’autres situations d’habitat (dans son domicile traditionnel, en institution), tel est le défi relevé par l’habitat participatif », note la chercheuse Anne Labit. Mais quelles en sont les conditions ?

La plupart des réflexions et des préconisations de cet article sont tirées de l’étude réalisée par Anne Labit en 2017 pour la Fondation de France et le réseau Hal’âge, « L’habitat participatif : une solution pour bien vieillir ? », disponible sur halage.info.

Les résultats d’études quantitatives réalisées en Allemagne indiquent que « le soutien de voisinage dont bénéficient les seniors en habitat participatif leur procure de meilleures conditions de vie et de santé » et que « ces personnes ont moins souvent recours à une aide professionnelle » que les autres. Une autre étude qualitative menée aux États-unis « montre sans ambiguïté la qualité du vieillissement au sein de ce type d’habitat (moins d’isolement, accroissement des ressources sociales, sentiment de sécurité), aux conditions que l’habitat soit réservé aux seniors et que le projet de vieillir ensemble soit clairement assumé et porté par les membres du groupe ». Une étude réalisée en Suède pointe notamment « l’importance des repas pris en commun, typiques du modèle suédois de cohousing, pour accroître le lien social entre les habitants ».

Conflits, lenteur et coût financier : des défis à relever

Cependant, un certain nombre de difficultés et de défis sont soulevés : lenteur et coût financier de la participation des habitant·es à la conception du projet, processus de décision parfois conflictuel, gestion de la dépendance de certain·es. Ou encore conflits de « générations » entre les personnes ayant fondé le projet et celles arrivées plus tard, parfois moins impliquées dans la vie collective. Sans oublier de « définir la place de l’entourage familial, qui peut être surprotecteur et envahissant » parfois.
C’est pourquoi Anne Labit formule un certain nombre de points de vigilance à prendre en compte.

La question du grand vieillissement

La question du grand vieillissement est celle que la plupart des groupes ont du mal à envisager : « Comment envisager les pertes de capacité ? La grande dépendance ? Comment gérer la fin de vie ? Quel type d’entraide mettre en place ? » Il s’agit d’« entrer dans le projet les yeux ouverts » en distinguant les différents niveaux de besoin (assistance légère, soutenue ou constante) et en s’interrogeant sur les différentes solutions possibles : maintien à domicile avec l’assistance du groupe et/ou des aides extérieures, départ en institution, ou encore création sur place d’une structure dédiée. C’est le cas du projet Amaryllis à Bonn (Allemagne) : attenant à deux immeubles de 10 logements chacun a été créé un appartement communautaire médicalisé pour 8 à 10 personnes nécessitant soutien et soins constants. Une autre dimension du grand âge est l’éventuelle perte de facultés cognitives. Il importe que le groupe reconnaisse d’éventuelles incapacités cognitives dans les modes d’expression et de décision collectives.

Maintenir le lien entre les générations

Pour maintenir un lien avec les personnes plus jeunes, plusieurs options sont possibles : développer les liens de voisinage, offrir des espaces et des activités ouvertes sur l’extérieur (ateliers, expositions, concerts), intégrer un jeune couple salarié à demeure pour le service et l’entretien, cofinancer un ou deux appartements locatifs pour des jeunes, pouvant être affecté dans un second temps à du personnel si le besoin s’en fait sentir.
Au sein même du groupe d’habitant·es, on peut discuter d’une éventuelle différence de répartition des tâches entre les différents âges qui sont présents.

Questions de genre

L’habitat collectif n’échappe pas aux questions de genre. C’est ce qu’ont d’ailleurs bien compris les Babayagas, qui ont construit à Montreuil un habitat groupé autogéré spécifiquement réservé aux femmes (1). Mais, au-delà de cet exemple, Anne Labit souligne : « La motivation à vieillir en citoyenneté active et solidarité de proximité semble particulièrement forte chez les femmes, vieillissant plus souvent seules que les hommes, dont les moyens économiques lors de la retraite sont plus faibles et qui ont dû plus souvent que les hommes faire face au vieillissement de leur propres parents. Les femmes âgées vivant seules constituent ainsi une proportion importante des membres des groupes de citoyens qui portent des projets d’habitat participatif. »

Questions d’argent
Au niveau du montage économique et juridique, il faut rester vigilant·e sur plusieurs points. Pour veiller à la mixité du projet alors que de fortes inégalités de revenus et de patrimoine peuvent se présenter entre les personnes, le choix du locatif social peut être une solution. Au niveau économique, pour suppléer l’éventuelle faiblesse des retraites, des partenariats sont envisageables avec des structures impliquées dans le développement de ce type d’habitat sur leur territoire : CCAS, associations, etc.

Un réseau ressource pour construire la réflexion

Sur toutes ces questions et bien d’autres liées au vieillissement en habitat participatif, la référence qui revient souvent est Hal’âge. Ce réseau ressource, créé fin 2014, n’a pas vocation à accompagner des projets mais à envisager la question du vieillissement au sein de l’habitat participatif en dépassant le clivage entre expertise universitaire et expertise citoyenne, explique Annie Le Roux, une de ses membres. Il organise des voyages d’études et des séminaires, et réfléchit aux critères qui rendent l’habitat participatif viable pour la vieillesse à certaines conditions. « Il ne s’agit pas de dégager des modèles mais des constantes auxquelles faire attention », précise Annie Le Roux. S’approprier ces questions par la base est important pour faire avancer l’habitat participatif citoyen et solidaire. « Si, face à cette demande d’alternatives, l’initiative citoyenne ne prend pas toute sa place, c’est l’initiative privée et commerciale qui la prendra. L’enjeu est de pouvoir choisir où et comment vivre dans la vieillesse, même pour les retraité·es aux revenus modestes, en majorité des femmes. »

(1) La Maison des Babayagas est un immeuble autogéré, citoyen, écologique, féministe, laïque et solidaire, en gestion mixte avec un office HLM. Sa particularité est d’être habité uniquement par des femmes, de manière volontaire. Des espaces collectifs servent de lieux de vie ouverts sur le quartier et une charte engage chacune à donner dix heures par semaine à la collectivité. Les 21 appartements accueillent des résidentes ayant des petits revenus, pour la plupart septuagénaires à sa création en 2012, ainsi que quatre plus jeunes.

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