Article Environnement Pollutions industrielles

Des routes aux centrales, les dangers du bitume

Guillaume Gamblin

La bitumisation s’est développée depuis les années 1950 sans que soient pris en compte des effets possibles de celle-ci sur la santé humaine tant du côté des professionnel·les des routes que des riverain·es des usines de fabrication.

Le goudron n’est presque plus utilisé pour la construction de routes et autres infrastructures. Il a été remplacé largement par le bitume, produit en général par la distillation de certains pétroles bruts. Environ 90 % du bitume produit dans le monde, essentiellement comme déchet de la production de carburant lors du raffinage du pétrole, est utilisé pour la construction routière et le BTP (trottoirs, parkings, terrasses, installations portuaires, aéroports, etc.). (1)

Sur les routes, des travailleu·ses exposé·es

Comme l’ensemble des dérivés pétroliers, le bitume contient des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) dont certains sont cancérigènes. Composés très liposolubles générés par la combustion des matières fossiles, ils sont adsorbés par les poumons, l’intestin et la peau.
Lors de leur mise en œuvre, les bitumes sont chauffés et dégagent des fumées nocives pour la santé, explique l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Et plus la température de pose est élevée, plus les fumées sont toxiques. En France, le bitume est généralement posé « à chaud », c’est-à-dire à une température allant de 160° à plus de 200° C.
De plus, si les ouvriers et les ouvrières épandent le bitume en plein soleil, l’exposition conjointe à ces fumées et aux UV des rayons du soleil peut être à l’origine de brûlures photovoltaïques. Les HAP peuvent être par la suite à l’origine d’une cancérisation des zones brûlées, selon le Centre interservices de médecine du travail en entreprise (Cisme). L’Union européenne a inscrit le bitume sur la liste européenne des maladies du travail comme possible facteur déclencheur de cancers broncho-pulmonaires et cancers de la peau. (2)
En France, l’industrie des travaux routiers emploie 75 000 salarié·es dont environ 4 200 sont directement concerné·es par une exposition aux fumées de bitumes. Or, il y a un manque de communication auprès des salarié·es des travaux routiers, premièr·es concerné·es, sur les dangers liés à l’exposition des produits du bitume. (3)
En mai 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourg-en-Bresse a condamné Eurovia, filiale de Vinci, pour faute inexcusable après le décès d’un de ses salariés en 2009, victime d’un cancer de la peau. L’argument du cumul de l’exposition aux UV et aux vapeurs du bitume était retenu. Même chose le 13 novembre 2012, lorsque la cour d’appel de Lyon a rendu un jugement reconnaissant un lien de cause à effet entre un cancer et une exposition au bitume.
Des techniques sont testées afin de diminuer l’impact toxique de la pose du bitume, notamment des liants permettant de diminuer la température de fabrication et d’application, ce qui a pour effet de libérer moins de vapeurs nocives.

Autour des usines, des riverain·es se rebellent

Les centrales d’enrobés sont nombreuses en France. Des milliers de personnes sont exposées quotidiennement aux fumées toxiques liées à la fabrication du bitume.
En Corse, dans l’Yonne ou dans la Manche, plusieurs collectifs qui s’opposent à l’installation ou aux nuisances de telles centrales se sont regroupés dans la Fédération Nationale d’Information et de Défense sur la Pollution par les Centrales d’Enrobés Routiers (Fédération bitume santé).
On retrouve un certain nombre d’éléments récurrents : proximité d’écoles et d’habitations, fumées toxiques, irritations oculaires et respiratoires aiguës, passage de nombreux camions, odeurs gênantes, proximité parfois de zones naturelles protégées.
C’est le cas dans la Loire où une centrale d’enrobage de bitume à chaud et un centre de concassage sont en projet dans la zone artisanale de Champbayard à Boën. Des riverain·es ont créé l’association Cesse Goudron pour lutter contre son implantation. Cette centrale située à proximité d’habitations, d’un hôpital et d’un lycée est accusée de générer, si elle entre en fonctionnement, des impacts sur la santé (fumées toxiques du four de fabrication du goudron), pour la sécurité (circulation de poids lourds), pour l’environnement (odeurs, risques de pollution des nappes phréatiques). Le comité réalise des actions d’information de la population et propose une pétition. (4)
Même chose à Fréjus dans le Var, où la découverte « par hasard » d’une enquête publique pour la construction d’une centrale d’enrobés a donné naissance à un collectif d’opposition. Malgré une mobilisation, il n’a pas pu empêcher l’ouverture de celle-ci, qui fonctionne de manière sporadique depuis décembre 2017. (5) « Il y a pourtant une centrale existante à Saint-Raphaël, qui ne fonctionne qu’à 30%, et qui est éloignée des habitations », plaide une membre du collectif. Celle-ci dénonce le bruit, l’asthme, les odeurs (masquées par des parfums à la rose !). Le collectif s’accroche, travaille avec Air Paca et envoie des rapports au député et au maire.
William Grandordy, porte-parole de la Fédération bitume santé, cite quelques victoires, parmi lesquelles l’arrêt de la centrale de Cres, dans l’Hérault. Selon lui, il est stratégique de travailler sur le volet « santé » pour avoir une chance de faire barrage à ce type de projets. Il place un espoir dans le fait que les réseaux Atmo, qui sont les sentinelles de l’air, s’équipent depuis quelques mois de matériel d’analyse de qualité de l’air pouvant mesurer les particules très fines. Cela signifie que « la chasse aux HAP devient possible ». (6)

C’est toute une civilisation qu’il faut remettre en cause

Derrière ces nuisances liées à la fabrication et à la pose du bitume, se pose la question du bien fondé des projets pour lesquels il est fabriqué. Son utilisation est principalement liée au réseau routier. (7) Pour éviter de seulement déplacer le problème dans d’autres zones qui seront elles aussi dégradées par sa production ou sa dépose, lutter à la source contre la production du bitume revient à remettre en cause une société de la mobilité routière et aérienne croissante, et la civilisation du bitume. Un vaste programme.

(1) Le bitume est parfois mêlé à des granulats pour réaliser des routes et des pistes d’aéroport en asphalte.
(2) L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg et le Portugal reconnaissent tous le cancer de la peau suite à l’utilisation du bitume comme une maladie professionnelle.
(3) L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) a mis en ligne sur son site une fiche d’aide au repérage de produits cancérogènes dans la pose de revêtements routiers. IRNS, www.inrs.fr
(4) Cesse goudron, Comité Environnement Santé Sécurité Education,
23 bis rue Aldo Moro, 42130 Sainte-Agathe-La-Bouteresse,
www.cesse-goudron.org

(5) Collectif pour la qualité de la vie à Fréjus, www.qualitedevie-frejus.fr
(6) Atmo France, Fédération des associations de surveillance de la qualité de l’air, www.atmo-france.org/fr
(7) Le premier consommateur mondial est l’Amérique du nord, puis l’Europe, avec une forte croissance en Chine. En Europe, c’est la France qui est la reine du bitume.

Le site de la Fédération Nationale d’Information et de Défense sur la Pollution par les Centrales d’Enrobés Routiers (Fédération bitume santé) regroupe de nombreuses informations sur les nuisances de celui-ci : www.bitumesante.org

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