Dossier Environnement Flore Forêts

L’agroforesterie : l’alliance des arbres et de l’agriculture

Robert Morez

L’agriculture n’est pas forcément synonyme de déforestation. L’arbre, au contraire d’autres plantes, comporte une vaste surface aérienne et souterraine. Les plantes et les arbres peuvent donc partager l’espace dans une logique de complémentarité, ce qui fait de l’arbre un allié des productions agricoles.

L’arbre se caractérise – pour un volume modeste – par une vaste surface aérienne et souterraine, portée par une structure linéaire de grande dimension. On estime que la surface aérienne d’un arbre de 40 m de haut est de 1 ha (10 000 m²). La surface interne de ses feuilles, qui permet les échanges gazeux à partir des stomates (orifices de petite taille), est estimée à 30 ha. La surface racinaire de cet arbre, qui comprend des poils absorbants, serait de 130 ha. Au total, un arbre de 40 m échange donc avec son environnement sur plus de 160 ha, autrement dit : 1 600 000 m² ! Cela lui permet de recycler beaucoup d’éléments, dont l’azote et les nitrates facilement lessivés. Les feuilles contiennent ces nutriments et les remettent à la surface du sol quand elles se décomposent, tout en apportant de la vie et de l’humus. L’eau et les nutriments sont captés par l’arbre en profondeur, donc à un étage différent des cultures, sans concurrence.

L’arbre, cette formidable usine à recycler

D’après certain·es scientifiques, il n’y a pas d’agriculture durable sans haies ni arbres plus de 100 m de distance de tout lopin de terre. Cela se traduit par des talus boisés, du bocage, des brise-vent et des arbres le long des routes, voire un ou des arbres isolés (bosquets) dans le paysage agricole. Les arbres participent à la fertilité du sol en produisant naturellement de l’humus par la décomposition des feuilles, brindilles, branches et souches. L’activité électrochimique des racines des haies agit sur la circulation de l’eau dans le sol et retient des éléments chimiques toxiques, comme les métaux lourds et l’arsenic naturellement présents dans certains sols. Ces racines évitent donc la pollution de sources et de puits. Mais il faut savoir que dans le sol, l’électricité déplace l’eau de deux façons : longitudinalement et verticalement. À plus de 100 m de l’arbre, elle la déplace seulement vers le haut. Ce phénomène, qui engendre l’évaporation de l’eau et d’éléments chimiques toxiques, participe à la salinisation et à la désertification de l’environnement. Raser les haies ou les arbres alignés et isolés est une erreur. Il est préférable que la terre garde un cycle de l’eau avec un transit souterrain grâce aux arbres, arbustes et buissons, en forêt et hors forêt, garantissant une terre plus saine et mieux irriguée.

Les bienfaits de l’agroforesterie

L’agroforesterie, appelée aussi « foresterie sociale » (social forestry) comprend tous les systèmes et pratiques d’utilisation des terres dans lesquels des arbres et des arbustes sont cultivés sur des parcelles où se trouvent également des productions agricoles ou animales. C’est une forme extrême de cultures associées : plus il y a d’espèces intriquées, dans l’espace et dans le temps, mieux ça marche ! C’est une agriculture biologique : ni engrais solubles ni herbicides, seulement du recyclage… Cette approche permet de réconcilier l’agriculture, l’élevage et la forêt (arbres conservés ou plantés), alors que dans nos régions, ils sont soigneusement séparés ! Il est faux qu’il faille déforester pour pratiquer l’agriculture ou l’élevage ; cette idée venue d’Europe est liée à la mécanisation. Il est également faux qu’une forte densité de population entraîne forcément la déforestation. Exemple : l’île de Java, où l’on compte 1 000 habitant·es au km² et où les jardins-forêts occupent 20% de la superficie cultivable. Ce pourcentage monte à 95 % au Bangladesh : les forêts naturelles sont ainsi protégées. Il est encore temps, mais urgent, de redécouvrir la force de cette agronomie tropicale d’origine, car l’agroforesterie est une solution réaliste. C’est une solution locale, adaptée au climat et aux mentalités trop souvent dévoyées par le mirage occidental.

Un exemple d’agroforesterie innovante : le projet Vignes en transition
À Vic-la-Gardiole, dans l’Hérault, la diversification des productions au sein des vignes de la zone viticole méditerranéenne est développée grâce à une démarche commune de viticult·rices, de chercheu·ses et d’associations oeuvrant pour la biodiversité cultivée. La vigne est aujourd’hui conduite en monoculture, avec tous les inconvénients qui en découlent : prolifération de maladies et appauvrissement du sol, tout ça encore pour des raisons de mécanisation. L’idée du projet est de faire courir la vigne sur des arbres fruitiers, qui donneront ainsi deux récoltes par an : leurs propres fruits et… du raisin. L’entre-rangs sera enherbé de plantes mellifères pour nourrir des ruches et abriter la faune auxiliaire, tout en protégeant le sol. Des moutons paîtront sur cette herbe, ce qui contrôlera l’enherbement tout en fabriquant des escalopes pour celles et ceux qui mangent de la viande. Et, comme d’habitude en agroforesterie, le cumul de toutes ces productions sera bien supérieur à ce qui serait obtenu par une monoculture, avec un tas d’interactions positives qui permettront d’assurer la récolte en tendant vers le zéro phyto.
Pierre-Yves Petit, 36 bis route des Aresquiers, 34110 Vic-la-Gardiole, France,
www.vignesentransition.org

Actuellement, on trouve l’agroforesterie dans les oasis (Maghreb, Moyen-Orient), l’Insulinde (Indonésie), sur les pentes du Kilimandjaro en Tanzanie et en Éthiopie. Si elle est difficile à établir dans le temps, elle est facile à gérer et crée un lien entre les générations, la vie des arbres dépassant souvent celles des humain·es. L’agroforesterie est essentielle pour l’alimentation familiale et peut permettre l’autosuffisance alimentaire. Le rendement ne doit pas être évalué dans les termes que nous connaissons, mais en termes de stabilité et de sécurité. En Europe, à l’exception de quelques essais, tout reste à faire…

Aux arbres, citoyen·nes !

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