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Les villes et territoires en transition en Gironde

Pascal Bourgois

Depuis 2010 une quinzaine de groupes de transition se sont progressivement installés en Gironde. Présentation de la philosophie de ce mouvement et de quelques initiatives marquantes.

Face à l’avancée rapide des menaces écologiques, il n’y aura ni sauveur bienveillant, ni lois miracles qui viendront, à notre place, empêcher la société de sombrer. Résister à la barbarie qui vient implique de changer de mode de pensée, de consommation et dans les interstices du système, de construire collectivement et localement le monde de demain.

Le projet de tiers-lieu à Castillon-la-Bataille
Castillon-la-Bataille, 3 200 habitant·es, commune située à l’est de la Gironde, pôle économique important il y a quelques décennies, est confrontée à un fort taux de chômage et à une fuite des commerces du centre ville vers la périphérie. Elle est devenue une des villes les plus pauvres de Gironde mais est aussi au coeur de l’appellation viticole Bordeaux-Côtes de Castillon, qui est à 25 % en bio. Des contacts avaient été pris par la municipalité pour installer un commerce bio ou un magasin de product·rices, sans succès. Le groupe Transition Au fil de l’eau s’est créé en 2016
lors de l’installation d’une maraîchère bio dans la commune voisine de Flaujagues. Il a repris l’idée d’un commerce bio pour en faire une épicerie bio coopérative et participative. Les coopérat·rices participeront au fonctionnement avec 3h de travail toutes les 4 semaines. L’épicerie s’intègre dans un projet plus large de Tiers-lieu comprenant un café associatif et un espace de travail partagé. Une mobilisation collective s’est organisée depuis octobre 2017 avec plus de 80 personnes qui ont participé et 30 qui sont fortement mobilisées. L’ouverture est prévue en mars/avril 2019. En attendant l’épicerie, un groupement d’achat bio va se mettre en place et le café associatif va proposer des cafés éphémères.
■■Castillonnais en transition, tél. : 05 57 84 18 88.

Nous savons ce qu’il faut faire, alors agissons !

S’il est nécessaire de se battre contre des projets aberrants, il est encore plus indispensable de se projeter dans l’avenir et de mener des actions positives qui inventent concrètement le monde de demain. C’est ce qui caractérise la transition : produire une vision positive de l’avenir et être résolument tourné·e vers l’action. Nous avons vu assez de films, lu assez de livres, écouté assez de conférences, nous savons ce qu’il faut faire, faisons !
Nous avons plus de pouvoir avec notre carte de crédit qu’avec notre carte d’élect·rices. Ce que nous achetons détermine le monde dans lequel nous vivons. Si les biens et les services que nous souhaitons consommer n’existent pas sur le territoire, à nous d’en organiser la production. Il nous faut retrouver la créativité des pionniers de cette économie sociale qui a créé les mutuelles, les coopératives, les associations, et qui pèse 10 % de l’économie et des emplois.
Notre économie sera en grande partie construite autour de « l’effet de multiplication locale » mis en évidence par la New Economics Foundation de Londres. Ce ratio montre que lorsqu’un·e consommat·rice fait des achats à hauteur de 10 livres dans les supermarchés alentour et autres chaînes de commerce, il ou elle n’apporte en réalité que 3,6 livres d’activité économique dans sa ville. En revanche si cette personne fait ses courses dans les commerces locaux indépendants, elle génère des retombées à hauteur de 17,6 livres, soit près de 5 fois plus (1).

La Cigales libournaise
Libournais en Transition a créé en 2015 un Club d’Investisseurs pour une Gestion
Alternative et Locale de l’Épargne Solidaire
 : une Cigales. Elle regroupe 5 à 20 citoyen·nes qui épargnent ensemble, entre 10 et 30 € par mois pour celle du libournais. Ensuite le groupe investit dans le développement local, à travers la création ou le développement d’activités d’entreprises, d’associations, de coopératives... qui ont une plus-value sociale, environnementale ou culturelle pour le territoire. Sur le libournais la Cigales a permis le développement de la ressourcerie Rizibizi et d’une maraîchère bio.
Suite à la création de la Cigales Libournaise, 2 autres Cigales se sont créés en Gironde : les Locaux Motiv-és à Blanquefort et la Cigales Bordeaux. 2 autres sont en projet, dans le Médoc et dans le Nord-Bassin d’Arcachon.
Une Cigales, c’est un formidable levier économique pour les initiatives citoyennes, particulièrement pour le développement de l’économie sociale et solidaire.
■■La libournaise, 28 rue Goureau, 33 500 Libourne.

Sources d’inspiration

Une de nos sources d’inspiration et d’action, c’est la permaculture, avec ses principes de base : prendre soin de la terre, prendre soin des êtres humains, produire et partager les excédents. Nous avons aussi : l’inclusivité, la sobriété, la coopération, la non-violence, la bienveillance, le changement de notre relation avec la nature, la transition intérieure, la relocalisation de la démocratie, un fonctionnement démocratique horizontal…
Il s’agit aujourd’hui de renforcer la résilience de nos territoires, leurs capacités à surmonter les chocs à venir, de développer les circuits-courts, de renforcer notre autonomie intellectuelle, alimentaire, énergétique… individuelle et collective, et enfin, de favoriser la convergence des initiatives locales et leur mise en réseau.
La transition c’est finalement un prétexte pour rassembler quelques dizaines de personnes d’un même territoire, de se rendre compte que ces personnes ont des « rêves dormants » communs et de leur donner une méthode pour les réaliser. Par contagion de territoires en territoires, nous sommes proches de la masse critique qui fera que, ce qui semble aujourd’hui impossible, paraîtra demain évident…
Nous ne savons pas si ça va marcher, mais nous sommes convaincu·es que : si nous attendons les gouvernements, ça sera trop peu et trop tard ; si nous agissons individuellement, ça sera trop peu ; si nous agissons en tant que communautés locales, ça sera peut-être assez, peut-être juste à temps.

Repar’ en Jalles
Sous l’impulsion de Gironde en Transition, le collectif citoyen Saint-Médard et Saint-Aubin en Transition mène depuis 2011 des actions alternatives sur le territoire nord-ouest de la métropole bordelaise : SEL, AMAP, événements sur les thèmes de la Transition et Répar’en Jalles. L’association Répar’en Jalles née en 2013, a pour objectifs de :
- diminuer les quantités de déchets
- donner une deuxième vie aux objets (petit électroménager, outils, …)
- transmettre les savoirs-faire de la réparation
- lutter contre l’obsolescence programmée
Chaque 3e samedi du mois, Répar’en Jalles propose des ateliers de réparation animés par des bénévoles. Elle reçoit plus de 200 adhérent·es par an dans le local permanent mis à disposition par la ville de Saint-Médard-en-Jalles. Des centaines d’objets y ont déjà été réparés ou diagnostiqués.
Afin d’appuyer sa démarche de sensibilisation et de transmission, Répar’en Jalles participe aux actions des partenaires associatifs et municipaux dont La Fête des Possibles sur sa commune en septembre et le Festival Zéro Déchet Zéro Gaspillage à Bordeaux fin 2018.
■■Répar’en Jalles, tél. : 05 56 05 44 59, reparenjalles.saintmedardasso.fr.

Les dynamiques locales en Gironde

Un groupe de personnes avait développé dans le cadre de la Maison de la nature et de l’environnement Bordeaux-Aquitaine un blog sur l’actualité écologique (mneaquitaine.wordpress. com,700 000 pages vues à ce jour) et une Université populaire de l’environnement qui a organisé 120 manifestations. Le mouvement des « transition towns » menée par Rob Hopkins a été repéré en 2010 dans la cadre de la veille pour alimenter ce blog. Une première présentation a eu lieu pendant la mise en place du Plan climat de la Communauté urbaine de Bordeaux. La rencontre qui a suivi a réuni des personnes de l’ensemble du département. Nous avons donc décidé de créer Gironde en transition pour accompagner la création de groupes dans le département. A ce jour : 15 groupes locaux, 2 en projet et 2 thématiques autour de la monnaie locale la MIEL et de l’encyclique Laudato Si.

Une monnaie locale : la Miel
La création d’une monnaie locale citoyenne a été la première initiative lancée par Libournais en transition en 2011. Celui-ci a vu dans La Miel la possibilité de se recentrer sur l’échange de proximité et la redynamisation du territoire, d’interroger l’usage de la monnaie (rejet de la spéculation, refus que l’argent crée de l’argent, voire envie que l’argent perde de la valeur dans le temps, par le système de la fonte).
La forme papier a fait de La Miel un outil de lien, qui favorise une économie de « face à face », ainsi que le lien entre initiatives de transition. Avec La Miel, on choisit sur quel périmètre et avec qui on veut échanger, ce que l’on veut échanger. On oriente vers une création de richesse accrue sur le territoire, vers de nouveaux comportements d’achat, d’échange ou d’épargne pour des centaines d’utilisat·rices.
Pendant ce temps, le Fonds de réserve en euros, déposé sur un livret à La Nef, est consacré exclusivement au financement d’actions positives dans le domaine environnemental ou social. Notre monnaie fédère, sur six alvéoles girondines (Libournais, Entre-deux-Mers, Sud-Gironde, Bordelais, Saint-Loubès, Saint-Médard-en-Jalles), un réseau de 200 partenaires, commerçant·es, artisan·es, entrepreneur·es, associations, qui s’engagent sur une charte. Tous et toutes partagent les mêmes valeurs, choisissent de travailler ensemble sur la proximité, la qualité des services et des produits. Des « Fonds de soutien » (prêts sans intérêts) soutiennent nos partenaires professionnels et associatifs. Tout un chacun peut choisir de s’approprier La Miel et de contribuer à la piloter dans un bureau collégial.
■■La Miel, tél. : 05 57 51 03 41.

Les groupes de transition ont mis en place dans le département des Amap, des SEL, des jardins partagés, des groupements d’achats bio, des marchés, des Incroyables Comestibles (2), des cafés-réparation, des recycleries, des monnaies locales, des Cigales (voir encadré), une école de la transition, un tour des initiatives de Gironde à vélo…
Ils mettent en œuvre des conférences-débat, des fêtes de la transition, des groupes de travail sur les déchets, la gouvernance, la santé…
Ils travaillent sur des projets d’habitat coopératif, de tiers-lieu, de cafés associatifs, d’épicerie bio coopérative et participative, d’espace de travail partagé, de collège de la transition, de nouvelles fêtes…
Les 5 exemples qui accompagnent cet article donnent une idée de leur richesse et de leur diversité.

(1) Le pouvoir d’agir ensemble ici et maintenant, Hopkins et Astruc, éd Actes sud.
(2) Mouvement consistant à cultiver des plantes comestibles à partager en milieu urbain, afin de valoriser les espaces cultivables inutilisés pour le bien commun.

Biotimarrons : groupement d’achat, marché bio et éduc pop’
Biotimarrons, association collégiale, est née de la volonté d’organiser un marché bio, local et festif en milieu rural à Targon dans l’Entre-deux-Mers. Ses objectifs visent à accroître la résilience alimentaire, promouvoir l’agriculture bio locale, relocaliser l’économie, se réapproprier l’espace et le dialogue public. Après avoir été la ceinture vivrière de Bordeaux, notre territoire est maintenant dédié à la monoculture de la vigne et sert de réserve foncière à l’agglomération.
Nourrie et soutenue par le groupe Entre-deux-Mers en transition, Biotimarrons travaille sur trois axes :
- Les rendez-vous Bio  : un marché bio associatif le premier dimanche du mois sous la halle de Targon. Il propose des produits issus de l’agriculture bio locale, de l’artisanat et des stands associatifs ; un lieu de rencontre entre habitant·es du territoire autour d’un verre ou d’un repas pris sur place ; une ambiance festive sous la halle animée chaque mois par des musicien·nes.
- Le Groupement d’Achat Solidaires et Participatif (GASP) qui approvisionne 120 familles. Les produits sont d’origine biologique et sont livrés aux adhérent·es principalement sur le marché bio.
- L’association est membre du réseau Katanton qui participe à la co-construction et la mise en œuvre de projets, initiés ou non par les collectivités, sur l’autonomie (alimentaire, énergétique, mobilité…). Ses réflexions et interventions, empreintes d’éducation populaire, se veulent constructives afin de faire avancer les consciences vers la transition.
■■Biotimarrons, 24 domaine du Bois de Chartres, 33760 Targon.

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