Dossier Alternatives Monde en construction(s)

Saint-Julien-Molin-Molette. Un nid culturel en voie d’essaimage

Michel Bernard

La petite commune de Saint-Julien-Molin-Molette, riche d’un patrimoine industriel important, est connue pour son intense activité artistique.

Fiche d’identité
Lieu : Saint-Julien-Molin-Molette • Localisation : Sud du département de la Loire • 1 160 habitant·es • 16 anciennes usines reconverties en lieu d’habitation et résidences d’artistes • 150 personnes en lien avec le milieu culturel

La commune de Saint-Julien-Molin-Molette dispose d’un ruisseau avec un fort débit qui permet une industrialisation avec la création de fabriques alimentées par la force hydraulique. La première fabrique de soie s’installe en 1669. Au 19e siècle, cette industrie, en lien avec les canuts de la région lyonnaise, connaît un grand essor : d’immenses bâtiments sont construits et jusqu’à 2 000 emplois sont créés (la main-d’œuvre est majoritairement féminine, les hommes étaient employés à l’entretien des machines et des propriétés). La mondialisation met fin progressivement à cette industrie, la première ferme en 1952. En 1976, une usine fermée est louée par un collectif parisiens de cinq jeunes dont Jean-Pierre Huguet, 27 ans à l’époque, qui y installe une imprimerie et une maison d’édition d’art. À l’époque, « Il y a un grand nombre de personnes âgées dans le village, dont beaucoup d’anciennes ouvrières restées célibataires ».
La population baisse depuis le début du 20e siècle passant de 2 500 en 1900 à 1 000 en 1985. Sans clientèle sur place, l’imprimerie va chercher des marchés dans les villes voisines : Lyon, Saint-Étienne et Annonay. L’usine est ensuite achetée en indivision par quatre familles dont la chanteuse engagée Michèle Bernard.

De la soie aux activités culturelles

En 1989, l’avant-dernière grosse usine ferme laissant vides d’énormes bâtisses au cœur du village. Le conseil municipal en lien avec le Parc naturel régional du Pilat, lance alors un appel à projet pour trouver de nouveaux entrepreneurs. Il y a cinq candidatures initiales, mais au bout d’un an, rien ne se concrétise. Jean-Pierre Huguet suggère alors aux différents partenaires de proposer les usines à des artistes et les maisons vides du village à des artisans d’art. Dans un premier temps, le conseil municipal vote en faveur du projet à l’unanimité. Avec l’aide de l’Union européenne, de la Direction régionale des affaires culturelles (État), de la région et du parc du Pilat, un appel est lancé : une quarantaine d’artistes, de collectifs, de compagnies se disent intéressées. Les surfaces disponibles sont importantes. Mais alors que tout semble sur les rails, le maire renonce, subitement intimidé par l’importance des investissements en jeu. Ce blocage va provoquer une coupure durable entre les ancien·nes et les nouve·lles. Selon Jean-Pierre Huguet « il y a un choc de cultures, on passe du monde ouvrier aux artistes ».

Pendant ce temps à Burdignes
Burdignes, commune de 356 habitant·es à 900 mètres d’altitude, à la limite de l’Ardèche, a su, avec l’impulsion d’un maire dynamique, Vincent Thomas, offrir aujourd’hui un cadre agréable pour l’accueil de nouveaux projets.
Par exemple, Emilie Brouin, céramiste, et Mathieu Rousseaux, ferronnier et créateur de portails, terrasses, tonnelles, ont acheté en 2010, une ancienne bergerie pour la transformer en deux grands ateliers. Les deux ne regrettent pas leur choix : ici, pas de carrière et une école dans le village.
La mairie a lancé en 2012 un projet d’éco-village toujours en cours de construction. Deux maisons sont habitées, quatre autres sont en construction, il reste quatre emplacements disponibles. Un des nouveaux habitants est Philippe Heitz, un journaliste de la revue La Maison écologique.
En 2008, une société s’est mise en place pour installer un parc de dix éoliennes dans un cadre de financement citoyen, avec le soutien de la Communautés de commune. Le projet prévoit 50 % de financement par l’industriel (Quadran), 25 % par les citoyen·nes, 25 % par les collectivités publiques.

Les artistes, artisan·es, collectifs et compagnies qui sont venues voir les lieux s’organisent alors à une échelle plus modeste. Des SCI, sociétés civiles immobilières, permettent des achats collectifs, certaines usines sont achetées par un seul artiste… Des festivals voient le jour, les usines sont transformées en ateliers, studios de danse ou d’enregistrement, salle de spectacles et lieux de vie. La dynamique est moins visible qu’avec le projet européen initial, mais globalement il y a une effervescence culturelle importante : au moins 150 personnes viennent progressivement vivre sur place. La population remonte en 2010 à 1 243 personnes.
L’installation sur place réserve souvent des surprises. Jean-Pierre Huguet rappelle qu’« une usine est construite autour d’une fonction, alors que maintenant on a l’usine et on cherche les fonctions ». Il donne l’exemple du chauffage : « alors qu’avant machines et présence humaine assuraient l’essentiel du chauffage, les grands espaces d’aujourd’hui sont très difficiles à chauffer » : jusqu’à 300 € par jour d’hiver pour chauffer sa partie d’usine. Cela a de quoi refroidir, c’est le cas de le dire. La solution consiste souvent à installer de petits bureaux de travail bien isolés et chauffés et de grands ateliers ou salles de spectacles non chauffées, les spectacles
se faisant plutôt à la belle saison.

La carrière de la discorde

Tout pourrait donc contribuer à un village qui draine un tourisme culturel, mais la présence d’une carrière de pierres dans le haut de la commune provoque des conflits : les nouve·lles arrivant·es demandent que les camions de la carrière ne traversent plus le centre du bourg et que la carrière respecte les normes en terme de bruits et de poussières. Une partie de la population semble craindre de perdre de nouveaux emplois alors que seulement 25 personnes travaillent sur le site et pour le transport des matériaux, dont seulement 2 vivent sur la commune.
Le conseil municipal s’avère très timide et n’ose pas affronter la préfecture qui, quant à elle, manœuvre pour l’extension du site (1). Alors que l’industriel demande une extension sur 18 nouveaux hectares, une association de défense de l’environnement intervient pour rappeler que ce serait contraire à la charte du parc naturel. Des procès s’ensuivent. L’association obtient l’annulation d’un arrêté du préfet, celui-ci en prend un provisoire, fait appel et gagne… Bruits, poussières, camions et procès font que la situation se tend dans la commune. Cela lasse des personnes et depuis quelques années des artistes et des artisan·es s’en vont vivre dans des communes voisines (Burdignes, Bourg-Argental, Pelussin) où il y a aussi des usines à reconquérir et des situations plus accueillantes. Beaucoup d’artistes n’ont plus de démarches collectives. La baisse des aides dans le domaine culturel provoque aussi un appauvrissement pour beaucoup. La population de Saint-Julien-Molin-Molette est de nouveau en baisse (une centaine de personnes en moins entre 2010 et aujourd’hui).

Dispersion ?

Avec le soutien du parc du Pilat, les installations dans la région se multiplient et contribuent finalement à élargir l’offre culturelle, mais aussi le nombre des démarches alternatives : brasserie biologique, AMAP, etc. Tout l’extrême-Sud du département de la Loire est aujourd’hui un terrain d’expérimentation social et les ancien·nes se rendent compte que l’avenir est sans doute de ce côté. Mais sans remise en cause de la carrière, Saint-Julien Molin-Molette risque de perdre sa position centrale. Le tournage du film de Gérard Mordillat « Mélancolie ouvrière » dans une des usines en 2017 a beaucoup contribué à rapprocher les personnes, anciennes et nouvelles. Tout comme les « Ateliers du futur » mis en place par le parc du Pilat pour que les communes se projettent en 2025. Un virage vers l’apaisement ?

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