Dossier

Saint-Étienne : Crêt de Roc, un quartier en transformation

Dans une ville ayant 10 000 logements vides, quelles peuvent être les stratégies d’urbanisme pour redynamiser certains quartiers ? Quels bénéfices peut-on tirer d’approches comme les écoquartiers, le développement durable ? L’expérience du Crêt-de-Roc en montre les potentiels et les limites.

Fiche d’identité :

Lieu : Saint-Étienne • Population : 170 000 habitant·es (223 000 en 1968) • Quartier Crêt-de-Roc : 6 100 habitant·es • Projet de rénovation : 250 logements • Projet de reconstruction : 240 logements neufs • Création d’un écoquartier de 120 logements, réalisés : 40. • Redynamisation d’une rue commerçante : 10 boutiques rouvertes

La population de Saint-Étienne, 14e plus grande ville de France, est en baisse depuis le début des années 1970, conséquence de la fermeture des mines de charbon et de la désindustrialisation. Les nouve·lles habitant·es préfèrent s’installer dans les communes périphériques. Conséquence : une situation immobilière en grande difficulté, plusieurs milliers de logements vides en centre-ville, des prix si bas que les loyers ne permettent pas d’entretenir les bâtiments et que les ventes ne se font presque plus, puisque la tendance est à la baisse du prix du mètre carré. Cela se traduit par des quartiers de plus en plus délabrés et la fermeture des petits commerces. Près de l’hôtel de ville, le Crêt-de-Roc est une colline dominée par un immense cimetière. Dans les rues basses commerçantes, jusqu’à 30 % des vitrines sont à l’abandon. Un peu partout, des immeubles anciens se détériorent. D’anciens ateliers et usines restent vides. Le relief ne facilite pas les choses.

Les enjeux de la redynamisation du quartier

Hervé Ménard, urbaniste de la Société d’équipement et de développement de la Loire (SEDL), qui est chargé de coordonner les opérations dans le quartier, montre les principales transformations lancées depuis 2006 [1]. Dans la zone d’habitation, les propriétaires ont été incité·es à remettre certains immeubles aux normes et, quand cela ne leur était pas possible financièrement et que les bâtiments présentaient des risques, il y a eu obligation de vendre les biens à la SEDL. Celle-ci a alors choisi soit de faire les travaux avant de revendre à un promoteur, soit d’abattre la construction quand elle était trop délabrée. En revanche, l’avantage des bas prix du foncier permet à des familles aux revenus modestes d’accéder à des logements bénéficiant de beaux espaces (anciens ateliers de passementerie), parfois même d’un petit jardin collectif. Dans une grande zone industrielle voisine, autour de la rue Desjoyaux, un écoquartier a été planifié.

Douze ans après, alors que le programme arrive à son terme, les ambitions ont dû être revues à la baisse : « La crise financière de 2008 a fait fuir les promoteurs privés, et la baisse des prix de l’immobilier a limité les initiatives. » La SEDL a procédé à la démolition de 244 logements insalubres, à la réhabilitation de 16 immeubles, à la réhabilitation lourde de 31 immeubles en haute qualité environnementale avec création de 142 logements, a rénové une école, aidé à l’ouverture de l’auberge de La Maison rouge, reconstruit la maison de quartier. L’écoquartier a été viabilisé avec une ligne de bus, des pistes cyclables, des voies piétonnes… Un habitat coopératif y a vu le jour à l’initiative d’habitant.es : les Castors (13 logements, voir p. 9). Un immeuble locatif de 27 logements a été construit par une agence de l’État… mais, ici comme dans le reste du quartier, plusieurs parcelles sont en attente. Initialement, 240 logements étaient prévus dans le seul écoquartier. Un deuxième plan d’habitat coopératif est à l’étude.

Dans le quartier, la population reste très mixte. Familles, jeunes et personnes âgées cohabitent plutôt sereinement, le relief favorisant la marche à pied et les échanges entre les gens. Une cinquantaine de familles fréquentent l’AMAP du Crêt-de-Roc, une des premières créées à Saint-Étienne. Des associations demandent le droit d’utiliser les espaces libérés : quelques-uns ont été transformés en parc public, de nouveaux escaliers ont vu le jour, mais la ville est réticente à laisser s’implanter des jardins partagés qui intéressent pourtant beaucoup de monde.

En route pour de nouvelles devantures

En 2007, Carole Timstit, qui travaille dans un service de l’État, veut changer d’activité. Alors que se lance le projet de réhabilitation du quartier, elle envisage de lancer un restaurant « au pied des marches », c’est-à-dire face à un escalier monumental qui dessert toutes les rues du quartier. Elle achète un local mais il s’avère difficilement aménageable en restaurant classique, et la copropriété freine le projet. Celui-ci évolue alors vers la création d’un lieu associatif comportant une zone de bureaux partagés et un « réfectoire » : une salle offrant une petite restauration le midi et autorisant les personnes du quartier qui le veulent à venir avec leur repas pour discuter autour d’une vaste table commune. Pour gérer le lieu, l’association Rues du développement durable (RDD) voit le jour en 2009 en lien avec différents acteurs du quartier (notamment Solicoop42 et Artisans du monde) [2]. L’association se définit comme ayant « un but solidaire, écologique, s’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire, dans le développement durable, la participation citoyenne et la créativité culturelle ». Après un début de travail d’animation au niveau local, elle note que de nombreuses associations, des artistes, des personnes exerçant diverses professions… sont à la recherche de locaux, mais ne savent pas comment s’y prendre.

L’association RDD se lance alors dans un projet plus urbanistique : faire revivre les rez-de-chaussée à l’abandon en devenant le maillon manquant entre les propriétaires et les personnes cherchant des locaux. RDD se concentre surtout sur la rue Roger-Salengro, qui borde le bas du quartier, où se trouvent la plupart des anciens locaux commerciaux.

Les propriétaires hésitent à louer car cela les obligerait à faire les travaux de mise aux normes. RDD pense, dans un premier temps, à négocier l’achat de ces locaux pour les restaurer (notamment en profitant de la proximité des designers dont une école renommée se trouve à Saint-Etienne), et lance pour cela Crêt de liens, qui fonctionne sur le même principe que Terre de liens [3] pour les terres agricoles. Si cela permet d’acheter un premier local, à 20 000 euros, cela reste insuffisant pour être dynamique (avec des parts à 50 euros, la gestion est ensuite complexe).

Nils Svahnström, urbaniste, a été embauché pour amplifier cette dynamique. Il nous explique le nouveau fonctionnement sous forme de « portage locatif » : « RDD loue les locaux, finance la rénovation en fonction des souhaits du futur locataire, négocie avec le propriétaire un report des loyers jusqu’au remboursement des frais engagés, puis sous-loue au même prix que le loyer, sans marge. Cela évite des frais importants à la fois au propriétaire et à la structure locataire. »

Ainsi, de 2010 à 2013, trois locaux ouvrent, puis trois autres entre 2014 et 2016, et quatre autres en 2017. Au total, ce sont donc une dizaine de vitrines qui ont repris vie dans le quartier : un atelier de design, Captain Ludd, (qui va contribuer à la restauration de la plupart des locaux), une créatrice de design textile, une épicerie bio, un magasin d’origami, un garage à vélos collectif, un local qui sert d’extension à RDD et accueille les bureaux de trois associations, un lieu d’intervention chorégraphique et, dernièrement, un local commun d’ostéopathes, naturopathes, soins énergétiques et réflexologie. Toutefois, tout n’est pas encore gagné car, pendant ce temps, d’autres magasins de la rue ont mis la clé sous la porte. Ces projets s’adressent par ailleurs à un public plutôt instruit et avec des revenus, qui s’implique dans la vie du territoire, au risque d’imposer un niveau de vie trop élevé pour d’autres et de chasser des initiatives plus marginales.

La dynamique pourrait être plus ample, mais la complexité des montages financiers et administratifs ralentit considérablement les initiatives. Il faut veiller à ce que ces projets ne rejettent pas une partie de la population, moins au fait de ces dynamiques. Toutefois, en 2017, et pour la première fois, un nouveau commerce s’est installé dans la rue, juste à côté de RDD, sans passer par le portage locatif : un caviste. Enfin, deux des projets ont maintenant choisi de gérer directement leur bail. En 2017, RDD a commencé à travailler dans un autre quartier où se pose la même problématique, et un premier local y a ouvert début 2018. Au delà de l’installation de commerces, ce sont les liens entre les habitant·es et les commerçant·es d’un quartier qui sont à valoriser.

M. B.

C’est une maison rouge…

…adossée à la colline. Cette auberge de jeunesse a vu le jour grâce à Carole Timstit, fondatrice de RDD. Cette maison, très visible car située à un carrefour, était comme beaucoup d’autres à l’abandon. La Société d’équipement de développement de la Loire l’a achetée puis a rénové la petite place située devant et a ravalé la façade. Une société civile immobilière s’est mise en place pour la racheter et l’aménager. En autoréhabilitation participative, avec l’aide d’une coopérative du bâtiment qui animait des sessions de formation-action et des designers de Captain Ludd, le bâtiment a été rénové au plus énergétique avec des matériaux biosourcés. Le premier étage a été transformé en un dortoir coloré comprenant de douze lits et des zones de rangements. Au rez-de-chaussée se trouve un café avec une cuisine en libre-service pour les résidents, en sous-sol, les sanitaires, enfin, sous les combles, une salle commune avec notamment ordinateur et internet. Elle est aujourd’hui animée par une association. Aux heures d’accueil des résident·es, de 18 h à 21 h, le café est ouvert pour les gens du quartier, avec un brunch le dimanche matin. L’auberge a ouvert en juin 2016. La première année, elle a réalisé 2 000 nuitées : jeunes en formation en alternance, ouvrièr·es, équipes de sporti·ves, visiteu·ses de la biennale de design, cyclistes de passage et touristes.

Les fameux jardins ouvriers de Saint-Étienne

Saint-Étienne est parcouru par 89 ha de jardins ouvriers. Une tradition ancrée dans la population depuis 124 ans et son introduction par le jésuite Félix Volpette. L’idée est née dans le nord de la France, à Hazebrouck : l’abbé Jules Lemire souhaitait sortir les gens de la pauvreté, du chômage et de l’alcoolisme. Un concept, à l’origine, empreint d’un certain paternalisme. Comme le Nord, région industrielle et minière, Saint-Étienne bénéficie d’un terreau favorable à l’implantation de ces jardins. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, on compte 7 000 parcelles rien que dans la ville intra-muros, aujourd’hui, il en reste 3 000, un chiffre stable depuis un certain nombre d’années. « Ces jardins, c’est l’enfance de tout stéphanois, ont les a toujours vus, on a toujours vécu avec », raconte Serge Tonoli, président de l’association Les jardins Volpette.

Les 1 300 parcelles gérées par cette association sont réservées en priorité aux personnes qui n’ont pas accès à un terrain. La liste d’attente est longue, chacun·e s’engage, en échange, à entretenir le potager correctement et à payer une adhésion de 20 euros plus leur consommation d’eau (une vingtaine d’euros par an). En cours de réhabilitation, les parcelles sont uniformisées à une taille de 200 m². Le reste des jardins est partagé entre les associations regroupées au sein de la Fédération des associations des jardins ouvriers et familiaux de la Loire.

Serge Tonoli constate que « le jardinage était au départ économique, puis ludique. Aujourd’hui, il y a un retour au jardinage économique, même si ce n’est pas la majorité ». Il constate aussi une volonté grandissante chez les jardini·ères de « manger plus sainement ». En effet, l’utilisation de tout produit chimique est interdite. Le président voit ainsi d’un bon œil l’arrivée de plus en plus de jeunes « qui veulent prendre soin de la planète ». Une diversification des jardini·ères qui, « pendant longtemps, étaient surtout des retraité·es et pères de familles ». Ça crée du lien entre les plus jeunes et les plus expérimenté·es. « On leur met le pied à l’étrier, comme d’autres l’ont fait pour nous. » L’intergénérationnel est aussi présent dans l’association par des interventions dans les écoles et les maisons de retraite de la ville.

À Saint-Étienne, jardins ouvriers et partagés cohabitent. Il y a assez de terrains pour tout le monde, car beaucoup ne sont pas constructibles à cause de l’exploitation des mines. La municipalité et le département sont aussi attachés à ce patrimoine et leur accordent de nombreuses subventions.

Jardins Volpette, 21 rue de la Paix, 42000 Saint-Étienne
Tél. 04 77 32 98 56 (permanence le mardi de 14 à 18 heures)
www.jardins-volpette.net
Fédération des associations des jardins ouvriers et familiaux de la Loire, 2 rue des Adieux, 42000 Saint-Étienne

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Notes

[1Il est par ailleurs co-président de La Maison rouge (voir encart) et habitant du quartier.

[2Depuis, Solicoop42 et Artisans du monde ne participent plus trop à la dynamique du fait de changements de bénévoles.

[3Sur Terre de liens, voir notre dossier dans Silence no 396, décembre 2011.

[4Il est par ailleurs co-président de La Maison rouge (voir encart) et habitant du quartier.

[5Depuis, Solicoop42 et Artisans du monde ne participent plus trop à la dynamique du fait de changements de bénévoles.

[6Sur Terre de liens, voir notre dossier dans Silence no 396, décembre 2011.

[7Il est par ailleurs co-président de La Maison rouge (voir encart) et habitant du quartier.

[8Depuis, Solicoop42 et Artisans du monde ne participent plus trop à la dynamique du fait de changements de bénévoles.

[9Sur Terre de liens, voir notre dossier dans Silence no 396, décembre 2011.