Dossier Alternatives Habitat

Les Castors, un immeuble collectif à chauffage humain

Michel Bernard

Créé en 2007, Les Castors est le premier projet stéphanois collectif de construction de maisons passives. Dans la zone d’aménagement concerté du nord du Crêt de Roc, 33 personnes logent dans cet habitat groupé depuis 2015.

Frank Lebail, urbaniste, participe dès 2006 au programme de rénovation du quartier Crêt de Roc à Saint-Étienne. Dans la ZAC Desjoyaux, à l’emplacement aplani d’une ancienne usine qui nécessite un gros travail de dépollution, la ville envisage au départ un mixte entre maisons de villes et immeubles construits par des promoteurs immobiliers. Frank Lebail, architecte, vient de suivre une formation d’un an pour devenir urbaniste. Dans ce cadre, il a visité le quartier Vauban (1) de Fribourg
(Allemagne) , où l’articulation entre l’habitat et l’environnement lui semble particulièrement réussie. Il a aussi découvert des immeubles gérés en coopérative ainsi que des bâtiments aux performances énergétiques excellentes.
Il intervient dans les plans de rénovation du Crêt de Roc et propose que la ZAC devienne un écoquartier avec de bonnes performances énergétiques. Pour lancer le projet, un premier immeuble locatif de 27 appartements à base de matériaux classiques voit le jour, financé par Foncière logement, organisme d’État. À partir de 2008, les projets des promoteurs privés tombent à l’eau.

De l’AMAP à l’habitat coopératif

Avec quelques personnes rencontrées au sein de l’AMAP du Crêt de Roc (2), Frank Lebail lance l’idée d’un habitat coopératif. Le bouche-à-oreille fonctionne et, en quelques mois, dix-huit familles sont intéressées. Elles visitent alors des logements coopératifs nés dans les années 1970 à Saint-Étienne, initiés par des amicales ouvrières, et qui fonctionnent toujours. Elles rencontrent aussi l’association des Castors, qui a mis en place un système d’entraide pour l’autoconstruction (3). Pour éviter tout conflit d’intérêt, Frank Lebail refuse d’être l’architecte et, après quelques rencontres, c’est Jean-Pierre Genevoix, de Lyon, qui semble le plus motivé. La ville accepte de vendre aux familles un terrain qui peut permettre d’accueillir 13 logements. Il y a une liste d’attente. Les études préparatoires nécessitent un premier budget de 40 000 euros (3 000 euros par famille). Ceci arrive au moment de la crise financière de 2008 et provoque une fonte des postulant·es.
Seules trois familles restent et, après un moment de flottement, il faut de nouveau faire de la publicité pour le projet. Douze familles se lancent enfin, dont trois acceptent d’avancer les frais pour le treizième appartement. Les difficultés seront encore nombreuses : les banques ne concèdent que des prêts individuels et obligent à prendre des assurances coûteuses. Heureusement, la mairie prend deux mesures positives : elle reporte de 10 ans le règlement du prix du terrain et des taxes (200 000 euros au total) et prend en charge le coût des fondations (4). Par ailleurs, elle assure la dépollution des terrains (on y trouve notamment de l’arsenic provenant de remblais des mines). Une couche de 50 cm de terre nouvelle est étendue par-dessus pour rendre possible la culture d’un potager, les arbres fruitiers étant exclus. Huit des familles ayant des revenus en dessous des limites financières fixées par l’État bénéficient d’un taux de TVA réduit à 5,5 %, soit une économie de 10 000 euros pour chacune.
À l’arrivée, deux petits immeubles encadrent un autre immeuble préexistant et, de l’autre côté du terrain, cinq maisons mitoyennes sont construites autour d’un jardin de 500 m2. L’un des immeubles comprend cinq logements et un monte-charges, et il accueille les personnes les plus âgées. Le deuxième loge trois familles. L’ensemble est en ossature bois, isolation en ouate de cellulose, double vitrage au Sud, triple vitrage au Nord, avec des appartements traversants Nord-Sud. Les maisons disposent d’une terrasse et d’un petit jardin privatif, les appartements ont une vaste terrasse. L’ensemble est riche en couleur et très lumineux.

Atelier de bricolage et salle de réunion

Au pied de l’immeuble de 5 logements se trouvent des parties communes : un atelier de bricolage, une buanderie et une salle de réunion, dans laquelle un canapé permet éventuellement de loger des invités. Cet étage et le jardin central sont gérés collectivement. L’architecte a fait les aménagements intérieurs selon les demandes de chaque famille : il n’y a donc pas deux logements semblables. Certaines finitions ont été faites par les habitant·es. Un garage à vélo avait été prévu seulement sur un côté du jardin, mais l’arrivée du vélo électrique a changé la donne : depuis l’inauguration, en 2016, un deuxième parking a été construit, avec récupération des eaux de pluie pour le jardin. Si le nombre de vélos est important, il n’y a toutefois que trois familles qui n’ont pas de voiture.

Des logements sans chauffage !

Ces logements ont une particularité : il n’y a pas de chauffage. C’était un pari car en France, cela ne se fait pratiquement pas, alors que c’est déjà développé dans d’autres pays (Allemagne, Suisse, Autriche). L’isolation est excellente (normes passives) et les sources de chaleur pour compenser les pertes sont fournies par les habitant·es, via les douches et la cuisine. Cela suffit, sauf dans des cas extrêmes : en secours, il est possible d’actionner une résistance de 1000 W (équivalent d’un petit radiateur de salle de bains) pour compléter les apports de calories en provenance de l’échangeur, situé au niveau de la ventilation double flux (5).
Après deux ans de vie commune, les habitant·es sont globalement satisfait·es. Les factures sont réduites (du fait des normes passives). Seul problème : un déficit d’isolation phonique entre les niveaux, dû à une mauvaise réalisation des dalles en béton du sol (6). Une reprise des travaux est actuellement en discussion avec les assureurs.
Alors que les projets des promoteurs privés ne trouvent pas preneurs, Les Castors ont réussi à faire venir des familles de l’extérieur de Saint Étienne. Les visites sont nombreuses, et des personnes enthousiastes lorgnent sur les terrains voisins pour un deuxième immeuble du même genre.

(1) Le quartier Vauban est un exemple internationalement reconnu d’écoquartier.
Maisons passives et à énergie positive, rues sans voitures, habitats groupés, systèmes de récupération d’eau de pluie, etc., en font un quartier très visité... dont Silence a aussi montré les limites (n°358 et n°416).

(2) La coordination des 25 AMAP de la Loire est aujourd’hui domiciliée chez Jean- arc Chazot, un habitant des Castors, tél. : 06 79 40 83 02.

(3) Castors Rhône-Alpes, 58 rue Raulin, 69007 Lyon, tél. : 04 72 37 13 19,
www.castorsrhonealpes.fr

(4) Sous le terrain se trouvent d’anciennes mines de charbon et de grès, et il faut planter des pieux de 12 m pour stabiliser les bâtiments.

(5) Ce type d’échangeur permet d’utiliser la chaleur de l’air sortant pour chauffer l’air entrant.

(6) Ces dalles permettent de stocker la chaleur du soleil qui passe à travers les larges baies vitrées exposées au Sud, principe du solaire passif.

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