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Le bruit tue

Romane Dubrulle

16 600, c’est le nombre de décès prématurés causés par le bruit chaque année en Europe.

Les chiffres du dernier rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), paru en 2017 sont encore plus accablants qu’en 2014 (1). Ces décès sont principalement les suites d’accidents vasculaires cérébraux et de crises cardiaques, 9 sur 10 seraient imputés au bruit du trafic routier. Il y a trois ans, ils s’élevaient à 10 000. L’Observatoire du bruit en Île-de-France, Bruitparif (2), définit le bruit comme un « son qui produit une sensation auditive considérée comme désagréable, gênante ou dangereuse pour la santé. Chaque personne possède sa propre perception du bruit qui dépend de composants multiples liés au contexte, à l’histoire personnelle et culturelle. » Les gênes ou nuisances sonores peuvent être considérées comme de la pollution puisqu’elles dégradent l’environnement, la santé des humains et perturbent les écosystèmes.

Des pathologies liées au bruit

Une gêne est par définition très subjective, il est ainsi difficile de prouver une relation directe entre la dégradation de l’état de santé et le bruit. La Société européenne de cardiologie affirme que le bruit engendre la sécrétion d’hormones de stress, notamment d’adrénaline et de cortisol. Ces hormones augmentent la tension artérielle et le rythme cardiaque (3). De son côté, l’Institut suédois Karolinska fait le lien entre la sécrétion de cortisol et la prise de poids. Deux impacts qui à long terme favorisent les troubles cardio-vasculaires. Ces nuisances pourraient aussi faire apparaître des pathologies psychiatriques telles que l’anxiété, la dépression ou encore augmenter l’agressivité.
Les acouphènes sont une autre conséquence plus connue mais encore mal reconnue. Ils peuvent apparaître suite à une forte exposition au bruit, mais aussi être provoqués ou accentués par l’anxiété. Cécilia Nauczyciel, médecin psychiatre, explique pour France Acouphène que « les patients entrent dans un cercle vicieux où dépression et acouphènes s’auto-entretiennent. »

La pollution sonore souvent liée à d’autres poll utions...

Un bruit pourra être considéré comme une nuisance ou non selon la personne et la situation. Ainsi, explique Emilie, ingénieure acoustique, « si l’on profite de la gare à proximité ou de l’arrêt de tram en bas de chez soi, on acceptera plus facilement le bruit qui en découle ! ». Alors que d’autres plus faibles peuvent nous agacer davantage surtout s’ils nous semblent exagérés. « Camions-poubelle, ramassage du verre, bruit des voisins, des équipements, de la vie nocturne… Les bruits de voisinage sont les plus durement ressentis par les français, mais aussi les plus difficiles à étudier et à traiter ».
Diminuer ses déchets, consigner le verre et réduire les appareils électroménagers et les équipements du bâtiment toujours plus nombreux, peuvent être des premières pistes. Bien souvent réduction de la pollution sonore et considérations environnementales vont de pair.

...et principalement aux transports

Le bruit est principalement lié aux transports, à hauteur de 80%, en France. Le trafic routier est en tête avec 68% suivi de l’aérien avec 20%, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Concernant les voitures, il faut réduire d’une part le trafic et d’autre part la vitesse. En effet, au delà-de 50km/h le bruit provient du frottement des pneus sur la chaussée et non du moteur. L’amélioration acoustique des nouveaux véhicules ou les modèles électriques ne sont donc pas une solution pour toutes les populations des régions rurales et des périphéries urbaines. Réduire le nombre de vols et la place de la voiture individuelle est, ici encore, un enjeu majeur.
Le transport de marchandises représente une part considérable de ces nuisances. Les poids lourds sont encore plus bruyants que les voitures et le fret ferroviaire n’est pas en reste. Ce dernier permet cependant de dégager de vastes territoires plus silencieux. Le trafic ferroviaire est le point le plus délicat dans un objectif de conciliation des luttes contre la pollution sonore et pour l’environnement. Produire moins et consommer local sont, une fois de plus, les seules réponses valables...
L’important, selon Émilie, « est d’intégrer en amont la thématique acoustique lors des projets urbains sur les formes bâties, leur positionnement, l’orientation des pièces à vivre... » et dans la construction ou la rénovation des bâtiments eux-mêmes. Des travaux d’isolation doivent être l’occasion de rénovation acoustique. Même si ces deux types d’isolation ne nécessitent pas tout à fait la même mise en œuvre.

Le bruit, facteur d’inégalités

L’ingénieure constate un « manque de militantisme chez la majorité des acteurs privés de la construction. Pour ces derniers, l’acoustique est encore souvent la thématique où l’on cherche à faire des économies... ». Du côté de l’État et des collectivités, les plans de prévention du bruit dans l’environnement peuvent être, selon elle, une démarche intéressante. Seulement, ces plans « peinent à porter leurs fruits par manque de budgets alloués : beaucoup sont des coquilles vides ». Les coûts des opérations peuvent bénéficier de financements publics mais une part reste souvent à la charge des propriétaires, notamment pour les menuiseries. Les plus modestes ainsi que les locataires sont donc bien souvent les moins bien lotis, aussi face au bruit...

Quelques chiffres :
En Europe :
- 32 millions de personnes sont gênées par le bruit dans leur environnement.
- 43 000 sont admises dans les hôpitaux chaque année pour des pathologies cardiovasculaires liées au bruit.
- 13 millions subissent des troubles du sommeil causés par les nuisances sonores.
- 13 000 élèves, vivant près des grands aéroports, connaissent des troubles de l’apprentissage.
En France :
1/4 de la population est touché par des acouphènes dont 2 à 4 millions de personnes de manière permanente (sondage Ifop mars 2018).
En Île-de-France :
La population perdrait de 7 mois à 2 ans de vie en bonne santé à cause de la pollution sonore (« Impact sanitaire du bruit des transports au sein de l’agglomération parisienne » Bruitparif, utilisant l’indicateur DALY de l’OMS).

L’aspect inégalitaire de la pollution sonore a été pointé du doigt par Bruitparif. L’Observatoire affirme que « le bruit apparaît comme un facteur qui renforce les inégalités sociales et territoriales. » Celles et ceux qui en ont les moyens fuient le bruit au profit de la périphérie plus tranquille, alors que les plus modestes sont contraint·es de le supporter. La durée des trajets s’allonge alors, créant de nouveaux flux pendulaires et engendrant des nuisances sonores dans de nouvelles zones. Là où le bruit est le plus intense, les prix de l’immobilier baissent, les investissements diminuent, les rénovations nécessaires ne sont pas effectuées. Ces secteurs connaissent donc une spirale descendante.

Chocs acoustiques en série chez Fidelia Assistance
Fidelia Assistance, c’est une plateforme d’assistance automobile du groupe COVEA (MAAf, MMA, GMF) par téléphone à Tours : les salarié·es travaillent donc essentiellement au téléphone. Ils et elles subissent depuis septembre 2017 de façon de plus en plus fréquente des chocs acoustiques dus à des bruits forts inattendus au téléphone. Le choc peut conduire à des traumatismes sonores reconnus comme accident du travail : hyperacousie, décalage temporaire du seuil de l’audition, etc. Pour protester contre ces conditions de travail dangereuses, des salarié·es de Fidelia assistance avaient utilisé leur droit de retrait en février 2018, appuyés par le CHSCT. Suite aux diverses pressions de la direction, les salarié·es ont repris le travail. Le 23 mai 2018, une cinquantaine de salarié·es de Fidelia a de nouveau cessé le travail suite à une nouvelle vague de chocs acoustiques, malgré les pressions de la direction de l’entreprise. La santé des salarié·es semble ici faire peu de bruits... (Source : La Rotative.info)

Pour les ménages aussi, le bruit n’est pas la priorité principale. Émilie témoigne de certaines situations de grande précarité, notamment énergétique, lorsqu’elle effectue des prélèvements.
En 2016, un rapport sur les inégalités environnementales en Île-de-France est rédigé par l’Observatoire régional de santé (ORS) d’Île-de-France et l’Institut d’aménagement et d’urbanisme région Île-de-France. Une relation forte entre défaveur environnementale et défaveur sociale est mise en évidence, dans des secteurs souvent exposés à de multiples pollutions (de l’air, des sols, de l’eau, sonore, et à la présence d’installations d’élimination des déchets). Si l’on prend en compte les impacts de la pollution sonore, notamment les risques de troubles de l’apprentissage et du sommeil, la spirale ne peut que s’aggraver.

Croiser les problématiques

Ainsi, des plans d’urbanisme tentent de conjuguer ces différentes problématiques. Dans le quartier lillois du Faubourg de Béthune, traversé par de grands axes de circulation, 1 500 logements sociaux sont à réhabiliter. Un exemple à suivre selon l’ingénieure, car « plusieurs thématiques sont croisées dans la réhabilitation du quartier, notamment acoustique, qualité de l’air intérieur et extérieur, production d’énergie renouvelable, agriculture urbaine… » Sur un kilomètre, des écrans seront installés en bordure d’autoroute pour lutter contre le bruit. D’autres usages adossés à ce mur acoustique sont à l’étude : fonction dépolluante, ajout de panneaux photovoltaïques, intégration de serres agricoles… Un mur qui fait plus office de pansement que de solution. Et si on allait plus loin, et qu’on démontait plutôt les autoroutes ?

(1) www.eea.europa.eu/themes/human/noise

(2) Bruitparif est un centre d’évaluation technique de l’environnement qui observe et documente le bruit lié à la circulation routière, au trafic aérien et ferroviaire, aux activités commerciales, industrielles et à la vie locale. Il participe à la prise en compte du bruit dans les politiques publiques et valorise et diffuse les bonnes pratiques en matière de prévention et de gestion du bruit dans l’environnement.

(3) Étude parue dans le European Heart Journal en juin 2015.


Pour en savoir plus :
■■ Bruitparif, 32 boulevard Ornano, 93 200 Saint-Denis, Tél. 01 83 65 40 40.
■■ Le Centre d’information et de documentation sur le bruit
12-14 rue Jules Bourdais, 75017 Paris, Tél. 01 47 64 64 64.

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