Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

La « pédagogie » de la puissance coloniale

Marie Bazin

Le 4 novembre 2018 se tiendra le référendum d’autodétermination de Kanaky, avec la question suivante "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?". Une question claire, binaire, qui a priori ne prête pas à confusion, si tant est que soit expliqué ce que signifie "la pleine souveraineté". C’est justement tout l’enjeu des prochains mois : informer sur les enjeux du vote, mobiliser le corps électoral pour qu’il se rende aux urnes, préparer l’après-référendum quel qu’en soit le résultat.
Jusqu’à présent indépendantistes et non-indépendantistes se sont réunis autour de la table à dates régulières pour discuter de "l’avenir institutionnel" de Kanaky et organiser le référendum, sous l’œil vigilant d’un État français à la fois juge et partie. Aujourd’hui, alors que les principaux points de discussion ont fait l’objet de compromis (la composition du corps électoral, la formulation de la question posée, l’observation du scrutin par l’ONU, etc.), c’est donc le temps de la campagne politique qui s’ouvre, où l’arme principale n’est plus le droit mais la communication.

Le culot du colon

La France l’a bien compris et en a informé le comité des signataires de l’accord de Nouméa : une "campagne de communication de l’État" sera mise en œuvre "à l’occasion de la consultation". Outre les informations habituelles concernant l’organisation du scrutin, la campagne aura pour objectif de “rappeler l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et des accords par une campagne pédagogique”. Quand on sait comme il est difficile en France de tenir un discours de vérité sur la réalité de la colonisation et d’en enseigner l’histoire, le projet d’une "campagne pédagogique" menée par la puissance coloniale dans sa colonie semble proprement insensé. On pourrait presque en rire, s’il ne s’agissait pas de l’avenir d’un peuple colonisé dont le passé et le présent est profondément meurtri par cette domination. On pourrait presque ne pas y croire, si le contexte n’était pas celui d’une revendication du territoire voire d’une remise en cause du bien-fondé du référendum par certain·es élu·es français·es.
Mais le culot du colon n’a pas de limite. Juste avant le déplacement d’Emmanuel Macron en Kanaky, avec une étape prévue sur l’île d’Ouvéa, lieu d’un véritable massacre colonial, l’Élysée a fait savoir que le chef de L’État voyait son rôle comme celui d’un "passeur d’Histoire et de mémoire". L’entreprise de réécriture de l’histoire et du présent est donc bien réelle, probablement d’autant plus assumée et affirmée que L’état colonial se sent attaqué. La lutte pour l’indépendance de Kanaky a fini par aboutir à un référendum d’autodétermination, la vérité sur le massacre d’Ouvéa commence à émerger, et plus largement des personnes et collectifs travaillent sans relâche pour faire connaître l’histoire coloniale, pour dénoncer les crimes coloniaux et néo-coloniaux, pour exiger la fin de l’impunité et du secret. Autant de brèches et d’entailles dans le récit national. Gageons que la "pédagogie"
officielle ne parviendra pas à les refermer.

Une chronique de : Survie, 47 avenue Pasteur, 93100 Montreuil, https://survie.org

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