Chronique Nucléaire, ça boum ! Paix et non-violence

Le jour où la Terre s’arrêtera

Annick Suzor-Weiner

En 1951, Robert Wise réalisait un film prémonitoire : Le Jour où la Terre s’arrêta, mêlant science-fiction et actualité politique, en ce début de guerre froide. Un extra- terrestre charismatique se pose à Washington dans l’espoir de convaincre l’humanité, sous peine de destruction immédiate, d’arrêter sa course aux armements nucléaires. Devant la surdité des États, l’extra-terrestre fait s’arrêter la terre durant une minute, puis se tourne vers les scientifiques pour qu’ils incitent les politiques à s’entendre.

Pugwash, un mouvement international contre les armes nucléaires

Dans la réalité, c’est l’essai nucléaire américain de Castle Bravo en 1954, première bombe H (puissante comme 1000 bombes A d’Hiroshima), qui a déclenché cette prise de conscience des scientifiques, même si nombre d’entre elles et eux, y compris parmi les artisan·es du projet Manhattan, ont été assaillis de doutes après les deux explosions nucléaires d’août 1945. En 1955, Russel et Einstein publient un manifeste avec le beau titre « Notice to the World », appelant à cesser le développement, les essais et l’usage de l’arme nucléaire. Ce manifeste se concrétise en 1957 par le lancement du mouvement Pugwash (du nom de la petite ville canadienne qui héberge la réunion), plus précisément dénommé Pugwash Conferences on Science and World Affairs. Ce mouvement, avec ses groupes nationaux dans une cinquantaine de pays dont la France, obtient le Prix Nobel de la Paix en 1995, partagé avec son fondateur Sir Joseph Rotblat, physicien d’origine polonaise.
Soixante ans plus tard, après de nombreuses avancées dans la voie du désarmement mais de vrais blocages dus à l’attachement des 9 pays « dotés » à la doctrine de la dissuasion nucléaire, c’est une nouvelle étape vers le désarmement qui s’est ouverte à New York en juillet 2017, avec la promulgation par l’ONU du Traité d’interdiction des armes nucléaires. Les scientifiques se sont associé·es avec vigueur à la conférence préparatoire, en publiant lors de son ouverture une lettre de soutien signée par 3 000 d’entre eux, dont de nombreux Prix Nobel.

Un déclenchement accidentel de frappe nucléaire est possible

Pour les scientifiques, comme pour le mouvement Pugwash, la dissuasion nucléaire est une doctrine obsolète et dangereuse, basée sur un équilibre de la terreur entre les pays dotés tandis que les économies émergentes aspirent à rebattre les cartes mondiales, avec un risque de prolifération. Les scientifiques alertent sur les risques présentés par les stocks d’armes nucléaires (plus de 14 000 aujourd’hui, dont beaucoup prêtes à être déclenchées) et sur la probabilité croissante de déclenchement accidentel ou dû à la mauvaise appréciation – ou la folie – d’un dirigeant. Les menaces cybernétiques ne font qu’augmenter ce risque, rendant plus aléatoires la protection des sites d’armes nucléaires et la sûreté des circuits de décision. Enfin, sur un plan humanitaire, le risque d’hiver nucléaire résultant d’une attaque pourrait remettre en question toutes les prédictions du nombre de victimes, à court et moyen terme.
C’est donc un vrai soutien qu’une bonne partie de la communauté scientifique apporte au Traité d’interdiction. Celui-ci s’oppose à la doctrine de dissuasion comme à toute menace de frappe nucléaire, qui pourrait bien faire s’arrêter la Terre, ou du moins l’Humanité...

Pugwash : pugwash.org.
Pugwash France : pugwash.fr

Annick Suzor-Weiner est professeur émérite à l’Université Paris-Sud, Vice-Présidente de Pugwash-France, membre du bureau d’IDN (Initiative pour le Désarmement nucléaire).

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