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Pas besoin de jouets pour jouer !

Martha Gilson

L’Association Jouer pour vivre s’est donné un objectif : promouvoir les droits des enfants à jouer. Pour y parvenir, elle propose aux écoles primaires le projet de la Boîte à jouer : un coffre à jouets géant, posé dans les cours de récréation, rempli d’objets recyclés avec lesquels tous les enfants de l’école peuvent jouer librement en même temps.

Selon Emma, à l’origine du projet, il faut commencer par comprendre l’importance du jeu et des activités récréatives pour les enfants : « Comment soutenir ces moments de jeux en tant qu’adulte ? » Des dispositifs comme la Boîte à jouer existaient déjà en Angleterre. Emma Perrot et Jean-Marc Brunet sont donc allés se former là-bas, pour proposer ensuite, en France, une boîte à jeux écolo. Depuis, l’association forme les adultes à nourrir la créativité des enfants grâce à cette boîte.

« Ne pas encadrer mais faciliter »

Emma affirme que cela passe par un changement d’attitude de la part des adultes. Trop souvent, leur réflexe est d’encadrer les activités des enfants dans la cour de récré. Les adultes, par peur du risque, vont restreindre l’accès à des ressources ludiques (bâtons, grands draps, etc.) et empêcher certains jeux. En voulant cadrer les activités récréatives, ils contraignent trop souvent le jeu libre.

« Contrer l’hégémonie du ballon »

Le projet attire parce qu’il répond souvent à un malaise existant au sein des cours de récréation. Dans les cours de récré, on ne trouve trop souvent qu’un seul objet ludique : le ballon. Celui-ci est associé au foot qui, très vite, monopolise une grande part de l’espace de jeux et sélectionne les enfants, entre ceux qui y jouent et ceux qui n’y jouent pas. La réponse des adultes peut être la multiplication de règles, voire le marquage au sol pour délimiter des espaces dans la cour, extrêmement contraignants et difficiles à respecter. La formation d’adultes à faciliter le jeu, en employant la Boîte à jouer, permet à l’inverse que tous les enfants de l’école jouent en même temps en négociant leur rapport à l’espace de jeu.

Un projet écolo
Concrètement, la Boîte à jouer est constituée d’objets qui ne sont pas des jouets. Ce sont des objets issus du réemploi, contribuant à une transformation des pratiques et des regards sur l’objet chez les enfants immergés dans ce nouvel environnement ludique, et chez les parents, témoins du jeu des enfants, et sollicités pour la collecte.

« Jouer sans jouets »

« Le projet permet d’être en contact avec des objets qui ne sont pas des jouets. C’est salutaire ! » Le jouet induit très souvent des différences de genre, d’âge, de compétence ou encore d’argent. Les enfants ont très rarement accès à d’autres types de ressources pour jouer. Or, il n’y a pas besoin d’avoir des figurines ou des poupées pour jouer à « faire semblant ». Au contraire, des jouets trop identifiés peuvent rebuter (un garçon peut ne pas s’autoriser à jouer à la poupée, par exemple), ce qui n’est pas le cas d’objets plus neutres. La réappropriation d’objets, couplée à la créativité, permet d’ouvrir des portes.

Article 31 de la convention internationale des droits de l’enfant
1. Les États parties reconnaissent à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique.
2. Les États parties respectent et favorisent le droit de l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique et encouragent l’organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d’égalité.

Depuis octobre 2017, Laure, de l’association Tu joues ?, accompagne l’école du Vieux Château, à Charras (Ardèche), dans la mise en place d’une boîte à jouer. Dès le lancement du projet, les enfants y ont pris goût et réclament désormais ces moments de « jeux autrement ». Sur le blog de l’école, on peut par exemple lire : « Lundi 13 octobre, une dame est venue dans l’école. Elle a apporté du carton, de la corde et du bambou, des pots de café. Tout le monde jouait ensemble, nous avons coopéré tous ensemble : il y en a qui jouaient au chevalier et d’autres encore qui s’amusaient à construire des voitures, des châteaux, des cabanes, des plages ou des maisons. Valentin ». Pour répondre à leur souhait et permettre à tous de trouver des moments de jeux qui leur conviennent, l’école a depuis instauré, avec les élèves, deux jours sans ballon et deux jours avec ballon dans la cour. Quand de nouvelles ressources ludiques sont introduites dans une cour de récré, les rapports changent, et cela transforme l’expérience des enfants et des adultes.

Propos d’Emma Perrot recueillis par Martha Gilson

Lutter contre le sexisme à la récré
La Boîte à jouer est loin d’être un projet anodin. Cette boîte permet de sortir d’un rapport consumériste au jeu, mais aussi de déconstruire les a priori sexistes présents dans les cours d’écoles. L’exemple de la place du ballon est parlant. Les cours d’école sont en effet un espace fondamental d’apprentissage de répartition de l’espace et souvent l’enjeu d’une répartition genrée. Il arrive très souvent que les sports collectifs, largement investis par les garçons, occupent la place centrale de la cour. Cet espace central est même parfois délimité par des marques au sol, délimitation d’un terrain de football ou de basket. Les filles sont largement exclues de cette socialisation sportive, valorisée dans la répartition de l’espace, et se retrouvent au marge de l’espace de récréation. Selon Édith Maruéjouls, géographe du genre, non seulement il y a une non-mixité sur le terrain central, mais celui-ci occupe parfois 80 % de la surface de la cour de récréation, pour ne faire jouer que trente enfants sur 200. La boîte à jouer « neutralise » cette répartition genrée de l’espace et oblige chacun et chacune à repartir sur de nouvelles bases : l’espace peut être redistribué, et de nouveaux jeux, qui n’induisent pas de comportements genrés, proposés. L’introduction dans cet espace d’objets neutres, comme des bâtons, des pneus ou des draps, permet le développement de l’imaginaire de chacun·e sans formatage. Les filles et les garçons jouent davantage entre elles et eux, et se permettent de sortir des stéréotypes genrés pour incarner d’autres personnages.

Jouer pour vivre
www.jouerpourvivre.org
contact@jouerpourvivre.org

Association Tu joues ?
Le Taillis vert
42220 St-Julien-Molin-Molette
04 77 79 77 04
association.tujoues@gmail.com
www.tujoues.fr

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