Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

Veillée de larmes au Cameroun

Thomas Noirot

Il y a 10 ans, les Camerounais·es pleuraient leurs mort·es.
En février 2008, les « émeutes de la faim » auraient pu être celles « de la fin »... du règne de Paul Biya. Dans de nombreux pays, la flambée des cours mondiaux de plusieurs denrées de base avait provoqué une explosion de colère des populations urbaines, soudainement privées d’accès à une alimentation trop dépendante des importations.

Il y a 10 ans, un soulèvement général réprimé dans le sang

Mais au Cameroun, cela se doubla d’une insupportable hausse du prix du carburant, qui étrangla les chauffeurs de taxi et de moto-taxi, indispensables à l’économie des grandes villes. Ce détonateur social vint renforcer la colère générale : le ras-le-bol du système Biya, au moment même où le despote en place depuis déjà 26 ans faisait modifier la Constitution pour rester au pouvoir indéfiniment. Les grandes villes s’embrasèrent. Quand ils ne scandaient pas « Biya must go » ou « Biya doit partir », les émeutiers fredonnaient « Constitution constipée », le tube du chanteur Lapiro de Mbanga. Cela fit-il trembler le pouvoir ? En tout cas pas sa main, qui réprima dans le sang cette convulsion protestataire. Cent à cent cinquante morts selon les bilans d’ONG, peut-être 2 000 arrestations arbitraires, des centaines et des centaines de blessés… C’est dans la capitale économique, Douala « la rebelle », que le bilan fut le plus lourd. Sur le pont enjambant l’estuaire, on vit notamment un hélicoptère de fabrication française pourchasser les manifestant·es dont beaucoup se jetèrent à l’eau… sans savoir nager. La Constitution fut modifiée, et Paul Biya put être « réélu » en 2011, avec l’approbation d’un Alain Juppé alors ministre français des Affaires étrangères.

Paul Biya, le protégé de la France

En France, en février 2008, médias et opinion publique s’insurgèrent à juste titre contre la violente répression orchestrée par la Chine au Tibet, faisant environ 80 mort·es. Mais le Cameroun, où les bourreaux étaient formés et équipés par la France, échappa une fois de plus aux radars de l’indignation sélective. La répression des mobilisations populaires camerounaises se heurta systématiquement au filtre médiatique français : non seulement les forces démocratiques n’ont jamais connu de victoire, mais leur combat est ignoré. L’acharnement français contre les indépendantistes lors d’une guerre toujours absente des livres d’histoire (1955-1971), l’étouffement de la contestation lors des « années de braise » (1990-92), le hold-up électoral de 1992 (qui permit à Paris de maintenir son poulain Biya en place face à un anglophone vainqueur dans les urnes) et la répression des émeutes de 2008 sont ainsi venus saper toute culture collective de mobilisation. Imagine-t-on un seul instant, en France où l’on déplore la démobilisation militante suite à quelques défaites dans la rue, ce que peuvent produire plus de 60 ans de mise en échec systématique de luttes légitimes ?

Hold-up électoral en perspective

Dix ans après ces émeutes, Paul Biya est candidat – non officiellement déclaré – à sa propre succession. Cette année sont prévues les élections municipales, législatives et la présidentielle. Celle-ci se fait à un seul tour, ne laissant aucune chance à l’opposition. Et si les élect·rices hurlent au hold-up électoral, l’armée n’hésitera pas à tirer dans le tas, comme début octobre 2017 face aux manifestations dans les régions anglophones (plus de 40 mort·es selon les bilans crédibles). Un mois plus tard, l’ambassade de France, qui maintient sa coopération militaire, décorait une dizaine de responsables militaires au nom de l’amitié franco-camerounaise, le 11 novembre. Qu’importe comment Biya « gagnera » l’élection de 2018 : la France ne le lâchera pas.

Une chronique de : Survie, 47 avenue Pasteur, 93100 Montreuil, https://survie.org

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