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Guyane : mourir d’empoisonnement sur une montagne d’or ?

Guillaume Gamblin

En Guyane, un consortium international soutenu par les autorités françaises prévoit de construire une mine d’or aux proportions gigantesques. Un collectif s’est levé contre cette destruction programmée de la forêt primaire.

En mars 2017, le département de la Guyane connaissait une mobilisation sociale sans précédent. Le collectif Or de question est né de ce mouvement social et de cette grève générale de plusieurs semaines. Il a permis de relier les énergies présentes en Guyane pour s’opposer au projet de la plus grande mine d’or jamais envisagée sur le territoire français.

Les droits des peuples autochtones bafoués

Un projet qui bafoue les droits des peuples autochtones présents en Guyane, puisque, contrairement à ce qu’impose la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ses promoteurs ne sont pas assurés d’obtenir leur consentement libre, préalable et éclairé, alors que ce projet touche leurs territoires traditionnels. Treize chefs coutumiers de Guyane se sont déclarés contre celui-ci. « Nous tenons à vous informer que s’il y a une autorisation d’exploitation délivrée par l’État français, (…) nous serons sur la route », prévient Christophe « Yanuwa Toka », membre de la Jeunesse Autochtone de Guyane (JAG). Ce dernier dénonce une exposition au mercure déjà alarmante chez les Amérindien·nes essentiellement, liée à l’orpaillage, dans l’indifférence et l’opacité de la part des autorités.

Un méga-projet au cœur d’une oasis de biodiversité

La Guyane est composée à 90% de forêt primaire et abrite à elle seule 50% de la biodiversité française. Le projet nommé Montagne d’Or sera implanté à 120 kilomètres de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, en pleine jungle, entre deux réserves biologiques intégrales. Le site d’extraction comprendra une fosse de 400 mètres de profondeur, sur 2 500 mètres de long et 500 mètres de large. C’est le consortium russo-canadien Colombus-Nordgold qui a obtenu les concessions, explique à Silence Patrick Monier, co-fondateur de l’association Maïouri Nature Guyane, et porte-parole pour la métropole d’Or de question.
La méthode industrielle utilisée consistera à fracturer la roche à l’aide d’explosifs. Il faut broyer une tonne de roche pour en sortir 1,5 gramme d’or. Les stériles, résidus ne contenant pas d’or, sont stockés. Les minerais contenant de l’or sont transportés ensuite par camions géants pour une phase de concassage et de broyage. Une fois réduits à l’état de poudre à café, ils sont traités chimiquement à l’aide, entre autres, de cyanure, de chaux, de nitrate de plomb, de sulfate de cuivre et d’acide sulfurique. Le mélange des résidus de ce traitement forme, avec l’eau, des boues cyanurées qui sont ensuite stockées sur des surfaces de plusieurs centaines d’hectares, « retenues » par des digues pouvant atteindre 10 mètres de haut. C’est une mesure de contention critiquée dans une région amazonienne qui connaît de très fortes précipitations lors de la saison des pluies. Le stockage en digues inquiète les membres d’Ingénieurs sans frontières qui font état d’une augmentation du risque de rupture de ce type de barrage dans des contextes de pluviométrie extrême [1]. Si une telle digue venait à se rompre, l’impact serait d’autant plus grave que le site se trouve sur le bassin versant du fleuve La Mana.

Un biotope ravagé pour seulement 12 ans d’exploitation

Les opposant·es mettent en avant de nombreux impacts et dangers écologiques de ce projet, à commencer par les boues cyanurées qui pénètrent dans le sol puis dans les nappes phréatiques et viennent empoisonner l’eau. Les chiffres de Nordgold donnent à eux seuls la mesure des pollutions engendrées par ce projet, qui nécessiterait 142 millions de litres de fuel, 46 500 tonnes de cyanure et 57 000 tonnes d’explosifs.
Il faut aussi compter avec le « drainage acide minier », réaction chimique de ces boues à leur contact avec l’oxygène et la pluie. Cela peut provoquer une contamination des nappes phréatiques au plomb, à l’arsenic et au mercure.
Les entreprises impliquées s’engagent à surveiller le site durant 30 ans après la fin de son exploitation, qui est prévue pour s’étendre sur une période de 12 ans. Mais qu’adviendra-t-il ensuite [2] ?
Il faut aussi citer la construction de routes extrêmement larges qui constitueront des ruptures écologiques importantes dans la forêt primaire. Le sol de la région est très riche en mercure naturel, explique Patrick Monier. Sa mobilisation lors de la construction de routes peut le transformer en methylmercure toxique qui s’insinue dans le cycle écologique jusqu’aux humains [3].

Les contribuables paient la facture
Sans surprise, ce sont les intérêts privés qui sont les grands gagnants du jeu. Selon ses promoteurs, cette mine devrait pouvoir apporter 352 millions d’euros de bénéfice à la Guyane. Mais une étude du WWF  Montagne d’or, un mirage économique ? », 2017, www.wwf.fr) montre qu’en tenant compte du coût des infrastructures et des fonctionnaires supplémentaires alloués au suivi et à la surveillance du projet notamment, on arrive à 420 millions d’euros d’investissement public. Le projet Montagne d’or et les autres projets qui l’accompagnent vont nécessiter par ailleurs
la construction d’un port chimique industriel qui sera financé en grande partie par l’argent public.

Une mine qui ne répond à aucun besoin réel

À quelle nécessité répond ce projet d’extraction d’or ? Dans le monde, entre 60% et 80% de l’or extrait va dans le secteur de la bijouterie. L’industrie n’utilise que 8% de l’or extrait chaque année, essentiellement pour les domaines de l’électronique, de la dentisterie et de la nanomédecine. La Montagne d’Or ne répond donc à aucun besoin réel. Parallèlement, la Banque de France stocke environ 2 500 tonnes d’or dans ses coffres, en tant que valeur refuge au niveau de la finance.
Pourquoi la France soutient-elle un tel projet ? La taxe de 2% qui sera laissée à la France par le consortium russo-canadien suffit-elle à tout expliquer ? Nous sommes dans une situation internationale où les pays émergents sont de gros consommateurs de métaux, analyse Patrick Monier. Dans ce contexte, les intérêts industriels, économiques et politiques français sont soucieux de sécuriser nos approvisionnements. Sous le gouvernement de François Hollande, Arnaud Montebourg avait relancé l’idée d’une compagnie minière nationale. Emmanuel Macron, ministre de l’économie à l’époque, s’était rendu sur le site en 2015 et avait déclaré : « Nous allons tout faire pour qu’un projet de cette envergure puisse voir le jour ici ». De retour en Guyane en octobre 2017, le désormais président rappelait son « engagement »

Un projet destructeur parmi d’autres
Montagne d’or n’est pas le seul grand projet industriel en Guyane. Colombus-Nordgold détient 8 concessions. L’entreprise française Auplata possède 700 km2 de concessions dans le département. Elle a construit une petite usine pilote à Cayenne pour « prouver » que l’on peut utiliser du cyanure sans danger pour la population. Apprécions au passage le statut de cobayes des habitant·es soumi·ses à cette expérience grandeur nature. Une fois affirmée l’innocuité de son usine, l’entreprise a obtenu l’autorisation d’en construire une plus grande à Dieu Merci. « L’Ouest guyanais serait alors offert à l’industrie minière avec une usine et de grandes routes de toutes parts pour y aller », s’inquiète Patrick Monier.
Ce dernier veut alerter également sur le danger lié à l’hypothèse de la construction d’un deuxième barrage hydroélectrique, trois fois plus puissant que celui de Petit Saut (dont la puissance installée est de 116 MW), « pour alimenter les multinationales minières de l’ouest, sous prétexte d’alimenter les populations et de remédier aux coupures de courant ». Ce projet aurait des effets climatiques importants, estime-t-il, car dans cette forêt primaire qui abrite 450 tonnes de biomasse à l’hectare, les dégagements atmosphériques de CO2, de méthane et de protoxyde d’azote par le pourrissement de la forêt primaire noyée, seraient considérables. Sans compter la destruction inéluctable de biotopes encore largement inexplorés. Pourtant les alternatives énergétiques sont nombreuses : solaire, marée, éoliennes en mer, biomasse utilisant les déchets des scieries, etc.

Résister pour que la montagne dorme

Quelles sont les résistances au projet Montagne d’Or  ? Le collectif Or de question, constitué en mars 2017, regroupe une vingtaine d’associations guyanaises. Il a reçu le soutien de plus de 110 organisations, parmi lesquelles la Ligue des Droits de l’Homme, France Libertés, Ingénieurs sans frontières. Or de question a d’ores et déjà organisé des rassemblements et des manifestations, des marches avec les Amérindien·nes. Le collectif diffuse de l’information auprès d’une population en majorité passive, en distribuant des tracts sur les marchés notamment. Ses membres ont occupé France Guyane, le seul quotidien guyanais, largement pro minier, pour demander un meilleur équilibre dans le traitement du sujet. Face à ces tentatives d’information critique, la compagnie Nordgold a embauché deux bureaux d’étude spécialisés dans l’acceptation sociale. Les opposant·es étudient les documents relatifs au dossier tels que les PER [4], mais ce travail est très fastidieux et technique. Ils n’écartent pas de lancer des recours en justice dans l’avenir.
Le projet peut-il encore être stoppé à ce stade ? Au moment où cet article est écrit, les travaux sur le site n’ont pas commencé. Les différents acteurs sont en attente de l’étude d’impact, confiée au cabinet Biotope, qui s’était illustré par son inventaire biologique très lacunaire à Notre-Dame-des-Landes. Une Commission nationale d’enquête publique (CNEP) va par ailleurs être mise en place, suite à la demande de France Nature Environnement. Son démarrage, prévu pour 2018, aura pour intérêt d’obliger à la tenue de réunions publiques, qui sinon n’auraient pas vu le jour, et de retarder le projet [5]. En attendant, le combat des opposant·es se poursuit, avec détermination, au nom des intérêts écologiques et sociaux. « A-t-on plus besoin d’or, ou d’un climat pérenne et d’eau potable ? », conclut Patrick Monier.

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Notes

[1Depuis 2000, il y a eu plus de 25 ruptures de digues de déchets miniers dans le monde, dont celle de Mariana au Brésil, qui a provoqué un déversement mortifère de boues rouges dans le fleuve Rio Doce.

[2Le drainage acide minier peut durer des centaines d’années.

[3Voir l’étude de Stéphane Guedon « Impact de l’exploitation minière en Guyane française sur les flux de mercure vers les écosystèmes aquatiques », https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00264272

[4Permis exclusif de recherche

[5« Le temps choisi pour cette consultation laisse à penser qu’il ne pourra s’agir que d’une ’consultation de façade’, loin des exigences d’une consultation éclairée et préalable des populations concernées » a cependant regretté la Commission nationale consultative de droits de l’Homme (CNCDH) dans un avis sur le droit à un environnement sain dans les Outre-mer rendu le 17 octobre 2017. (Hélène Ferrarini, Reporterre, 28 octobre 2017)

[6Depuis 2000, il y a eu plus de 25 ruptures de digues de déchets miniers dans le monde, dont celle de Mariana au Brésil, qui a provoqué un déversement mortifère de boues rouges dans le fleuve Rio Doce.

[7Le drainage acide minier peut durer des centaines d’années.

[8Voir l’étude de Stéphane Guedon « Impact de l’exploitation minière en Guyane française sur les flux de mercure vers les écosystèmes aquatiques », https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00264272

[9Permis exclusif de recherche

[10« Le temps choisi pour cette consultation laisse à penser qu’il ne pourra s’agir que d’une ’consultation de façade’, loin des exigences d’une consultation éclairée et préalable des populations concernées » a cependant regretté la Commission nationale consultative de droits de l’Homme (CNCDH) dans un avis sur le droit à un environnement sain dans les Outre-mer rendu le 17 octobre 2017. (Hélène Ferrarini, Reporterre, 28 octobre 2017)

[11Depuis 2000, il y a eu plus de 25 ruptures de digues de déchets miniers dans le monde, dont celle de Mariana au Brésil, qui a provoqué un déversement mortifère de boues rouges dans le fleuve Rio Doce.

[12Le drainage acide minier peut durer des centaines d’années.

[13Voir l’étude de Stéphane Guedon « Impact de l’exploitation minière en Guyane française sur les flux de mercure vers les écosystèmes aquatiques », https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00264272

[14Permis exclusif de recherche

[15« Le temps choisi pour cette consultation laisse à penser qu’il ne pourra s’agir que d’une ’consultation de façade’, loin des exigences d’une consultation éclairée et préalable des populations concernées » a cependant regretté la Commission nationale consultative de droits de l’Homme (CNCDH) dans un avis sur le droit à un environnement sain dans les Outre-mer rendu le 17 octobre 2017. (Hélène Ferrarini, Reporterre, 28 octobre 2017)