Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

L’indépendance des Kanak sabotée par la France ?

Mathieu Lopes

Début novembre 2017 s’est réuni à Paris le « Comité des signataires » chargé du suivi des accords de Nouméa et Matignon. Ces accords furent signés pour mettre fin à la période d’affrontements en Kanaky (nom donné par les indépendantistes à la Nouvelle-Calédonie) en 1988. Pour l’ethnologue Rosselène Dousset-Leenhardt, « la colonisation de la Nouvelle-Calédonie fut l’une des pires qu’il y eut au monde » [1] et les « événements » des années 80, durant lesquels l’état d’urgence avait d’ailleurs été instauré, étaient le dernier épisode d’une longue histoire de résistance des Kanak face à la violence coloniale. Avec les accords commença le processus de décolonisation progressive de la Nouvelle-Calédonie, occupée par la France depuis 1853. Un référendum ultime devait transférer les dernières compétences pour une indépendance complète en 1998 ; repoussé, il se tiendra finalement fin 2018.

Fraude électorale ?

Mais les indépendantistes du FLNKS [2] dénoncent de nombreuses irrégularités sur la liste électorale qui permettra de voter pour cette consultation, certain·es parlant même de « fraude électorale » : selon le FLNKS, près de 25 000 Kanak censé·es y figurer sont absent·es tandis que plusieurs milliers de personnes ne remplissant pas les critères sont pourtant inscrites. Afin de contrer la politique d’incitation à l’installation de Français·es menée par la puissance coloniale, les accords ont réservé le droit de vote au référendum aux personnes présentes depuis suffisamment longtemps. L’ONU a mené plusieurs missions d’observation et confirme le bien-fondé des réclamations sur ces irrégularités. Lors du récent Comité des signataires, la question du corps électoral était donc centrale et un accord semble avoir été trouvé, sans qu’on sache encore pleinement ce qu’il permettra de résoudre. Plusieurs mouvances indépendantistes ont annoncé qu’elles boycotteraient le référendum si les conditions d’un « scrutin sincère » n’étaient pas réunies.
De nombreux obstacles se posent encore sur le chemin vers l’indépendance du pays. Plus d’un siècle et demi de colonisation a façonné une société raciste où les Kanak sont discriminé·es à l’embauche, au logement et exclu·es de la répartition des richesses locales. La voiture-balai de la justice finit par ramasser ceux qui tentent de s’extraire de la misère par des moyens moins légaux : Christiane Taubira annonçait en 2012 que 93 % des personnes détenues de Nouvelle-Calédonie étaient Kanak. Les peines prononcées s’accompagnent souvent de privations des droits civiques, ce qui exclura encore du vote des Kanak.

Un avenir prospère

Enfin, la misère a fait son oeuvre et l’indépendance fait peur à certain·es Kanak qui craignent de perdre encore en ressources, services publics, formation ou emplois sans la mainmise française. Les indépendantistes rappellent donc que les retraites ou la sécurité sociale sont déjà gérées et financées localement et tentent de faire connaître leur projet auprès de la population. La Nouvelle-Calédonie regorge de ressources : son sous-sol renferme entre 20 et 40 % des réserves mondiales de nickel, en plus d’autres minerais, et son gigantesque espace marin pourrait encore en contenir. Libérée de l’inégalité coloniale dans la répartition des richesses, la Kanaky pourrait donc offrir un avenir viable à celles et ceux qui l’habitent, Kanak ou non.

Une chronique de : Survie, 47 avenue Pasteur, 93100 Montreuil, https://survie.org

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Notes

[1Jean-Paul Besset, Le Dossier calédonien, La Découverte, 1988.

[2Front de libération national kanak et socialiste, coalition de partis portant la revendication d’indépendance.

[3Jean-Paul Besset, Le Dossier calédonien, La Découverte, 1988.

[4Front de libération national kanak et socialiste, coalition de partis portant la revendication d’indépendance.

[5Jean-Paul Besset, Le Dossier calédonien, La Découverte, 1988.

[6Front de libération national kanak et socialiste, coalition de partis portant la revendication d’indépendance.