Localisation : Lodève • Création : 2006 • Statut : associatif • Financement : les films sont à petit budget (quelques milliers d’euros chacun) • Installation dans un domaine où cohabitent de nombreuses alternatives
Jean-Claude Decourt la soixantaine aujourd’hui, a commencé à faire des films à l’âge de 16 ans. Fils de militants ouvriers, il désirait au départ montrer des gens dans leur cadre de travail. En 1992, vivant dans les Cévennes, il découvre l’activité de Télé-Millevaches, dans le Limousin [1]. Il se lance alors dans la création de Télé-Cévennes, la troisième télé libre de France après Télé-Millevaches et Télé-Bocal [2]. Le principe de « télébrouette » est le même que celui de Télé-Millevaches : réalisation d’un magazine vidéo puis projection en public sur grand écran dans les différentes communes avec débat, fête et repas. Chaque cassette dure 1 h 30. Il y en a deux à trois par an. Le financement, très restreint, est assuré pour partie par des subventions de quelques mairies de gauche, le reste par les dons collectés lors des projections. « Les thèmes sont variés : présentation d’initiatives alternatives, ‘comment un banquier s’est reconverti dans une scierie ambulante’, débat sur la chasse entre anciens et néoruraux, position des élus sur la question de l’accueil des jeunes urbains… On faisait une télé avec et pour les gens. » Les débats sont l’occasion de rebondir vers de nouveaux sujets. Après douze ans d’activité, Télé-Cévennes a laissé place à des télévisions sur le web : « Ce n’est pas pareil car les personnes qui visionnent ces télévisions ne se rencontrent pas. »
Vers une société de décroissance
En 2001, Jean-Claude Decourt réalise pour TéléCévennes plusieurs reportages sur le thème de la décroissance. En 2006, ayant déménagé dans l’Hérault, il crée sous forme associative Utopimages. Il rencontre et filme différentes personnes du mouvement (Serge Latouche, Paul Ariès, Pierre Rabhi, Yves Cochet, etc.). Un premier film d’une heure, Simplicité et décroissance, sort en 2007. Il sert à organiser des débats en France et au-delà. En 2009, il réalise un deuxième film de 2 h 50 : Les Pas de côté qui présente de nombreuses démarches alternatives. L’occasion pour le réalisateur de prendre conscience que, dans le milieu alternatif, « on rencontre les mêmes problèmes qu’en dehors ». Cela le conduit à envisager un troisième film sur la persistance de nos comportements : domination, soumission, ego exacerbé, inadéquation entre les personnes et les idées, etc.
Ce troisième film lui vaut quelques ruptures avec les « penseurs » du mouvement, qui le jugent trop branché sur les questions psychologiques. Il continue cependant à s’intéresser de plus en plus aux causes profondes de nos comportements et se met à lire, rencontrer et filmer des sociologues, philosophes et psychanalystes. Cela débouche en 2015 sur le film Changer et changer le monde où il aborde ce qui fait que l’on évolue personnellement (ou pas) et la façon dont cela se traduit sur notre environnement proche et sociétal.
La psychanalyse pour comprendre notre conformisme
Alors qu’il se demande s’il n’est pas en rupture avec le mouvement de la décroissance, il découvre les travaux de Pablo Servigne [3], qui a longuement analysé notre tendance au déni pour éviter d’avoir à changer nos modes de vie. Aujourd’hui, la plupart des gens ont pris conscience que nous avons atteint les limites de la planète, mais presque tout le monde continue à consommer comme si de rien n’était.
Travaillant sur le coté psychanalytique du déni, Jean-Claude Decourt relit aussi les travaux du naturaliste François Terrasson sur La Peur de la nature [4], ainsi que ceux du philosophe Christian Godin, auteur notamment de La Haine de la nature. Empruntant le titre d’une pièce de Fernando Arrabal, « Et ils passèrent des menottes aux fleurs », il interroge « les raisons profondes et inconscientes qui font que l’on continue à détruire la nature (hors nous et en nous), alors que nous savons qu’il s’agit de notre survie ».
Après un drame familial, dans les années 1970, un notaire de Lodève a mis en vente à bas prix un domaine de 18 ha avec une maison de maître et des mazets (cabanons) dispersés sur le terrain. À l’époque, une communauté rachète les lieux puis passe la main à une société civile immobilière (SCI) constituée par des alternatifs du coin. La maison de maître est divisée en appartements et les mazets sont progressivement agrandis pour en faire des logements. Aujourd’hui, il reste encore des cabanes dans les arbres et des installations mobiles. Les membres de la SCI sont très actifs dans la création d’entreprises alternatives dans la région, comme en témoignent les boîtes aux lettres à l’entrée.
Ainsi Marc Padilla, qui habite une partie de la maison de maître, est à l’origine d’Ecolodeve, un magasin de vente de produits et matériaux pour l’écoconstruction et la formation ouvert en 2006 (on peut y acheter Silence) ainsi que de La Distillerie, une ancienne distillerie en plein coeur de Lodève, achetée en 2016 dans le but d’ouvrir en ville un lieu culturel et convivial. Marc, qui aime mettre les gens en réseau, le fait sur un rayon de 60 km depuis plusieurs années. Julien Lhostis, son voisin, fait partie de l’équipe qui a mis en place en 2016 la recyclerie de Lodève, Le Recyclage lodevois, où Jean-Claude Decourt est bénévole.
Quant à Mickaël Grupp, autre habitant des lieux, il a créé Synopsis, un institut de recherche sur l’énergie solaire qui aide à l’installation de capteurs thermiques.
Ecolodeve, 200, rue de la Draille, 34700 Lodève, tél : 04 99 91 00 73,
www.ecolodeve.fr
Le Recyclage lodevois, Zone du Capitoul, route de Montpellier, 34700 Lodève,
tél : 09 84 57 10 25
La Distillerie, à contacter par Ecolodeve, tél : 04 999 100 73
Synopsis, domaine de Belvezet, route d’Olmet, 34700 Lodève,
tél : 09 61 21 97 82
Il participe à des Cafés philo, des Cafés psy (« Qu’est-ce qui bloque ? »). Il s’inquiète d’une tendance forte du mouvement alternatif à suivre des méthodes de « guérison rapide », « New Age », comme on peut en trouver des pages et des pages dans les gratuits écolos [5] : « Toutes ces méthodes profitent du mal-être des personnes, mais ne résolvent pas les problèmes de fond. Ainsi, nombreux sont ceux qui cherchent à créer ou rejoindre un lieu alternatif sans avoir fait un vrai de travail sur soi, prenant le problème à l’envers. » « La psychanalyse donne des outils pour apprendre à se connaître et à être autonome. C’est une démarche profonde (et difficile, il est vrai) en complète opposition avec le ‘développement personnel’ prôné par le libéralisme pour qui il s’agit de ‘caresser les gens dans le sens des chaînes’, selon l’expression de mon ami philosophe Sergio Ghirardi. »
Jean-Claude Decourt s’inquiète du peu de temps consacré à la réflexion dans les alternatives sociales et écologiques. « L’urgence n’est pas d’agir tous azimuts (même si c’est important et qu’il y a urgence écologique) mais d’apprendre à questionner. Sinon, nous reproduirons toujours les mêmes bêtises ! Penser c’est agir. »
Accepter nos limites
Jean-Claude Decourt a en projet un sixième film : Consoland, prévu pour 2019, aura pour thème la consolation par la consommation. Selon lui, « la société marchande est une dérisoire tentative de consolation par rapport à la mort, à l’éphémère, à la difficulté à se singulariser, à trouver un sens… Tous sont touchés, les objets de consolation des riches étant simplement différents de ceux des pauvres, mais au fond, pas plus efficaces. » "Ici se trouve le moteur de la croissance, cause de la destruction de notre planète. La croissance ne peut s’arrêter, les problèmes existentiels faisant sans cesse retour. L’avoir ne pouvant remplir le vide d’être.
Alors bien sûr, il faut un revenu minimum (et maximum) et un toit pour tous, mais le problème principal est que le capitalisme a fait Monde (l’imaginaire marchand est dans presque toutes les têtes). Nous détruisons très rapidement les conditions de survie de notre espèce (et celles de nombreuses autres, hélas), pour aller mieux… sans y parvenir !« Le monde va mal parce que nous allons mal. »Derrière la politique, l’économie, l’écologie, il y a nos peurs, nos manques.« »Sortir du capitalisme, système mortifère : il faudra, pour cela, bien plus que des élections, des manifestations, et même des programmes !"
Il cite Cornelius Castoriadis [6], selon lequel nous ne consommerions plus autant si nous étions plus autonomes. "Un double travail sur la conscience et sur l’inconscient pourrait nous aider à sortir de la sphère marchande, à vivre plus simplement, à sortir du déni, à apprendre à nous connaître et connaître les autres, à accepter nos limites. Travail (il faudrait inventer un autre mot) à la fois collectif et individuel. Le ferons-nous ? En aurons-nous le temps ? Notre survie, et celle des autres espèces, n’est-elle pas à ce prix ?
Nous vivons dans une époque sombre mais également intéressante : celle où se posent (enfin) les questions essentielles. Merveilleuse (et unique) occasion pour nous tous de développer de vraies singularités, de grandir en humanité."
Pour aller plus loin
■■ Utopimages,
domaine de Belbezet,
34700 Olmet-et-Villecun,
tél : 04 67 95 43 84,
www.utopimages.fr
