Dossier Alternatives Habitat

Abricoop, une coopérative d’habitant·es sort de terre

Rachel Honnert

Habiter autrement les villes, accéder à la propriété quand on n’a pas de très gros moyens et partager avec ses voisin·es : c’est l’aventure dans laquelle s’est lancée l’association toulousaine La Jeune Pousse en créant la coopérative d’habitant·es Abricoop, qui ouvre ses portes durant l’hiver 2017-2018.

Une coopérative d’habitant•es est un habitat groupé : il s’agit de créer et gérer collectivement un habitat comportant des parties privées et des parties communes. Mais dans une coopérative d’habitant·es, chacun·e est à la fois individuellement locataire de son logement (privatif) auprès de la coopérative et collectivement propriétaire de la coopérative. Cela permet de répondre à de nombreuses attentes : des liens sociaux renforcés dans un esprit démocratique, des logements adaptés, accessibles, écologiques et économes à moindre coût… et on espère que cela palliera à terme certains défauts de notre société comme la faible mixité sociale et générationnelle ou encore la spéculation galopante.

Un peu d’histoire

Depuis 2008, l’association La Jeune Pousse, dont je fais partie, souhaitait créer une coopérative d’habitant·es à Toulouse. Comme pour beaucoup de groupes, l’accès au foncier a été difficile. Après six ans d’existence, l’association a été confrontée à au moins deux projets immobiliers qui n’ont pas pu aboutir, à des départs et des arrivées, à des « crises d’adolescence ». Le projet et le groupe se sont modifiés. En 2013, Toulouse Métropole a réservé un terrain pour l’habitat participatif dans le futur écoquartier de la Cartoucherie. La Jeune Pousse a alors candidaté pour la construction d’un immeuble en coopérative d’habitant·es et a été retenue.

Un groupe hétéroclite, motivé et très organisé

Abricoop est un groupe de 17 foyers : une trentaine de personnes, de composition familiale, d’orientation sexuelle, de nationalité, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle et de revenus variés. Cette diversité est caractéristique de notre société, mais elle est peu fréquente dans un quartier et quasi inexistante dans un immeuble. Faire cohabiter une telle diversité se heurte généralement à des difficultés architecturales ou financières. Le groupe partage cependant l’ambition de construire et de faire vivre un habitat groupé : la coopérative d’habitant·es nous le permet, il reste à se mettre au travail.
Il en faut, des heures, pour rédiger des statuts, choisir un architecte ou faire la chasse aux subventions ! La diversité est alors une chance. Chacun·e peut contribuer selon ses capacités, et l’organisation du groupe fait le reste. La Jeune Pousse est organisée en quatre ateliers : technique (choix architecturaux et relations avec l’architecte), projet de vie (charte et règlement intérieur), communication (outils de communications interne et externe) et juridico-financier (statuts, relations avec la banque et répartition des redevances). Les décisions importantes sont prises au consensus lors d’assemblées quasi-hebdomadaires, selon le principe : une personne, une voix. La démocratie au sein du groupe se vit donc quotidiennement, par la pratique.
Comme personne n’est expert·e en tout, et pour que chacun·e prenne les décisions en conscience, la coopérative forme ses membres au gré de ses besoins : l’éducation populaire est au coeur du projet. Certes, nous sommes accompagné·es par des professionnel·les (les Chalets, le bailleur social et maître d’ouvrage, nos architectes et Habicoop, la fédération nationale des coopératives d’habitant·es), mais nous faisons l’essentiel et revendiquons de maîtriser notre projet dans son ensemble. Dans ces conditions, travailler à la construction ou à la gestion commune d’un bâtiment renforce les liens sociaux entre les futurs voisin·es que nous sommes et permettra, peut-être, d’éviter les conflits.

Une coopérative intergénérationnelle

La population de notre pays vieillit et les maisons de retraite ne font pas rêver grand monde. Dans la vie courante, les personnes âgées sont parties prenantes d’associations, de luttes syndicales ou d’AMAP ; il est logique que des personnes âgées militent pour les coopératives d’habitant·es. Abricoop comprend huit foyers dont les occupant·es sont à la retraite. La coopérative bénéficie grandement de l’expérience des ancien·nes, ainsi que de leur temps libre les jours ouvrés, qui nous permet de rencontrer nos partenaires aux horaires de bureau.
Un mélange des âges est essentiel dans un groupe qui souhaite perdurer : cela permet un renouvellement progressif des coopérat·rices après le départ des plus âgé·es. Nous bénéficions de l’expérience d’habitats groupés, composés à l’origine de familles avec de jeunes enfants, qui ont vieilli avec leurs membres et ont à présent du mal à se renouveler. Enfin, ce mélange des âges a été récompensé par un prêt à taux zéro de la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, qui finance une partie du projet.

Un immeuble adapté

La société HLM Les Chalets, à qui nous avons acheté l’immeuble en vente en état futur d’achèvement, est notre maître d’oeuvre. En conséquence, nous n’avons pas eu la possibilité d’accéder au chantier avant la fin des travaux et nous n’avons donc pas pu autoconstruire. Les personnes âgées de notre groupe n’étaient d’ailleurs pas très enthousiastes à l’idée d’une autoconstruction.
Cependant, nous avons rigoureusement rédigé notre programme architectural et sélectionné notre architecte (Seuils Architecture) et son équipe. Les futur·es habitant·es sont partie prenante de la conception de leur logement et des espaces communs, ce qui permet d’avoir des logements adaptés, écologiques (matériaux sains, récupération des eaux de pluie et compostage des déchets organiques) et économes (proches du passif). L’immeuble comporte des logements allant du T2 au T5, pour s’adapter aux différentes compositions familiales, dans une architecture cohérente.
Dans l’immeuble, l’espace est optimisé grâce à de nombreux locaux communs : une salle polyvalente, une buanderie, trois chambres d’ami·es, des rangements, un local à vélo et un toit-terrasse. La mutualisation contribue à maîtriser les coûts, de même que nos habitudes de vie : nous privilégions les transports doux [1] et la simplicité volontaire.

Sécurité et solidarité financière

Le montage financier d’Abricoop est complexe et comprend : les apports personnels (20 % du prix des appartements en moyenne), des subventions de l’Ademe et de la région Occitanie, un prêt à taux zéro de la Carsat et un prêt locatif social (PLS) du Crédit coopératif.
Les emprunts reposent sur la coopérative, qui est propriétaire de l’immeuble, et non sur les individus qui la composent. Ainsi, qu’ils ou elles aient ou non la possibilité d’emprunter, les coopérat·rices bénéficient d’une même qualité de logement. Ils ou elles sont propriétaires de parts sociales, mais sont locataires auprès de la coopérative. Tous les mois, la coopérative récolte donc les loyers pour rembourser les emprunts, payer des charges et faire des provisions (pour de grosses réparations, par exemple).
Les loyers sont fixés en fonction de la surface des logements, mais aussi des revenus des locataires. Les plus riches sont financièrement solidaires des plus pauvres. Ainsi, nous pouvons dépasser de nombreux obstacles à la mixité sociale qui existent en France (ménages éligibles au logement HLM et ménages hors plafond).

La rotation des coopérat·rices et la sortie du système spéculatif

Pour accéder à la coopérative, il faut être coopté·e par les coopérat·rices. Ainsi, il faut partager un certain nombre de valeurs comme l’écologie, la solidarité, l’autogestion (et la foi dans les tableurs Excel !) et participer au travail de l’association. Une fois coopté·es, le ou la coopérat·rice devient copropriétaire de la coopérative en achetant des parts sociales. À son départ, il ou elle revend ses parts à leur valeur d’entrée (corrigée de l’inflation). Le prix des appartements reste donc stable et ne subit pas la flambée du marché immobilier. De plus, et parce qu’on cherche la petite bête, il a été décidé que si à l’avenir les coopérat·rices décidaient de revendre l’immeuble, la plus-value serait reversée à un fonds pour la création d’autres coopératives. Ainsi, la coopérative d’habitant·es est un moyen de lutte efficace contre la spéculation immobilière.

Abricoop,
4 rue Suzanne Noël, 31300 Toulouse,
https://lajeunepousse.org,
coopérative.abricoop@gmail.com

Habicoop accompagne Abricoop, comme deux coopératives déjà en place : le Village vertical, à Villeurbanne, et Chamarel, à Vaulx-en-Velin.

- Habicoop, chez Locaux Motiv,
10 bis rue Jangot, 69007 Lyon,
tél : 09 72 29 36 77, http://www.habicoop.fr

- Le Village vertical, www.village-vertical.org

- Chamarel, https://cooperativechamarel.wordpress.com

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Notes

[1Lors de la construction d’un immeuble aidé comme le nôtre, il est prévu de payer la construction d’une place de parking pour chaque appartement. Abricoop s’est engagée à utiliser moins de voitures qu’il n’y a d’appartements dans la coopérative. Ainsi, la coopérative a fait l’économie du coût de construction de places de parking qu’elle ne compte pas utiliser.

[2Lors de la construction d’un immeuble aidé comme le nôtre, il est prévu de payer la construction d’une place de parking pour chaque appartement. Abricoop s’est engagée à utiliser moins de voitures qu’il n’y a d’appartements dans la coopérative. Ainsi, la coopérative a fait l’économie du coût de construction de places de parking qu’elle ne compte pas utiliser.

[3Lors de la construction d’un immeuble aidé comme le nôtre, il est prévu de payer la construction d’une place de parking pour chaque appartement. Abricoop s’est engagée à utiliser moins de voitures qu’il n’y a d’appartements dans la coopérative. Ainsi, la coopérative a fait l’économie du coût de construction de places de parking qu’elle ne compte pas utiliser.