Article Alternatives Habitat

Dans les coulisses du chantier : mon école en paille

Lucile Leclair

À Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour répondre au besoin croissant du nombre de classes, la municipalité a décidé de passer le cap de la construction écologique. La particularité de « l’école des Boutours 2 » ? Les murs sont intégralement en paille. Une première pour un bâtiment public.

Nous sommes au printemps 2017. Une vingtaine d’ouvriers installe, redresse et taille des bottes de 200 kg. « La paille vient d’une ferme à 60 km d’ici », nous explique Mathieu Dehaudt, directeur d’Apij Bat, l’entreprise en charge de la construction des murs de l’école. Passée la grande couronne, la ressource abonde : en Île-de-France, 48 % du territoire est consacré à l’agriculture. Les champs de céréales couvrent deux tiers de cet espace cultivé.
« La paille n’est pas un déchet. C’est un co-produit de la culture de graminées comme l’orge, l’avoine ou le blé ». Un matériau de construction qui passe « directement du champ au chantier, sans aucune transformation ». La technique repose sur le « tassement » de la paille. Une densité accrue donne au mur sa résistance, suffisante pour porter la charpente. Matthieu Dehaudt n’a pas l’air de découvrir le sujet. « En France, la première maison en bottes de paille date de 1920. Elle apparaît grâce à l’invention de la botteleuse aux États-Unis qui va permettre de compresser la paille ».
Si techniquement ce type de bâtiment n’a rien de nouveau, dans notre société du « tout béton » le projet tient de l’aventure. La filière paille représente seulement 0,14 % du marché de la construction aujourd’hui. La modernité a hissé le ciment au-dessus des autres matériaux. Pourtant, « les sables nécessaires à sa fabrication sont épuisables. La paille au contraire se renouvelle chaque année », explique Matthieu Dehaudt.

Relocaliser la production

Son entreprise paye le prix fort pour faire exister un secteur encore marginal. En 2012, des « règles professionnelles » ont été publiées. Un cadre de référence est posé, il définit les standards des bonnes pratiques et légitime la construction paille aux yeux des professionnel·les du bâtiment. Mais la difficulté à s’entourer reste palpable, remarque Matthieu Dehaudt. « Aucun assureur ne voulait prendre le risque de ce bâtiment en paille. ’On n’est pas philanthropes’, a même répondu l’un de ceux qui refusaient de nous suivre. Finalement, nous avons trouvé un assureur pour un taux d’assurance quatre fois plus cher qu’un bâtiment classique ».
Pour amortir les coûts inhérents à toute expérimentation, la collectivité a un rôle à jouer. Claude Capillon en est convaincu. Le maire de Rosny le dit, « ce projet se veut exemplaire ». La commande publique peut contribuer à changer les façons de faire. « Dans un contexte de raréfaction des énergies fossiles, il faut relocaliser la production. C’est bien de faire des écoles en paille, poursuit le maire, mais si l’on fait venir des matériaux d’Autriche, vous imaginez l’énergie brûlée sur l’autoroute et la pollution produite ? ». Pour construire sans détruire, des entreprises situées à moins de 80 km de Rosny sont mobilisées. L’élu LR a fait sien le défi écologique qui selon lui « n’est pas une affaire de droite ou de gauche, mais une question d’intérêt général ».

Un chantier rassembleur

Abdou Ahmadou applique avec énergie un enduit de terre sur un mur en bottes de paille. « Après, on ne verra plus du tout la paille et le mur aura un aspect complètement normal », glisse-t-il avec un sourire. Le Comorien d’une trentaine d’années est arrivé en France en 2014. Embauché en insertion professionnelle par Apij Bat, il connaissait déjà l’industrie du bâtiment mais « la paille c’est la première fois ». Fier d’apprendre la méthode, il en perçoit clairement les avantages : « Pas de nez qui coule au réveil, pas de gorge irritée, rien à voir avec le ciment. »
« L’écologie est fédératrice », juge Emmanuel Pezrès, l’un des deux architectes. Nous sommes aux Rencontres nationales de la construction paille, trente personnes sont présentes en cette matinée de juin à Rosny. L’école ouvre ses portes dans trois mois et M. Pezrès fait visiter les coulisses du chantier. Étudiant·es, ingénieur·es, entrepreneu·ses, tou·tes prêtent l’oreille à son propos : « La bâtisse que vous voyez juste à côté, c’est l’école primaire des Boutours. Pas de paille porteuse pour les murs mais une structure en bois garnie de paille. À l’époque de sa construction en 2013, ces savoir-faire n’existaient pas localement. Des entreprises venues d’Allemagne ont réalisé les travaux ». Cet après-midi, les « rencontres » se poursuivent à Issy-les Moulineaux (92), à l’école Louise Michel. Inaugurée en 2013 et isolée en paille, « elle a inspiré la municipalité de Rosny-sous- Bois », alimentant l’expansion lente mais prometteuse du marché de la construction paille Emmanuel Pezrès voit loin : « Avec seulement 10 % de la paille de blé, tous les logements construits chaque année pourraient être isolés en paille ».
« Fontenay-sous-Bois, Montfermeil, Aulnay-sous-Bois, Vaujours... » Claude Capillon ne compte plus les maires des environs venus s’informer. Chaque fois la municipalité fait connaître le budget de l’opération. « 800 000 € par classe, autant qu’une école classique en béton ». Une différence cependant : « 7 % du budget a été financé par la Région, l’État et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ». Et sur le long-terme, les finances de la ville se portent mieux qu’avec une école classique. « Dès la première année de fonctionnement, nous réduisons de 40 % les dépenses d’énergie ».

Des gilets en laine de mouton

« Le bâtiment est très bien isolé, ce qui fait chuter la facture d’électricité », reprend Emmanuel Pezrès. Quant à la ventilation, plutôt qu’une machine double-flux, un système d’aération naturelle a été installé. Trois échangeurs — des sortes de cheminées — permettent à l’air chaud de monter et à l’air froid de rentrer. À la rentrée, chaque enfant disposera d’un gilet sans manches en laine de mouton, spécialement tricoté pour eux. L’objectif : ne pas chauffer à plus de 19 °C, explique Emmanuel Pezrès. « Le changement à opérer est culturel ». Et quel meilleur lieu pour faire changer les habitudes qu’une école ?

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