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Aux enfants

Marie Desplechin

Ce texte de l’écrivaine Marie Desplechin a été publié dans son intégralité dans l’ouvrage Pour une poignée de degrés dont vous pouvez découvrir des photos page 48 de ce numéro. Son style et son message puissants nous ont donné envie de le donner à partager ici. En voici quelques extraits.

Chers amis de sept à dix-sept ans, chers amis,
Ce discours s’adresse aux enfants et aux adolescents, à eux d’abord, et même à eux seulement. Après tout, la plupart des gens qui prennent les décisions aujourd’hui seront morts ou dans un sale état quand les conséquences du changement climatique se feront sentir. Je veux dire : quand ça va chauffer pour de bon. Les vieux ont fait de bonnes choses, l’imprimerie, les droits de l’homme, le vélo, les vaccins, le cinéma, la contraception, l’Internet, bravo, très bien. Mais compte tenu de l’état dans lequel ils vont laisser la planète en partant, ils devraient évaluer courageusement ce qu’ils ont fait, pas fait, et ce qu’ils ont laissé faire. Ils devraient faire preuve d’un peu de modestie. Parce que franchement, il n’y a pas de quoi se vanter. Personnellement, je ne serais pas choquée qu’on accorde demain le droit de vote à des enfants de sept ans. Ce sont eux qui vont boire la tasse.
Les goûts d’un enfant de sept ans sont simples et peu coûteux : dormir dans une cabane, jouer avec un chien, se faire de nouveaux amis pour jouer au ballon. Cet enfant n’a aucun besoin de posséder un sac à trois mille euros, un palace illuminé la nuit, trois voitures, un avion, il n’a pas spécialement envie de partir en vacances en Thaïlande tous les quatre matins, de tuer un lion ou de gagner cent mille dollars par jour. Parlez-lui plutôt d’un bon pique-nique au bord d’une petite rivière, apportez la salade de pommes de terre, et vous verrez qui a raison.
C’est la première chose que je voudrais dire : vous allez grandir, mais n’oubliez jamais la personne que vous avez été à sept ans. N’oubliez ni les amis, ni le chien, ni le pique-nique au bord de la rivière (et la salade de pommes de terre). La vie ne pourra pas vous apporter grand-chose de mieux. À mon âge, j’ai fait le tour de la question. Tout ce qu’on peut accumuler de richesse dans son existence ne sert pour finir qu’à ça : à partager un bon pique-nique avec des amis et un chien au bord de l’eau.
Bon... Je vais vous le chuchoter, ce sera plus facile. Écoutez-moi : La Terre, la planète sur laquelle, dans laquelle et avec laquelle nous vivons, n’en peut plus. Elle a quelque chose comme une très grosse fièvre. Le système vivant qu’elle abrite peut en mourir. Les poissons, les chiens, les hommes. Et nous.
Ça vous fait peur ? Normal. À moi aussi. Personne n’a envie de faire les frais d’une extinction personnelle des dinosaures. Je me demande d’ailleurs comment tous les gens autour de moi ne sont pas paralysés de trouille. Je les vois parler d’autre chose, à la télé, dans les journaux, se réjouir de la découverte d’un gisement de gaz en Algérie, d’un forage de pétrole en Alaska, de la croissance économique... Qu’est-ce qu’ils ont dans la tête ? Ils sont marteaux, ou quoi ?

Vous avez déjà essayé de faire passer des rayons de soleil à travers une loupe ? La chaleur se concentre et ça brûle. Faites gaffe si vous essayez, n’allez pas flanquer le feu aux broussailles. Eh bien, ça vous explique ce qui est en train de se passer. Depuis plus de deux cents ans que les hommes sortent le charbon et le pétrole de la terre, et le brûlent, les gaz se sont accumulés. Résultat, c’est la loupe.

Il faut que vous sachiez que les dix ans qui viennent ont été appelés la « décennie zéro ». Pourquoi la décennie zéro ? Parce que si dans dix ans les hommes n’ont pas réussi à stopper l’augmentation de la température, c’est fichu. Fichu pour la Terre que nous connaissons, la petite planète bleue, pour ses espèces végétales et animales, pour le règne des mammifères, et bien sûr parmi eux, pour les humains. Dix ans, ça vous paraît beaucoup ? C’est beaucoup pour un jeune humain. Pour un vieux, ce n’est rien du tout, un clin d’oeil. Par ailleurs, je vous signale que si les mêmes hommes n’arrivent pas à limiter la hausse de la température à deux degrés dans les deux ans qui viennent (alors ça, deux ans, ça vous paraît tout de suite moins, hein ?), il y a de fortes chances que les choses leur échappent. Qu’est-ce que ça veut dire, que les choses leur échappent ? Ça veut dire : bienvenue les catastrophes.
J’aimerais bien exagérer. Mais je suis obligée de vous dire que tous les gens sérieux qui étudient le climat, la forêt, la mer, les espèces animales sont d’accord sur le scénario du film. Deux ans à regarder ailleurs, dix ans à se tourner les pouces, et c’est la grosse vague qui bouffe tout.
Il y en a peut-être qui se disent : tout ça pour deux minables degrés ? Seulement deux ? Mais c’est énorme, deux degrés ! Passez de quarante à quarante-deux degrés de température et vous allez voir la tête de vos parents. Un organisme vivant ne peut pas changer de température comme cela. Tout se détraque à l’intérieur. D’ailleurs, c’est exactement ce qui se passe. Les chaînes et les cycles sont en train de se briser. Les forêts et les mers, le corail, les glaciers, et les abeilles, et les grenouilles, et les pluies, l’alerte clignote de partout.
Et justement, c’est là que j’arrive à la deuxième partie, la partie exaltante. Les angoissés peuvent enlever les mains de leurs oreilles. J’ai la joie de vous informer qu’il est encore possible, très possible, de limiter l’augmentation de la température, et puis de la faire diminuer.
Cette histoire de climat, voilà où je voulais en venir, est en vérité la bonne occasion de changer de monde. Le vieux modèle est périmé. Il est trop injuste, trop violent, trop mensonger. Et en plus, il bousille tout. Il faut reconnaître, c’est vrai, qu’il a eu ses bons côtés. Il a produit les connaissances nécessaires pour le transformer. On aurait même envie de lui dire merci. Mais il a fait son temps. On va reconstruire la cabane. C’est pas formidable, ça ?
Ne vous laissez pas avoir par les petits arrangements qu’il faudrait consentir pour entrer dans l’âge adulte : arrête de rêver, trouve un emploi, prends un crédit, cherche un loisir, ne cherche pas à comprendre, laisse faire ceux qui savent, sois raisonnable. Apprenez à réfléchir. Apprenez à désobéir. Apprenez à inventer des cabanes. Donnez-vous du mal pour cela. Et rappelez-vous que pour arriver à ce pique-nique au bord de la rivière, il nous faudra d’abord sauver les amis, le chien, la rivière et même les pommes de terre. Mais alors, alors, quel bonheur ce sera de nous retrouver entre amis sur la Terre. Quelle bonne vie nous ferons.

Texte écrit à la demande de la Maison des écrivains et de la littérature, dans le cadre du Parlement sensible. Commande de Sylvie Gouttebaron, directrice de la MEL, à 30 écrivain·es, sur le thème du climat. L’ensemble des textes a été publié sous le titre Du souffle dans les mots aux éditions Arthaud en novembre 2015, à l’occasion de la COP 21. Il a été republié dans l’ouvrage Pour une poignée de degrés en juin 2017 publié par les éditions Light Motiv

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