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Une respiration hors de l’école

Marie Loschi raconte son action dans un atelier relais destiné aux collégien·nes en situation de décrochage scolaire. Une courte fenêtre de liberté dans un parcours d’apprentissage peu adapté aux désirs d’apprendre.

Je me suis arrêtée avant de passer le concours d’instit, je ne voulais pas travailler dans l’Éducation nationale, trop de choses me dérangeaient. On m’a dit : « si tu ne veux pas y entrer, tu n’as qu’à aller dans une école privée, type Montessori », mais ça me gênait d’enseigner dans une école où tous les enfants ne peuvent pas aller.
Il y a deux ans, j’ai commencé à travailler avec les Ceméa (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active) dans un atelier relais, dispositif de raccrochage scolaire en partenariat avec l’Éducation nationale.

« On n’a ni notes ni programme »

Je suis dans un collège, mais avec les libertés de l’éducation populaire : pas d’obligation de suivi de programme ni de notes. On s’appuie sur la pédagogie du détour : détourner les choses en essayant de donner un sens à l’enseignement et à l’apprentissage. On cherche à motiver les élèves, ce que la grosse machine de l’Éducation nationale a du mal à faire.
Du coup, dans l’atelier-relais que j’anime, on n’a ni notes ni programme. Quand les élèves arrivent, on leur demande pourquoi ils sont là. « Parce que j’ai de mauvaises notes et que je veux avoir de bonnes notes ». Mais une note, c’est quoi, un chiffre sur un papier. Ils n’ont plus d’autre but. Ils ne voient qu’une chose : les mauvaises notes qu’ils reçoivent tout le temps, les bulletins catastrophiques, et le fait qu’on les catalogue mauvais élèves.
Quant au programme, on l’oublie carrément : on est hors programme, on prend les élèves au niveau où ils en sont. Peu importe qu’ils soient en cinquième, quatrième, on s’en fiche. Le travail qu’on fait est un travail basé sur la compétence et le savoir-être. Comme le dispositif fonctionne, en principe, sur la base du volontariat, en général ça se passe bien.
Dès qu’ils arrivent, on met en place des entretiens individuels hebdomadaires où l’élève discute avec la personne de l’équipe qui est sa tutrice. Également, parmi les enseignant·es de la classe d’où il vient, il s’en est choisi un·e avec qui le courant passait bien et qui sera, pendant les huit semaines, son ou sa prof référent·e.
Au cours du premier entretien, on essaye de savoir pourquoi ils sont là. Il y en a qui sont complètement renfermés, qui ne parlent presque pas. D’autres ont des problèmes de comportement. On essaye de cerner leur problème et de les aider à se fixer un objectif pour la semaine. Ça peut être par exemple venir tous les jours. Ou enlever mon manteau quand j’arrive. Ne pas couper la parole. Écrire lisiblement. Le but est de les mettre en confiance et de les rendre honnêtes avec eux-mêmes.

Réaliser une enquête policière et fabriquer des meubles en carton

Notre équipe organise des projets transversaux qui essayent de relier les choses entre elles. Par exemple l’année dernière, on a organisé une session sur le thème des enquêtes policières, et à partir de là on a fait plusieurs choses. Avec moi, les jeunes ont écrit un roman-photo. En sciences, des études sur les empreintes digitales. Lors d’une autre session, on a fabriqué des meubles en carton. Quand tu fabriques des meubles en carton, il y a plein de géométrie. Ensuite, on a fait un manuel de fabrication des meubles, donc comment tu retranscris en français ce que tu as créé, pour que les gens puissent comprendre. Après, on a imprimé le manuel et on l’a publié dans la bibliothèque du collège.

Difficile retour en classe

On peut dire qu’on doit faire face à deux challenges. Le premier, c’est de remotiver ces élèves à venir en cours. Ça, en général, on y arrive. Parce que dans l’atelier-relais on a le droit de bouger. Si on a besoin d’un truc, on se lève, on va le prendre. Chacun·e avance à son rythme.
Et justement, le deuxième challenge, qui est souvent plus compliqué, c’est le retour dans leur classe. Les trois dernières semaines de la session, les élèves rentrent petit à petit dans leur classe.

Les ateliers relais
Les Ceméa (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active), association d’éducation populaire, interviennent depuis plusieurs années en partenariat avec l’Education Nationale sur les dispositifs « ateliers relais ».
Dans des groupes de 6 à 10 jeunes venant de différents collèges et sur une durée de 4 à 8 semaines, les élèves sont accueillis pour travailler autrement les matières scolaires mais aussi vivre des activités sportives, manuelles et culturelles visant à travailler sur les attitudes, la valorisation des personnes et le réinvestissement des apprentissages formels. Les équipes construisent pour chaque jeune accueilli un projet individuel.
Ceméa, 24, rue Marc Seguin, 75883 Paris cedex 18, tél. : 01 53 26 24 24, www.cemea.asso.fr.

Le problème est que la classe, elle, ne va pas avoir changé. Tu ne peux pas te lever. C’est très difficile de s’exprimer en classe. Alors qu’à l’atelier-relais, on fait un travail sur la communication, des débats, un travail sur les ressentis, le fait de donner son avis, etc. Quand les élèves retournent en classe, ce n’est pas toujours facile. On essaye d’accompagner leur retour, de parler aux profs qui vont les avoir en classe, pour que ce ne soit pas trop abrupt.

« J’ai l’impression que je passe ma journée à dire : mais si, c’est bien, continue ».

Finalement, les méthodes d’éducation active, c’est le contraire d’un enseignement descendant. On ne va presque jamais mettre les élèves devant un tableau, à leur dire voilà, c’est comme ça, et pas autrement.
En fin de session, on invite les élèves, les parents, les profs référent·es et l’équipe de l’atelier-relais à une soirée, avec un buffet et une exposition. Les élèves présentent ce qu’ils et elles ont fait. En horticulture ce sont des pots qui ont été fabriqués avec les plantes qui ont été plantées. Si les élèves ont fait du théâtre ils et elles organisent un match d’impros. Si pendant la session on a écrit une histoire, on la lit.
C’est un peu essayer de trouver le truc de chacun·e pour qu’il puisse enrichir le groupe. Redonner confiance. J’ai l’impression que je passe ma journée à dire : mais si, c’est bien, continue. Parce que ces gamins n’ont plus confiance en eux, on leur a trop dit qu’ils étaient nuls. Du coup, ils ont besoin qu’on se pose à côté d’eux et qu’on leur demande : qu’est-ce que tu penses ? Vas-y, dans un projet il n’y a pas de juste ou faux, fais comme tu penses.

Propos recueillis par le collectif Adret
Marie Loschi animatrice Céméa
dans un atelier relais en Haute-Savoie
Le collectif Adret
Ce texte a été réalisé par le collectif Adret en préparation du livre Même si on pense que c’est foutu, recueil de paroles d’une vingtaine de femmes et d’hommes qui ont en commun de refuser le fatalisme en participant à des alternatives avec créativité, lucidité et détermination. Adret, en pays montagneux, correspond au versant exposé au soleil ; ici, c’est le nom d’un collectif qui a pour conviction que les limitations imposées par l’épuisement des ressources de notre planète peuvent avoir leur côté ensoleillé. Depuis quarante ans et la publication de son premier ouvrage, Travailler deux heures par jour (1977), le collectif est animé par le souhait que chaque personne – de la plus engagée à la moins politisée – s’approprie les expériences retranscrites et puisse les mettre en discussion en dehors du débat d’expert·es ou de la seule sphère politicienne : « face au fantasme de croissance infinie dans un monde fini, changer le système est l’affaire de tou(te)s ».

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