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Moisson d’alternatives en Chine rurale

Erik D’Haese

Voici le récit de 3 mois en Chine, à la rencontre de paysan·nes, coopératives, communautés, réseaux et néo-ruraux, pionnières et pionniers d’alternatives aux causes et effets impitoyables d’un exode rural considéré comme la plus grande migration dans l’histoire de l’humanité. Un aller-retour, principalement en train, nous a permis de prendre acte de plusieurs des dimensions qui nous éloignent de la complexité incommensurable de ce pays-continent.

« Parfois les parents viennent de loin pour sortir leurs enfants d’ici – ils veulent à tout prix éviter que leur enfant devienne paysan. » Toujours calme, judicieuse, parfois discrètement souriante, Shi Yan, dans la trentaine, est rapidement devenue une des icônes de la prise de conscience écologique en Chine. Lors d’un stage dans une AMAP américaine, il y a 8 ans, elle comprit que la sécurité alimentaire passe par la revalorisation du style de vie paysan. Aujourd’hui, gérante de sa ferme Shared Harvest en banlieue pékinoise, elle préside en plus un réseau national de plus de 500 AMAP qui nourrissent plus d’un demi million de chinois·es. Malgré les prix 2 à 3 fois supérieurs au marché, Shi Yan estime que 40 % des Pékinois·es peuvent se permettre de manger AMAP.
À la ferme, le travail est central – on se lève tôt et on se couche tôt. Le menu est composé de produits maison : pas très varié mais sain, bon et de saison. Les bols sont nettoyés au son de blé qui nourrit les cochons par la suite – grand contraste avec le gaspillage de l’abondance gastronomique habituel pour un nombre croissant de citadin·es. Ici, l’afflux continu de jeunes apprenti·es témoigne d’une grande envie de participer activement au changement. Bien qu’illes aient le statut de bénévoles, une rémunération modeste mais correcte contribue à l’image qu’une agriculture respectueuse n’est pas synonyme d’esclavage ou misère et aide les parents à accepter.
À Kunming, ville « aux 4 printemps » 2 000 km plus au sud, on rencontre Zhongren. Pendant la sécheresse de 2010, il se retrouve avec un groupe d’ami·es pour apporter de l’eau aux paysan·nes en pénurie. La pluie revenue, illes démarrent la première AMAP de la ville. Le groupe gère sa propre ferme en dehors de la ville, même si des paysan·nes des alentours fournissent une partie importante des produits, un peu selon le modèle du commerce équitable. Au lieu de devoir chercher du travail plus lucratif ailleurs les paysan·nes peuvent rester à la campagne. Parallèlement l’AMAP promeut la pratique du bio. Aujourd’hui 2 magasins et un système de vente par smartphone atteignent de plus en plus de monde.

Le rêve social et écologique de Tingting

Pas loin de la ville, à travers les ruelles en terre et pierres de Damoyu, un petit village de la minorité Yi, on suit Tingting, jeune universitaire au sourire timide mais généreux. D’innombrables heures passées dans les embouteillages dans le bus entre son appart et l’université lui ont insufflé le courage d’abandonner le revenu stable de la recherche universitaire et de mettre en pratique avec son mari ses idées autour de l’entreprise sociale et l’écologie.
Comme énormément de villages partout en Chine, Damoyu est à moitié abandonné et tombe en ruine. On y rencontre principalement des personnes plus âgées et leurs petits enfants. Bien qu’elles constituent la main d’oeuvre du miracle économique chinois, la loi ne permet pas aux parents d’accéder aux droits sociaux, comme la scolarisation des enfants, dans les villes où elles travaillent. De quoi expliquer l’enthousiasme des villageois·es envers la vision et l’énergie du jeune couple qui recrée une vie sociale, reconstruit des maisons et attire touristes et bénévoles.
Pendant notre séjour d’une semaine plusieurs jeunes couples viennent s’informer sur les prix du foncier, mais Tingting garde un esprit critique. Elle sent vite si ils s’intéressent réellement au projet commun d’une revitalisation de la vie paysanne –elle veut à tout prix éviter que Damoyu se transforme en banlieue bourgeoise.

Retrouver le goût des variétés anciennes

Perdu dans les montagnes du Guizhou, chez la minorité des Dong, le village natal de Youniuge offre des paysages magnifiques de terrasses d’un vert éclatant qui couvrent les pentes et abritent un boeuf par terrasse. Il y a quelques années, il s’est rendu compte que le riz moderne qu’il mangeait avait perdu les saveurs de son enfance.
Alors, avec l’aide de sa communauté une pratique de sauvegarde des variétés anciennes s’est mise en place.
Aujourd’hui, une bonne partie des dizaines de tonnes de récolte annuelle est vendue à un bon prix dans les réseaux bio et gastronomiques de Shanghai, et constitue pour le village une base de revenus importante qui rend possible le maintien de la culture locale. Le meilleur ami de Youniuge s’est lancé parallèlement dans l’apprentissage de la médecine traditionnelle. Des visites régulières chez guérisseu·ses et toubibs locaux sont pour lui un trésor inestimable de savoir-faire en voie d’extinction depuis l’ouverture au marché mondial de la médecine et des médicaments.

Vivre dans le Sud, une communauté artistique et écologique

Quand Tang Guanhua et ses ami·es décident en 2009 d’occuper un bâtiment abandonné pour échapper à la pauvreté des artistes et à la vie préprogrammée, le futur semble ouvert. Mais le groupe est expulsé après deux semaines et se dissout. Avec sa femme Zhenzhen, également esprit critique et touche-à-tout créative, passionnée de l’artisanat du textile, illes décident alors d’essayer autre chose et s’installent sur une montagne pour 5 ans d’expériences en autosuffisance. L’initiative séduit les médias, génère du passage inattendu, crée des liens et c’est en 2015 que le couple, avec 6 autres, retente l’expérience collective : Nanbu Shenghuo, « Vivre dans le Sud » est né.
Le groupe s’installe à une heure de Fuzhou, capitale du Fujian au climat doux dans un village de maraîcher·es product·rices de nouilles – qui sèchent au soleil devant les maisons. En Chine, tout terrain reste propriété de l’État mais le

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aux agriculteurs et aux agricultrices de s’en sortir même pendant les mauvaises années.
Des liens se tissent entre paysan·nes et citadin·es, par la vente directe des produits agricoles comme par les services rendus par les villageois·es pour gagner de l’argent. Cette pratique est omniprésente dans la Chine actuelle mais ici elle se vit sur des bases amicales – les citadin·es viennent aussi à la campagne avec leurs enfants, pour soutenir les paysan·nes et garder un lien avec la terre qui les nourrit.

Le Centre Liang Shuming, un réseau d’étudiant·es solidaires

Un des 43 villages de PuHan héberge une petite école pour l’enseignement en agriculture bio et une maison du Centre Liang Shuming pour la Reconstruction Rurale (CLRR). Une douzaine d’étudiant·es du pays entier y sont logé·es pendant au moins 6 mois pour participer et étudier l’organisation de la coopérative.
Le CLRR est une ONG chinoise qui oeuvre depuis 2004 pour la qualité de vie des paysan·nes, l’agriculture saine et durable et la revalorisation des villages et de la culture des campagnes. Issu du monde universitaire, illes mènent des actions sur des terrains très différents : partenariats avec plus de 200 associations d’étudiant·es, permettant à plus de 100 000 d’entre eux de participer à des stages et actions bénévoles dans 27 provinces chinoises, soutien actif à la création de coopératives paysannes, établissement de dizaines de sites expérimentaux.
Il y a 4 ans, illes créent un réseau national pour la protection des semences paysannes face à la semence industrielle. À part une multitude d’activités sur le terrain avec paysan·nes, minorités et étudiant·es, le CLRR prend part aux réseaux et rencontres internationa·les et participe activement au paysage législatif chinois –s’opposant entre autres à une adhésion chinoise à l’UPOV 1991, l’Union pour la protection des obtentions végétales [1].

Eaton College, centre d’apprentissage alternatif

Après avoir travaillé dans la culture commerciale d’orchidées, Asha, dans la vingtaine, souriant, enthousiaste et curieux, part à la recherche de façons de vivre alternatives. Après un court passage à Nanbu Shenghuo où nous nous sommes rencontrés, il nous invite à une heure de route de la ville de Nanjing dans une petite école, Eaton College, où il vit et étudie pendant un an.
Fondée par le directeur d’une entreprise produisant des uniformes scolaires, chaque année une dizaine de jeunes s’y voient accordées l’opportunité d’étudier librement des sujets de leur choix. À leur disposition : des logements, une petite cuisine et une bibliothèque, le tout sur un petit terrain qui se prête aux expériences, à côté d’une ferme bio, où les étudiant-es travaillent 2 heures par jour afin d’acheter la nourriture collective, seul frais qui leur revient. De ce fait, illes vivent comme un petit collectif autogéré – toutes les décisions de la vie quotidienne sont prises ensemble dans un esprit d’amitié et d’entraide. Des professeur·es venu·es de la ferme ou parfois de très loin passent plusieurs fois par semaine enseigner des sujets divers et variés.
Les cinq jeunes esprits critiques qu’on rencontre sur place partagent le regard ouvert au monde et au changement qu’on a retrouvé partout sur notre chemin. Et comme tou·tes les autres personnes rencontrées, on les invite à venir découvrir nos réalités européennes et s’inspirer mutuellement.

Depuis 7 ans je fais partie de Longo maï, réseau européen de coopératives agricoles très critique du système capitaliste, où j’ai aussi développé une activité journalistique. Depuis 2010 j’apprends le Mandarin en autodidacte et en 2015-2016 j’ai passé 5 mois en Chine, un premier contact avec la société chinoise – je vivais la plupart du temps à Pékin chez des ami·es chinois·es. Après quelques mois j’ai eu envie de sortir du contexte urbain et de connaître des voies alternatives à l’immensité de la modernité chinoise. J’ai rencontré quelques personnes et initiatives très intéressantes, notamment Nanbu Shenghuo et Asha. J’avais aussi pris contact avec Tingting, mais pas eu l’occasion d’aller jusqu’au Yunnan. Parallèlement, en janvier 2016 Shi Yan a visité la coopérative allemande de Longo maï, et nous a invité à venir en Chine pour présenter ce qu’on fait en Europe et échanger. Tout ceci m’a donné envie de retourner et c’est en automne 2016 qu’on est reparti avec deux amies de Longo maï.
Erik D’Haese

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Notes

[1L’UPOV oblige à payer des droits pour commercialiser des semences normalisées. Elle a été mise en place en 1961 à l’initiative de la France et de ses semenciers

[2L’UPOV oblige à payer des droits pour commercialiser des semences normalisées. Elle a été mise en place en 1961 à l’initiative de la France et de ses semenciers

[3L’UPOV oblige à payer des droits pour commercialiser des semences normalisées. Elle a été mise en place en 1961 à l’initiative de la France et de ses semenciers