Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

Idriss Déby, un ami gênant

Thomas Noirot

Dans une interview fleuve donnée fin juin à des RFI, TV5 Monde et Le Monde, le Tchadien Idriss Déby s’est plaint d’avoir dû rester au pouvoir malgré lui : « J’aurais souhaité m’arrêter en 2006 après mon second mandat. J’aurais alors cédé le pouvoir. Mais la guerre a éclaté. Des mercenaires ont attaqué N’Djamena [en fait ses anciens alliés mécontents d’être écartés de la rente pétrolière]. Et alors que je ne le voulais pas, la France est intervenue pour changer la Constitution. Il y a un constitutionnaliste dont je ne connais même pas le nom qui est venu ici. J’ai dit que je ne voulais pas changer la Constitution mais ils sont passés par leurs arcanes et ils ont changé la Constitution. » Timing parfait pour rappeler publiquement que la France avait prêté main forte au coup d’État constitutionnel de 2005 : une semaine après, Déby devait voir Emmanuel Macron à la réunion du G5 Sahel réclamée par ce dernier. Le G5 Sahel est une structure de coordination entre les armées du Tchad, du Burkina, du Niger, de la Mauritanie et du Mali, mise en place - officiellement à l’initiative des Africains – pour épouser le périmètre de l’opération extérieure Barkhane (qui a élargi et prolongé depuis l’été 2014 l’opération Serval déclenchée au seul Mali début 2013), et au sein de laquelle les militaires français n’occupent théoriquement qu’une position d’observateur. Déby a donc saisi l’occasion de faire monter les enchères en termes de soutien politique, en lâchant opportunément une déclaration potentiellement gênante, en forme d’avertissement (« non seulement vous avez besoin de moi pour guerroyer dans le Sahel, mais je suis en position de vous nuire »). Le vieux dictateur avait-il besoin d’un coup de pouce financier de Paris pour le trésor public tchadien, comme lorsqu’il avait critiqué le franc CFA en 2015 ? Toujours est-il que début septembre, la Banque Africaine de Développement organisait à Paris une conférence des donateurs pour mobiliser des ressources nécessaires au financement du « Plan National de Développement du Tchad ».

Rendez-vous discret à l’Élysée

Mais le vieux dictateur voulait aussi se montrer en digne chef d’État au côté du nouveau président français, et les photos de famille au G5 Sahel ne suffisaient pas. Il fallait se montrer sur le perron de l’Élysée. Et c’est par un tweet d’Emmanuel Macron qu’on a appris, dans la soirée du 11 juillet, que Déby venait d’être reçu. Sans brouhaha médiatique, et pour cause : le service presse de l’Élysée n’a envoyé une invitation aux journalistes accrédités qu’à 18h44, pour une ouverture de la cour à 19h30 et une arrivée de Déby à 20h. Impossible à couvrir dans des délais si courts… D’autant que ce rendez-vous ne figurait pas dans l’agenda officiel du Président français. Soit Déby s’est incrusté (avec l’aide de son ami Jean-Yves Le Drian, passé du ministère de la Défense à celui des Affaires étrangères ?), soit l’Élysée cherchait à rester discret… et sûrement un peu des deux. Il est vrai qu’en juillet 2012, la réception du Gabonais Ali Bongo avait provoqué un tollé, et Macron a appris des erreurs de Hollande.

Une chronique de : Survie, 47, avenue Pasteur, 93100 Montreuil, http://survie.org

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